Logo

Qui écoute ça… du harsh noise wall?

Introduction au fils rebelle de la musique harsh noise.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Il y a quelques semaines, j’ignorais ce qu’était le harsh noise wall. Puis, je suis tombé sur cette vidéo de l’excellente chaîne YouTube Pagefire :

Ça m’a mis sur le cul. Comment un fan de musique noise et industrielle de longue date comme moi pouvait ignorer l’existence d’un sous-genre musical aussi étrange, niché… et extrême à sa façon?

Fait que je me suis lancé corps et âme dans la recherche. Parce que c’est toujours ça que je fais lorsque je découvre quelque chose d’extrême sur internet. Quelque chose d’extrême qui me parle instinctivement, mais que je ne comprends pas.

C’est quoi, le harsh noise wall?

La définition acceptée du sous-genre, c’est : « un mur de statique consistant, immuable et enveloppant ». C’est une définition très honnête.

Publicité

Le mouvement a vu le jour au début des années 2000, sous l’égide de l’artiste français nommé Romain Perrot, alias Vomir. Son manifeste musical, c’est : « Pas d’idées. Pas de changements. Pas de développements. Pas de divertissement. Pas de remords ».

Encore une fois, ce ne sont pas les formules obscures et pompeuses qui l’étouffent. Mais encore?

Sam MacKinley, alias The Rita (l’autre grand musicien de harsh noise wall) entre dans les détails plus techniques. Il qualifie le genre de purification de la musique harsh noise japonaise en un fil de textures cristallines et minimalistes. C’est un peu du charabia si on a juste écouté la musique de Vomir, mais The Rita a une approche on ne peut plus différente, axée sur le choc des textures sonores.

Publicité

Un musicien d’harsh noise wall avec qui j’ai discuté affirme que le genre est beaucoup plus vieux et que le groupe qui en serait à l’origine serait la formation britannique EEE. Bien que je ne doute pas de la véracité de ses propos, il s’agit d’une information très difficile à confirmer.

Si vous cherchez EEE sur Google, vous trouverez beaucoup d’information sur la maladie du sommeil, mais très peu sur le groupe en question. La seule source d’information directe sur EEE est un blogue Blogspot qui liste leur discographie et qui nomme leur genre musical harsh minimalistic noise. Donc, ça existait probablement déjà, mais ce sont Vomir et The Rita qui ont épuré la forme et qui lui ont donné cette structure de « murs ».

Publicité

Personnellement, c’est cette structure monolithique et impitoyable que je trouve intéressante dans le harsh noise wall. Les pièces sont longues, couvertes de statiques et explorent un créneau de nuances qui demandent un effort constant et une participation active : « C’est ton cerveau qui fait une partie du boulot, comme pour aucune autre musique », m’expliquait le même musicien qui me parlait d’EEE.

C’est un plaisir semblable à celui de la musique drone, dont j’étais déjà fan. C’est une musique qui se consomme dans le temps. Elle n’a pas nécessairement de début, de milieu ou de fin. C’est comme une rivière qui coule.

C’est inconfortable et méditatif en même temps.

Qui donc écoute ça?

J’suis allé faire un p’tit tour du côté du groupe Facebook privé HNW harsh noise wall qui compte 3 472, dont 18 vivant à Montréal, pour savoir quel genre de personne trippait activement là-dessus.

Publicité

J’ai jasé avec une quinzaine de personnes environ et à ma grande surprise, ils étaient tous musiciens eux-mêmes.

« Je te garantis que tout le monde qui va te contacter a son propre projet de harsh noise wall, » affirme Jack, un étudiant en cinéma britannique de 25 ans qui performe sous le nom Home Invasion. « La scène est tellement fragmentée et disparate. Il y a des groupes Facebook, des cercles Instagram, des forums de musique noise, etc. Sur chaque plateforme, j’interagis avec des artistes différents. »

Publicité

« C’est très accessible pour le matériel. Pas besoin de grand-chose. C’est pour ça que si t’es assez enthousiaste pour discuter de harsh noise wall en ligne, t’es probablement assez enthousiaste pour te partir un projet, » m’explique-t-il.

La plupart des artistes avec lesquels je me suis entretenu sont issus d’une scène musicale déjà existante, par exemple. Comme Julien, professeur de lycée et artiste électronica qui s’est mis au harsh noise wall après avoir vu une conversation sur le forum iheartnoise sur la validité du genre, à l’époque où c’était encore nouveau. « C’était tellement extrême et différent, je me suis dit “c’est pour moi” ».

Publicité

Mais qu’est-ce qui peut bien attirer des musiciens chevronnés vers un style musical aussi monolithique et peu accessible?

« C’est une expérience purement atmosphérique, » me dit Antonio, un brésilien étudiant en mathématiques « À cause du manque de dynamique sonore, lorsqu’on écoute du harsh noise wall live, on prend conscience de sa propre cochlée et chacun de nos mouvements peut affecter l’expérience. C’est comme plonger dans un puits sans fond et d’en ressortir en vie, sans une égratignure. À part peut-être de bons acouphènes! »

« Je m’y suis intéressé parce que c’est lent et subtil. La musique harsh noise est typiquement rapide, saccadée et chaotique. Le HNW est une expérience complètement différente, » raconte RJ Myato, un artiste noise de 29 ans qui travaille de jour dans une épicerie en Pennsylvanie.

Le harsh noise wall, c’est une expérience d’initiés. Un plaisir difficile d’accès réservé à ceux qui ont fait le tour du jardin plusieurs fois et qui veulent repousser les limites de ce qu’on appelle la musique. C’est une muse étrange qui attire les adeptes de l’extrême.

Publicité

La preuve, j’ai réussi à rejoindre Andri de Pagefire (le gars qui a fait la vidéo en haut de l’article) pour lui demander qu’est-ce qui l’avait poussé à choisir ce style pour sa vidéo satirique. Sa réponse m’a jeté sur le cul (je suis tombé souvent sur le cul au cours des dernières semaines) : « Ça s’est fait vite. C’est quelqu’un dans les commentaires d’une autre vidéo qui a suggéré le harsh noise wall. J’ai regardé une prestation de Vomir live et j’me suis dit : “Bordel, comment est-ce que quelque peut aimer ça?” Mais après avoir mis la vidéo en ligne, je me suis mis à expérimenter avec les textures et j’ai eu beaucoup de plaisir. Il y a une beauté bizarre dans l’acte de déformer un son jusqu’à ce qu’on ne puisse plus le reconnaître. »

Publicité

C’est le genre de musique qu’on ne peut pas décider d’aimer ou de haïr. Il nous trouve, un point c’est tout.