Quel est ce mystérieux chiot errant?

Préambule tire-larmes

Un ami part en voyage pour plusieurs mois et nous confie la garde de son magnifique braque de Weimar. Après trois mois, dans la nuit de Pâques 2012, le chien meurt subitement d’une torsion de l’estomac. Sous le choc, nous décidons d’un commun accord de ne jamais avoir de chien : ça fait beaucoup trop mal.

Mireille : Une belle journée de juillet, à Montréal. Je sors faire une course et me retrouve face à un chien seul et sans collier, qui circule nerveusement. Je tente de le suivre, craignant qu’il se fasse frapper, mais le perds rapidement.

Deux policières ont été alertées par le signalement d’un chien errant, qui se serait réfugié dans le jardin communautaire, derrière chez nous. Leurs manœuvres abruptes pour le capturer à la perche échouent. La pauvre bête jappe et grogne à leur approche. Visiblement, la psychologie canine ne fait pas partie de leur formation.

Je vais m’asseoir au milieu du jardin verdoyant et multiplie les signaux d’apaisement en laissant venir l’animal. Ça finit par porter fruit : le chien me renifle doucement la pommette, puis s’asseoit dos à moi, comme pour dire : «OK, toi t’es safe». Un premier lien s’établit. Le calme revient.

C’est un chien de taille moyenne, peut-être même pas adulte. Poil court et blond, silhouette élancée. Il ne ressemble à aucune race, mais possède d’irrésistibles atouts : des yeux hyper expressifs et de petites oreilles qui retombent en triangle.

Au bout de deux heures, les deux patrouilleurs de la SPCA appelés en renfort arrivent enfin. Le chien se sent traqué. On me confie un collier à lui enfiler, mais je refuse de le prendre par surprise et le chien n’y vient pas de lui-même. Les agents sortent la perche. L’animal panique et se réfugie entre mes jambes. Sa confiance m’émeut. Je lui passe enfin le collier et propose de l’amener chez nous pour faciliter la passation. Le plan est jugé trop risqué. Les agents le tirent vers leur fourgonnette, mais le chien refuse d’y grimper. Il me lance un regard implorant. Soucieuse qu’il ait une chance de retrouver ses humains, je lui lance un : «Saute»! Et il saute aussitôt.

Olivier : En rentrant chez nous, je trouve une Mireille encore remuée par cette rencontre inattendue. Elle me raconte tout, et nous décidons de faire le suivi de ce chien mystérieux que ses maîtres vont sûrement réclamer.

Alors que ma blonde relate son aventure sur les réseaux sociaux, nous nous apercevons que nous sommes à un degré de séparation de la moitié du personnel de la SPCA Jean-Talon!

Nous rendrons quatre visites à ce chien – qui s’avère être une chienne – durant ses cinq jours derrière des barreaux où est accrochée l’infamante inscription CHIEN AGRESSIF. Sa réactivité empêche apparemment les promeneurs bénévoles de la sortir. Et personne ne la réclame.

L’idée germe d’adopter cette petite chose dont le regard profond a croisé le nôtre. Malheureusement, en dépit de l’impression de Mireille, l’évaluation comportementale n’est pas rassurante.

Nous faisons alors appel à notre amie Zuzia Kubica, une intervenante en comportement canin qui, par chance, connaît la directrice de la SPCA. Celle-ci accepte de nous laisser en tête à tête avec la bête pour envisager une «adoption humanitaire». C’est le coup de foudre. Nous l’adoptons dès le lendemain et apprenons du même coup qu’elle aurait sans nous été euthanasiée.

Nous venons de lui sauver la vie.

Sans race, sans historique familial, sans dossier médical et sans identité, cette chienne portera désormais le nom de notre thé vert préféré.

Nos âmes connectent, nos cycles biologiques se synchronisent, elle transforme en triumvirat notre couple pourtant fusionnel, infusant cette énergie positive dont les chiens ont le secret. Elle grogne parfois de joie et son dessus de tête sent le gâteau.

Qui a pu abandonner ou perdre une chienne aussi formidable?

À la maison, Sencha est parfaite : polie, tendre, joueuse, indépendante, et bougrement intelligente. Elle s’épanouit et se fait plein d’amis au parc canin. Mais sa méfiance envers les inconnus laisse entrevoir le côté obscur de son passé : un manque de socialisation, peut-être même des mauvais traitements. Après un an, elle se met à fuir aussi les contacts avec ses congénères. Il nous faudra patience et doigté pour la réhabiliter à force de désensibilisation et de rééducation. Aujourd’hui, beaucoup plus sereine, elle nourrit de belles relations avec quelques bipèdes et quadrupèdes triés sur le volet.

Sencha avait environ un an quand Mireille l’a trouvée. Contrairement aux apparences, elle n’est donc pas un chiot.

Vive, athlétique et légère, elle fait des merveilles en freestyle et en agilité canine. Et ça canalise son hypervigilance. C’est aussi une redoutable chasseuse d’écureuils, capable de bondir à six fois sa hauteur!

Nous lui avons trouvé une «cousine» américaine en Xena, The Warrior Puppy, un chiot sauvé de la mort de justesse, et qui est devenue la meilleure alliée d’un jeune autiste. Comme ils disent: Adopt, don’t shop!

Neuf ans après son adoption, nous nous émerveillons encore plusieurs fois par jour sur cette petite patipulatrice qui collectionne les surnoms, de Ronchita Banana à Zinzinette en passant par Princesse Déglutine.

Dans l’espoir de savoir ce qui se cache sous ce poil soyeux, nous nous sommes offert un test d’ADN. Deux, en fait, le premier étant peu crédible – du chow-chow, sérieusement? Le second, extrêmement détaillé, a confirmé ce que nous pensions : Sencha est un croisement d’American pitbull terrier – mais ses gènes de berger allemand étaient passés sous le radar! En tant qu’ardents défenseurs des attachants et mal-aimés pitbulls, nous sommes ravis de voir révélée une partie de son énigme génétique.

Pour le reste, elle demeurera un adorable mystère!