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Qui a gagné le premier débat francophone?

Certainement pas les téléspectateurs, en tout cas.

Par
Pier-Luc Ouellet
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Mercredi soir avait lieu le premier débat francophone dans ces 43e élections fédérales.

J’ai donc pris mon courage à deux mains, et interrompu mon émission de lutte pour écouter le débat fédéral.

C’est dire à quel point je vous aime, chers lecteurs.

C’est difficile de déterminer un gagnant clair, parce que tout le monde va penser que son chef était le meilleur.

Les débats, ce sont de drôles de bêtes. C’est censé être là pour aider les gens à se faire une idée, mais ceux qui les écoutent avec le plus d’intérêt sont souvent ceux qui savent déjà pour qui voter et qui écoutent ça comme une game de hockey, en prenant pour leur «équipe» préférée.

C’est donc difficile de déterminer un gagnant clair, parce que tout le monde va penser que son chef était le meilleur.

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Je vous propose donc de revenir sur la performance de chacun des chefs et de tenter de dresser le bilan de leurs performances individuelles.

Avec le moins de partisanerie possible (ou presque).

Justin Trudeau

C’est un peu plus difficile, à mon avis, de participer à un débat comme premier ministre sortant.

Quand t’es un simple aspirant, tu as le beau jeu pour dire qu’avec toi, le soleil va briller plus fort et les oiseaux vont chanter plus clair. Ce que je veux dire, c’est que c’est plus facile de faire des promesses que de défendre un bilan. On va arrêter avec les métaphores pas claires, un moment donné, promis.

Justin Trudeau s’en est relativement bien tiré. Il a su se positionner comme un entre-deux entre les promesses généreuses de Jagmeet Singh et la rigueur budgétaire d’Andrew Scheer.

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Dans les circonstances, Justin Trudeau s’en est relativement bien tiré. Il a su se positionner comme un entre-deux entre les promesses généreuses de Jagmeet Singh et la rigueur budgétaire d’Andrew Scheer. Et pour quelqu’un qui se fait souvent traiter d’amateur ou de jeune nono, il avait l’air d’un chef d’État.

Mais ça ne veut pas dire qu’il a offert une performance parfaite, loin de là.

D’abord, il se mettait à tutoyer Andrew Scheer aléatoirement («TOI, Andrew Scheer, est-ce que VOUS croyez que les femmes devraient avoir le droit de choisir?»), et c’était franchement bizarre.

Mais surtout, il a passé un mauvais moment quand est venu le temps de parler de la loi sur la laïcité.

Je ne suis pas vraiment un partisan de la loi 21, loin de là. Mais s’il y a quelque chose que les Québécois n’aiment pas, plus que n’importe quelle loi provinciale, c’est quand le gouvernement fédéral vient leur dire quoi faire. On veut pas se séparer, mais on veut pas se faire dicter notre façon de vivre non plus.

Et là-dessus, Justin Trudeau, en disant qu’il contesterait la loi 21 et en faisant un rapprochement malhabile entre les partisans de la loi 21 et l’extrême droite, s’est positionné comme un premier ministre qui dirait aux Québécois quoi faire. Évidemment, Yves-François Blanchet s’en est régalé.

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Cela dit, je crois que la stratégie de Trudeau au Québec était de se positionner comme une alternative aux conservateurs, comme étant le moins pire.

Andrew Scheer

Longue soirée pour Andrew Scheer.

À sa défense, le chef conservateur était en territoire ennemi. Le Québec est la province qui vote le moins conservateur. Scheer a une maîtrise correcte du français, mais ce n’est pas sa langue maternelle.

Et surtout, TVA a décidé de commencer le débat en parlant longtemps d’avortement.

Je suis content qu’ils l’aient fait; c’est une question importante de laquelle on doit parler compte tenu des évènements de la dernière année chez nos voisins du sud (et même ici).

Mais les 10 premières minutes du débat allaient ainsi:

«- Êtes-vous pour ou contre le droit à l’avortement?

– Le PCC ne rouvrira pas le débat sur l’avortement.
– Mais vous, personnellement, êtes-vous pour ou contre le droit à l’avortement?
– Le PCC ne rouvrira pas le débat sur l’avortement.
– MAIS VOUS?
– Le PCC ne rouvrira pas le débat sur l’avortement.»

Répétez pendant 10 minutes.

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Évidemment, Scheer voulait éviter de dire qu’il s’oppose personnellement à l’avortement, parce qu’il sait que ça passe mal au Québec. Mais, malheureusement pour lui, le silence parle tout autant et ça ne risque pas d’avoir fait le délice des Québécois.

Mais en même temps, si les propos d’Andrew Scheer sur l’environnement et l’avortement ne font pas mon bonheur, je doute très fort qu’ils aient fait sourciller ses partisans conservateurs.

Il ne perdra pas d’intentions de vote au Québec, mais je doute fortement que ce débat ne lui permette de faire des gains.

Jagmeet Singh

Jagmeet Singh a un grand avantage: il a une bouille extrêmement sympathique, et une personnalité charmante. Mais il a aussi un grand problème: Jack Layton avait aussi une bouille extrêmement sympathique, et une personnalité charmante, les Québécois ont voté pour son parti en 2011, pis ils ont été déçus et ils ont abandonné le parti orange aux élections suivantes.

Pour reprendre une expression abondamment employée hier soir, les Québécois ont déjà vu le film.

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Mais peu importe ce que Monsieur Singh peut avoir dit sur l’environnement, sur l’assurance-médicaments, sur la démocratie et sur l’économie, on ne retiendra probablement tous qu’une seule phrase: sur la langue française, Jagmeet Singh a dit qu’il était tombé amoureux du français en arrivant au pays, et qu’il avait appris le français en écoutant des cassettes de Roch Voisine et de PATRICK BRUEL!

Oh non, Jagmeet, personne t’as dit…?!?

S’il te plaît, prochain débat, ne dit pas que tu tiens ton sens de l’humour de Gilbert Rozon.

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Yves-François Blanchet

Le débat francophone, surtout celui de TVA, c’est toujours le gros party pour les chefs du Bloc Québécois, et ça n’a jamais été aussi vrai qu’hier soir avec Yves-François Blanchet.

M. Blanchet avait un double avantage: le français est sa langue maternelle (contrairement à Justin Trudeau, qui parle une langue imaginaire avec un accent francophone).

Bien sûr, M. Blanchet avait un double avantage: le français est sa langue maternelle (contrairement à Justin Trudeau, qui parle une langue imaginaire avec un accent francophone), et il n’a besoin de parler qu’à un seul électorat, les Québécois.

Mais encore faut-il savoir profiter des avantages, et il a bien su le faire.

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Le génie de la stratégie bloquiste est dans sa simplicité: François Legault est le premier ministre le plus populaire de l’histoire du Québec, m’a dire comme lui.

Voilà, c’est tout.

Il a compté des points en disant être pour la loi 21. Il a compté des points en disant qu’il était nationaliste, comme François Legault.

C’est simple, mais c’est efficace.

Son message est clair: vous aimez ce que François Legault fait? On va faire la même affaire à Ottawa.

Ce n’est pas un argumentaire qui me rejoint beaucoup personnellement, mais avec un taux de satisfaction de 64% envers la CAQ, ça risque de parler à plusieurs Québécois.