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Qui a peur du Native Winter?

Par
Aurélie Lanctôt
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Surprenante expansion que celle d’Idle No More. D’abord fondé en réaction au projet de loi C-45, pour défendre les droits des Premières nations, voilà qu’il se répand dans la population, incitant à établir un réel dialogue entre toutes les nations canadiennes, pour une démocratie plus saine…

On a maintes fois souligné que 2012 aura été une année de militantisme rarement égalé. Elle a commencé dans les derniers remous d’Occupy, puis nous avons eu le Printemps érable; et voilà qu’elle s’est conclue avec l’apparition du mouvement Idle No More, en plein essor à travers le Canada.

Au début du mois de décembre, ce sont quatre femmes de la Saskatchewan (autochtones et non autochtones) qui en ont jeté les bases. Dans un premier temps, l’objectif était de sensibiliser la population aux impacts appréhendés du projet de loi C-45 sur le territoire, l’eau et les droits autochtones. Puis, d’un atelier d’information à l’autre, des foyers militants sont apparus partout au pays. Ont été fondés Idle No More Alberta, Québec, Okanagan…

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« L’objectif, c’est d’établir enfin un vrai dialogue entre le gouvernement et les Premières nations » explique Widia Larivière, co-fondatrice, avec Melissa Mollen Dupuis, de la branche québécoise d’Idle No More. Selon elles, le 4 décembre, date d’adoption du projet de loi C-45, aura marqué un point déterminant de la fondation du mouvement, avec le refus de laisser les représentants des Premières nations exprimer leur opinion sur C-45 à la Chambre de communes.

« Chaque peuple peut avoir ses tensions avec sa chefferie autochtone, mais quand c’est le gouvernement fédéral lui-même qui bloque le dialogue, c’est inacceptable, déplore Melissa Mollen Dupuis. Et d’ailleurs, le mouvement s’appelle Idle No More parce que, justement, on a tellement souvent accepté d’être ignoré comme si c’était quelque chose d’acceptable … Mais là, on dit que non : ce n’est plus acceptable. »

Puis, le 11 décembre, rappelons que la grande cheffe crie Theresa Spence a entamé sa fameuse grève de la faim. Soulignons que même si leurs revendications sont similaires, initialement, Idle No More et l’initiative de Spence ne sont pas liées. Reste qu’à présent, les actions militantes du mouvement et la grève de la grande cheffe se complètent à merveille. Spence est devenue de facto l’incarnation des revendications des militants d’Idle No More, qui soutiennent en retour sa courageuse lutte. Convergence et complémentarité qui tombent à point, dira-t-on.

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Or, voilà que Theresa Spence entame aujourd’hui son 25e jour de jeûne, et que les flashmobs, blocages, marches et autres stunts d’Idle No More se multiplient et s’intensifient, d’un océan à l’autre. Et du côté du Premier ministre, silence radio.

Mais mine de rien, pendant que Stephen Harper tweete des photos de bébé panda, Idle No More grandit. Petit train fait son chemin. Et l’entêtement du PM à ignorer le supplice volontaire de Theresa Spence n’étouffe pas les revendications, bien au contraire. Le mouvement s’organise, consolide sa base militante, s’enracine, se fait connaître…

Mais surtout, tranquillement, se distancie de la « lutte pour les droits des Premières Nations » pour se rapprocher davantage de la lutte citoyenne pour la démocratie et le dialogue.

Widia Larivière et Mélissa Mollen Dupuis soulignent qu’on tend en effet de plus en plus vers une lutte citoyenne, menée conjointement par toutes les nations canadiennes (autochtones, anglophone, francophone…); qui, accessoirement, aura été initiée par un mouvement autochtone.

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De quoi rassurer ceux et qui se braquent devant Idle No More en brandissant les désagréables souvenirs de la Crise d’Oka, par exemple…

Mais selon Mollen Dupuis, la lutte est désormais l’affaire de tous. « Vous savez, ce n’est plus juste un problème indien, c’est un problème de démocratie! » tranche-t-elle.

Selon les deux co-fondatrices d’Idle No More Québec, le mouvement québécois serait en avance comparativement au reste du Canada, « parce qu’on a eu la chance de militer beaucoup plus, de s’exercer, le printemps dernier, remarque Mollen Dupuis. Elle ajoute: « Ce printemps, nous [les communautés autochtones] avons appuyé la cause étudiante parce qu’on jugeait que c’était juste, et aussi, bien sûr, parce que ça touchait aussi les Autochtones avec l’accès aux prêts et bourses… Alors c’est comme si une solidarité s’était déjà développée entre Autochtones et Non Autochtones ».

Dans cette optique, Idle No More pourrait très bien devenir une lutte beaucoup plus large. Et si Idle No More était le nouveau Printemps érable?

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Certains tracent déjà le parallèle. Hier, dans le Toronto Star, la chroniqueuse Chantal Hébert soulignait les similitudes entre les deux mouvances, proposant même que Theresa Spence serait à Idle No More ce que Gabriel Nadeau-Dubois a été à la lutte contre la hausse des frais de scolarité, au Québec. Personnaliser la lutte pour y donner de l’éclat et de l’attention médiatique, et hop! Boule de neige. Puis, elle avançait même que si Harper ne prête pas une oreille attentive à Idle No More « [it] could snowball into the biggest challenge [He] has encountered since he was first elected as prime minister seven years ago this month. »

Et en effet, le Printemps érable nous aura appris qu’il peut coûter cher à un gouvernement de jouer la carte du mépris et de l’indifférence. Stephen Harper s’y risquera-t-il?

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Par ailleurs, la comparaison est d’autant plus pertinente si on souligne qu’une expression pastichant l’appellation « Printemps érable » a déjà été conçue pour désigner le déferlement prochain – escompté, du moins – de la vague Idle No More : le « Native Winter ».

Fait anecdotique, mais révélateur, on trouve déjà sur la Toile quelques versions de ce mème qui reprend la célèbre citation « Brace yourselves, Winter is coming », de la série Games of Thrones. On peut y lire : « Brace yourselves, Native Winter is coming ».

Or, si déjà le « Native Winter » a infiltré la culture 2.0, c’est que l’idée se fraye indéniablement un chemin vers le « mainstream ». Qui plus est, notons qu’Idle No More bénéficie déjà d’une visibilité considérable, sur le web. Sur Facebook, plus de 48 000 personnes aiment la page de la communauté. Considérant que la page a été créée le 29 novembre dernier, c’est impressionnant. Et sur Twitter, près de 2000 personnes suivent par exemple le compte @IdleNoMoreQc, à ce jour. Sans vouloir jouer la consultante web de pacotille : constituer un tel bassin d’abonnés en si peu de temps prouve qu’un intérêt certain a été suscité, auprès de la population. Certes, sur les réseaux sociaux (avec un « r » roulé), le hype n’est souvent qu’un feu de paille, mais il ne faut pas en sous-estimer la puissance. Suffit de rappeler à quel point ce printemps, la culture web et ses canaux de diffusion ont catalysé la mobilisation étudiante.

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On ne peut prédire l’ampleur que prendra Idle No More. Mais chose certaine, ce mouvement marque déjà un précédent historique plutôt encourageant : une ouverture réelle et une lutte coordonnée entre toutes les nations canadiennes.

Comme une brèche de lumière alors que notre démocratie traverse de bien sombres jours…

Pour ce qui est de Theresa Spence, si Stephen Harper continuait de l’ignorer et que le pire devait se produire, il purgerait définitivement le politique de ce qu’il lui reste d’humanité.

« Mais ça ne se fait pas ceci, ça ne se fait pas cela… » – Non. On ne laisse pas mourir un être humain par souci du décorum.

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Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti !