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1990. J’ai un magnétophone mono en guise de chaîne stéréo. Je le partage avec mon frère jumeau avec qui, bagage d’ADN aidant, apprécie la même musique que moi.
À ses côtés, cinq-six cassettes qui auront servi – au grand dam du grand frère qui avait déjà transcendé la pop commode des premières années de vie – de trame sonore à cette époque. Parmi celles-ci, Au maximum, de Nathalie Simard, album dont je n’ai plus aucun souvenir à l’exception de À ton départ, glorieuse power ballade couverte de trois-quatre couches épaisses de fromage, chantée par une Nathalie hystérique et qui se plaît à danser le limbo sous la fine ligne qui sépare la peine d’amour de la crise de nerfs. Le temps nous aura appris que la crise de nerfs était sans doute l’option la plus logique de l’époque, compte tenu de la situation. Mais bon.
À ton départ reste une belle chanson de merde avec des paroles qui laissent, au mieux, dubitatif.
Pourtant, cette chanson obnubilait le petit garçon que j’étais. À ton départ était la dernière chanson de la face A de ma cassette et, parfois, comme elle avait le don de me virer à l’envers, je me surprenais souvent à délibérément tourner la cassette de côté avant même d’arriver à cette titanesque ballade.
Je me rappelle avoir versé quelques larmes en écoutant À ton départ.
J’avais sept ans. Faut me pardonner.
Ou pas.
2014. 3h00 du mat’, l’un de ces jours de semaine de février qui te fait regretter d’être debout à cette heure improbable pour le travailleur de 9-à-5-mais-ben-plus-10-à-6 que je suis. Dans ma tête, comme un mantra qui s’impose à moi, une mélodie. Celle du Nouveau vocabulaire, d’Antoine Corriveau. Cyclique, d’une simplicité ahurissante, mais qui sert son texte impétueux d’une telle façon que je ne peux faire autre chose que de jouer au somnambule du mardi soir afin d’élucider le mystère entourant son délicat éclat.
Qu’est-ce qui fait de cette chanson, comme celle de la dame Simard d’ailleurs, un truc dont je me souviendrai probablement toute ma vie ? Qu’est-ce que ces deux titres ont en commun ?
La mélodie ? Le texte ? La réalisation ?
Rien.
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Via un sondage (pas très scientifique) passé sur Facebook, quelques bribes d’idées.
« Les hooks sont super importants », « KEY CHANGE !» et autres « Parle à Boom Desjardins, il s’y connaît bien en bonnes chansons », sont quelques exemples de réponse à cette question épineuse.
«Catchy musical hook comes first, but lyrics must be solid. If lyrics are pablum, then catchy hook can’t save the song. Inversely, the best lyrics in the world will not save musical dreck.»
– Suzanne Nuttall, auteure-compositrice-interprète.
On pourrait passer des jours à en parler. Qu’est-ce qui fait une bonne chanson ? En tant que journaliste musical, j’écoute avec deux organes : mon cerveau et mes couilles. Parfois, mon cerveau adore et mes couilles détestent. Parfois une pièce titille mon bas de ventre alors que mon esprit sait très bien que ce titre ne s’avère que de la bouillie pour chats. Et dans les cas magiques, dans les moments éphémères de grâce, testicules et tête s’accordent.
Donc, le truc n’est pas rationnel, vous aurez compris ça. On aura beau étudier les effets de Norah Jones sur le matière grise des rats de labo qu’on ne pourra pas justifier pourquoi L’aigle noir de Marie Carmen en a fait craquer plus d’un.
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Cette semaine, dans le cadre d’un partenariat suprachouette avec la SOCAN, BRBR a demandé aux cinq artistes en lice au Prix de la chanson SOCAN 2014 – Jimmy Hunt, Klô Pelgag, Louis-Philippe Gingras, Philémon Cimon et Patrice Michaud – de prendre part à la réflexion.
Plusieurs ont su esquiver avec brio la question. D’autres, dont l’affable Patrice Michaud, ont mis le doigt sur quelque chose :
«Si t’es capable de transférer tout ce qui brille au début [de la création musicale] pour que ça puisse briller à la fin, je pense que t’as une bonne chanson. Ne reste plus qu’à la chanter et espérer qu’elle se ramasse dans les bonnes oreilles.»
À défaut de pouvoir trouver une réponse qui saura satisfaire tant créateurs, critiques musicaux que mélomanes du dimanche, je vous lance une invitation. BRBR diffusera sur son site web le spectacle du Prix SOCAN de la chanson 2014 présenté dans le cadre des FrancoFolies de Montréal ce lundi, 16 juin dès 19h30.
Lors de ce spectacle, vous aurez la chance de découvrir ces artistes qui représentent la crème de la chanson francophone en 2014. Peut-être y trouvera-t-on des réponses.