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Quel est le rapport entre ma conduite et la sodomie?

Quand la rage au volant se transforme en homophobie éhontée.

Par
Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques
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TW : Insultes homophobes dans un long récit.

« Crisse de t*pette!!!! »

« Petite queue!!! »

« Crisse de petite queue!! »

« Tu te crosses yinque avec deux doigts! »

« Tu peux ben avoir le cul plein de sperme! »

Longue mise en contexte :

En rentrant chez moi, après avoir retrouvé ma moto, je roule sur la rue Sherbrooke assez achalandée.

À un feu rouge, je m’arrête devant deux voitures. Le feu passe au vert et la première voiture de ma voie cale et, suivant l’ordre naturel, je tente de la contourner. Au même moment, la voiture devant moi exécute la même manœuvre. Nous nous arrêtons subitement et il me laisse passer.

Le malentendu de la manœuvre m’a poussé dans l’autre voie, celle de gauche, coupant brièvement celui qui deviendra le géniteur des précédentes citations et qui, comme tous les rois du monde, s’annonce par un clairon triomphal. Certains monarques utilisent de vraies trompettes. Lui, modeste, a préféré le klaxon essoufflé d’une Honda couleur « c’est le char de ma grand-mère… ».

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Malgré l’agressivité exagérée de son annonce, je ne le conteste pas. Quoique faite à très basse vitesse, ma manœuvre était spontanée et imprévisible. En plus, j’ai une moto et je devrais redoubler de prudence. Mea maxima culpa. J’accélère doucement pour continuer mon chemin.

Mais lui, pendant les quatre minutes suivantes, me klaxonne chaque fois que je veux retrouver ma voie initiale. Peut-être m’a-t-il déjà entendu parler avec passion de monarchie? Peut-être veut-il me faire vivre l’expérience d’être en présence d’un vrai roi!

Assurément, ça ne peut pas être de la colère. C’est un incident banal à hyper basse vitesse, sans conséquence, qui n’a duré qu’une seconde. En fait, son klaxon doit m’avertir d’un bris sur ma moto… Je ralentis. Il me dépasse en trombe, me coupe et freine sec devant moi. À peine ai-je le temps de freiner qu’il sort gracieusement sa main et m’offre son doigt le plus honorable en guise de salutation.

Finalement, il ne s’était pas calmé.

Cela dit, c’est définitif : j’ai rencontré un empereur!

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Je continue mon chemin, sur ma voie et toujours sur la rue Sherbrooke. On se perd quelques coins de rue pour mieux se retrouver à l’intersection qui me mène chez moi. Lui s’est payé le luxe de changer de voie.

J’arrive au dernier coin de rue avant de tourner à gauche vers chez moi. C’est à ce moment que j’apprends que si le temps guérit les blessures, 10 minutes ne suffisent pas à guérir celles d’un incident sans histoire.

Il fait mine de brusquement me couper (j’ai compris que c’était une reconstitution de l’événement traumatisant vécu il y a 11 minutes).

Sauf que cette fois, c’est un autre contexte. Si sa rage est née alors que nous étions à l’arrêt et qu’il y avait de l’espace pour freiner, sa vengeance s’est manifestée en pleine décélération, à 40 km/h, et ne me laissait que deux options : soit je fonçais sur lui et étais éjecté de ma moto. Mais, voyant sa gestion émotionnelle suite à notre incident, je me doutais qu’il n’apprécierait pas les égratignures de notre probable collision… Sinon, je déviais encore plus à ma gauche, ce qui aurait eu l’avantage de ne pas abîmer son carrosse royal, mais le désavantage de me pousser dans la voie à contre-sens alors que des autos approchaient.

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Farceur comme pas un, il retrouve sa voie au moment où je dois prendre la décision fatidique et me laisse le dépasser. Étant sensible à sa fragilité émotionnelle, je lui envoie un pouce en l’air.

Au pire, il comprend que j’ai compris et on retourne à nos existences. Au mieux, il comprend l’ironie de mon geste, on admet nos torts et on retrouve nos chemins d’étoiles vagabondes. Il baisse alors sa fenêtre et me crie : « Petite queue!! »

Sur le coup, je n’en revenais pas! Petite queue? Qu’une adolescente dise ça en 2004, c’est une chose (qui annonçait quand même l’absence totale de créativité et d’habileté pour insulter). Ça, ç’en était une autre.

C’était donc ça qu’il ruminait dans son auto depuis 10 minutes? Je ne suis pas psychologue, mais… je ne crois pas que d’obséder sur la taille de mon « bâton des plaisirs » est une bonne façon de se détendre.

Calmement, je lui demande s’il va bien. Fut un temps où un simple oui ou non répondait à la question. Lui, en avance sur mon intelligence, m’a répondu en décrivant et mimant ma technique masturbatoire. J’avoue que la reconstitution, quoique manquant visiblement de rigueur, m’a offert l’image d’un quinquagénaire rouge de rage en train de masturber le vide seul dans son auto de la déception en me criant, les doigts en pince de homard : « C’est de même que tu te crosses!!! Check!!! Tu te crosses yinque à deux doigts!!!! »

Je suis jaloux de n’avoir jamais imaginé une image aussi drôle.

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Je retiens mon rire le plus éclatant et le troque pour un : « D’accord… »

Il enchaîne aussitôt avec sa spéculation à propos de ce qui meublait ma zone rectale. Avant, comme tout homme de prestige et d’audace, de fuir vers l’inconnu.

Bref, à toi, l’homme dont l’immatriculation comporte un H (j’ai mémorisé ta plaque!), tu as raison! Ma manœuvre était cavalière. Je m’excuse de t’avoir ébranlé. Je n’aurais jamais dû.

Cela dit, j’ai quelques questions :

1- Quel est le rapport entre ma conduite et la sodomie?

2- Crois-tu, au terme de ta déduction basée sur mes 15 minutes de conduite, que je devrais attendre de me définir par quelque chose de plus tangible que « j’ai accidentellement forcé une auto à freiner sur Sherbrooke » pour faire mon coming-out?

3- En quoi se faire sodomiser est-il une insulte?

4- Pour un homophobe, est-ce que c’est une bonne idée de cultiver des images de mon micro phallus, de mon « poignardage de fourche » et de mon rectum garni pour se calmer?

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5- Comment ça fonctionne (je ne connais pas encore très bien le monde de la moto) : est-ce que tous ceux avec le cul plein de sperme conduisent systématiquement mal en moto? Ou est-ce ceux qui conduisent mal en moto qui ont le cul plein de sperme? J’ai dû rater ce module dans mes cours…

6- Vas-tu bien? Je veux dire… pour qu’un incident aussi bref que banal te transforme en chauffard homophobe au point d’oublier que c’est puéril et surtout inadmissible comme paroles, je me dis que ta vie ne doit pas être simple. À moins que tu étais déjà un chauffard homophobe avant l’incident? Bref, est-ce que je peux t’aider?

Que tu sois enragé, c’est une chose. Que tu m’accuses d’avoir un petit pénis, ça me fait rire! Que tu imites mes plaisirs solitaires, ça me fait encore plus rire!

Tu m’amusais jusqu’à ce que tu deviennes homophobe. Non seulement c’est totalement inefficace dans mon cas parce que je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de honteux dans le fait d’être homosexuel, mais c’est surtout viscéralement imbécile, inapproprié et absolument inacceptable. Donc, voici mes deux dernières questions :

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7- Maintenant que tout ça est derrière toi, es-tu satisfait d’avoir crié des paroles qui perpétuent la peur et la gêne qui privent encore certains hommes de s’émanciper alors que c’est un droit existentiel fondamental? Ton objectif est atteint?

8- Voir question 6.

Amicalement et sincèrement,

Philippe-Audrey