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Débarquer au Québec pour le meilleur ou pour le pire

Histoires de Français qui débarquent au Canada.

Par
Guillaume Denault
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Parce qu’on partage une langue et des racines lointaines, on pense que les Français qui débarquent ici s’intègrent aussi facilement que de la moutarde de Dijon dans un tartare d’orignal.

Mais ils sont aussi une méchante gang à déchanter après leur arrivée. Ils nous trouvent fermés et susceptibles — et pas particulièrement intéressés à devenir leurs amis. Est-ce que c’est vrai qu’on est plus prompts à les traiter de « maudits Français » qu’à les inviter à prendre une bière ?

LE GRAND CHOC

Dans une famille, il y a toujours des cousins qu’on scrute du coin de l’œil à Noël en se disant : « Coudonc, est-on censés se ressembler ? » C’est ce que pensent avec stupeur plusieurs Français qui immigrent au Québec. Regards sur un choc culturel souvent inattendu entre des francophones qu’un océan sépare (au propre comme au figuré).

Quand on débarque dans une contrée lointaine, les surprises n’ont pas besoin d’être particulièrement grandioses pour s’avérer marquantes. De ses premiers moments passés au Québec en 2012, Marine G., une expatriée française de 50 ans, se souvient par exemple d’un arrêt au McDo. « Le choc ! La grande frite, elle était trois fois celle en France ! »

Dans son nouveau patelin de Brossard, Marine a multiplié les découvertes de taille : « gros » camions, « immenses » machines à laver, « énormes » jus de fruits… Elle a aussi aperçu son premier La-Z-Boy en personne (« j’en avais vu dans Friends », précise-t-elle) et photographié sa fille montant dans le « car des Simpsons », aka l’autobus scolaire jaune.

« Ça, c’est un choc culturel amusant », note Marine. Plus que le prix du vin et du fromage, qui « fait mal ». Mais, surtout, beaucoup plus drôle que ce choc encaissé durement par plusieurs immigrants français : celui des rapports humains.

LE MALAISE HISTORIQUE

La statistique peut surprendre : de 20 à 30 % des Français qui immigrent au Québec vivent un malaise « assez fort » dans leurs relations avec les Québécois francophones, rapporte une enquête menée en 2009 par le professeur de HEC Montréal Jean-Pierre Dupuis auprès de 930 Français installés ici.

« En France, les Québécois sont très populaires, observe le sociologue et anthropologue. Quand les Français arrivent ici, ils se disent : “Nous, on aime les Québécois, alors ils doivent nous aimer autant”. La réalité est plus complexe… »

« En France, les Québécois sont très populaires, observe le sociologue et anthropologue. Quand les Français arrivent ici, ils se disent : “Nous, on aime les Québécois, alors ils doivent nous aimer autant”. La réalité est plus complexe… »

Les Québécois auraient, vis-à-vis de leurs cousins d’outre-mer, une méfiance historiquement construite, selon le chercheur. Si votre secondaire 4 remonte à loin, voici un bref rappel des faits.

Après la conquête britannique, la Nouvelle-France a, grosso modo, été coupée de sa mère patrie pendant 100 ans. « Ça explique qu’on soit aussi différents », souligne Jean-Pierre Dupuis.

Quand les relations ont repris, deux vagues d’immigration française ont créé des frictions. Une première, au tournant du 19e siècle, était constituée de religieux fuyant la France laïque et souhaitant réformer le Canadien français. Une deuxième, dans les années 50 et 60, était formée de beaucoup de Français venant de quitter les colonies africaines. « Ceux-là avaient l’esprit plutôt dominateur », constate le professeur.

De là viendraient certains des préjugés que traînent les Québécois — dont le classique « les Français se sentent supérieurs » — et qui rendent nos relations pas toujours aussi chaleureuses qu’une rencontre Trudeau-Macron.

AU REVOIR, MONTRÉAL

Noëllie Tanasi, 30 ans, en sait quelque chose. Savoisienne d’origine, elle s’apprête à rentrer en France après à peine un an de vie montréalaise. Cette fille sociable, qui a habité en Turquie, en Australie et en Nouvelle-Zélande, a frappé un mur : elle est incapable de se faire des amis ici. Ou, plutôt, des amis d’ici.

« Des amis français, j’en ai beaucoup. On s’organise des fins de semaine en chalet, on fait de la pêche sur glace et du ski-doo… On essaie de faire comme vous ! Mais on est toujours juste entre Français. »

« Ça fait rire au début. Mais, au bout d’un moment, on se rend compte qu’on est attaqués en permanence », lâche la Française désenchantée.

Noëllie en a pourtant côtoyé pas mal, des Québécois sympas. Sympas, mais distants, voire désintéressés. « Au bureau, mes collègues étaient top, raconte-t-elle. Mais à la fin de la journée, personne ne me disait : “On va prendre un verre ?” Et, rendus dans le métro, on ne se parlait même plus ! »

Les fois où elle est sortie avec des collègues, elle s’est étonnée que chacun rentre avec son propre taxi. « Même quand on vivait à trois rues l’un de l’autre ! »

Mais c’est l’« hostilité » de certains qui lui a fait le plus mal. En quelques mois, Noëllie a entendu son lot de commentaires agressifs : « Tu ne trouves pas qu’il y a assez de monde, ici ? », ou « C’est à cause de vous que les loyers explosent ! » Sans oublier l’incontournable « maudite Française »…

« Ça fait rire au début. Mais, au bout d’un moment, on se rend compte qu’on est attaqués en permanence », lâche la Française désenchantée.

LES VRAIES AFFAIRES

Autre Noël, autre histoire. Après sept ans au Québec, Noël Grospeiller, 52 ans, se targue de passer aujourd’hui plus de temps avec des Québécois qu’avec des Français. Un succès acquis à la dure.

Quand il a atterri dans une entreprise québécoise, il a été frappé de plein fouet par la complexité des échanges interculturels. « Les Français, on dit les vraies choses. Au Québec, on préserve les susceptibilités », résume-t-il.

«Les Français, on dit les vraies choses. Au Québec, on préserve les susceptibilités.»

Avec son style direct, Noël est souvent passé pour le « méchant ». Comme auprès de cette employée à qui il a un jour exprimé que son attitude était « inacceptable ». En sortant de son bureau, c’est elle qui s’est plainte aux autres qu’elle n’aimait pas sa manière de parler.

Le spécialiste de l’expérience client — bel adon ! — a fini par comprendre qu’avec le Québécois, il faut être « beaucoup plus rond, patient, empathique ». Au lieu de dire « je ne suis pas satisfait de ton travail », Noël dira « je ne pense pas que tu t’épanouisses au sein de l’entreprise dans son contexte de changement actuel ». Belle rondeur, en effet.

« Pour créer des liens, j’ai radicalement changé ma manière de communiquer », affirme Noël. La métamorphose a été ardue, mais il ne la regrette pas. « Pour moi, il y a deux options : soit t’es un Français au Québec, soit t’es un Français intégré au Québec. »

IMMIGRANTS PRIVILÉGIÉS ?

Vous trouvez qu’on exagère, qu’on brosse un portrait trop sombre ? C’est clair qu’il y a une pelletée de Français qui font leur place au Québec dans la joie et l’allégresse. Et vu qu’ils parlent la langue officielle et forment une minorité audible, plutôt que visible, ils l’ont souvent bien plus facile que d’autres immigrants.

Mais le professeur Dupuis hésite à les qualifier d’immigrants « privilégiés ». Le taux de rétention des immigrants français reçus au Québec tourne autour de 75 %, expose-t-il. Ça veut dire qu’environ 25 % d’entre eux finissent par partir. (Pour comparer, le taux de rétention des immigrants maghrébins avoisine les 85 % et celui des haïtiens dépasse les 90 %, tandis qu’il est proche de 50 % dans le cas des immigrants chinois et indiens.)

Les raisons pour remballer ses affaires et sauter sur un vol Air France (ou Air Transat, quoique la bouffe y soit moins bonne) sont nombreuses : parents vieillissants, difficultés à trouver un emploi à la hauteur de ses attentes ou de ses diplômes de grandes écoles, insatisfaction vis-à-vis du système de santé et d’éducation… « Et certains s’en vont parce qu’ils n’en peuvent plus », observe le chercheur. Noëllie est loin d’être une exception.

APRÈS LE CHOC

Et la Marine du McDo de Brossard ? Toujours au Québec. Et ici pour rester. La sympathique Française s’est habituée aux dimensions nord-américaines. Surtout, elle a apprivoisé « le Québécois » — autant la personne que la langue.

« Il y a énormément d’ambiguïtés dans les conversations », analyse Marine. Par exemple, elle a appris qu’être « invitée » au restaurant pour une fête d’anniversaire en groupe, ça ne veut pas dire que l’organisateur paye la facture. L’apprentissage lui a coûté à peu près 150 $.

Au quotidien, elle clarifie constamment les termes, quitte à passer pour une « râleuse ». Et quand elle pose une question — disons « veux-tu venir prendre un verre ? » —, elle ne s’attend pas à obtenir une réponse franche. « Souvent, ce n’est ni un oui ni un non, mais un mélange… »

Heureusement, la situation a cessé de la choquer. « J’ai compris comment les Québécois fonctionnent. Je reste comme je suis. Et je ne cherche plus à modifier qui que ce soit ! »

Depuis, elle a trouvé l’équilibre. Ainsi que de grands amis parmi les « locaux », qui sait ? « Il y a un Québécois dont je suis très proche. C’est le premier qui m’a présentée à sa famille. Alors on va dire un. Un en six ans ! » On espère qu’il paye sa facture au resto une fois de temps en temps.

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