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Québec, je ne rirai pas de tes blagues

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Ce texte est extrait du #30 spécial Humour

Je suis née sur le bord du fleuve, dans une forte odeur de varech. Au total, j’ai vu en moyenne un béluga par jour depuis ma naissance. C’est pour dire combien je suis Québécoise. La nuit, je rêve à notre télé d’après-midi et à notre cher star-système provincial. Je rêve, par exemple, de magasiner avec Louison Danis ou de chanter très grave avec Sophie Prégent.

Mais depuis que je suis née, une chose m’échappe : je ne comprends pas de quoi le Québec rit. Pire, j’ai l’impression de rire à contretemps avec lui. Ou peut-être rit-il tout simplement de moi.

La première manifestation de mon syndrome se fit sentir tôt dans l’enfance, un samedi soir, fin des années 1980. L’émission Samedi de Rire faisait un tabac. Yvon Deschamps, une chaise droite, un ruine-babine. Ti-Blanc Lebrun, personnage bicoloré de conteur, avalait toujours son instrument en fin de monologue. Un son d’harmonica fêlé en provenance de sa cage thoracique émanait à chaque inspiration. Je pensais qu’en riant, mon père allait avaler ma mère. Je savais que tout le Québec s’esclaffait en même temps qu’eux. L’enfant pourtant joviale que j’étais n’a jamais vu ce qu’il y avait de drôle là-dedans. Ne voit toujours pas, d’ailleurs.

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Remixer ma vie de Ginette Reno, ça c’était drôle. Céline Dion dans le rôle d’une enfant brutalisée, hilarant. Les cheveux de Lou Diamond Phillips dans La Bamba, ma-lade. À côté de ça, je ne saisissais pas du tout l’effet qu’un harmonica pris en travers d’un larynx pouvait avoir sur un public.

Puis, il y a eu Rira Bien… qui ne m’a fait rire ni bien ni mal. Et Oncle Georges, et Courtemanche, et Sol. Rapidement, j’ai compris qu’il ne me serait jamais nécessaire d’accourir lorsque le Québec me crierait, depuis la pièce voisine : « Marie, viens voir comme c’est drôle! » Je ne serais pas souvent d’accord avec lui.

Dérapage à la taverne

Ma situation s’est empirée avec le temps. Au tournant de mes années ingrates, on m’a traînée de force à une représentation de Broue, « parce que ça fait partie du patrimoine ». Ma crise d’adolescence m’interdisant d’exprimer publiquement une émotion, je ne pleurais pas de honte comme j’aurais dû : je saignais par en-dedans des larmes de bière tablette. Pendant que le Québec (fièrement représenté ici par le public de l’Auditorium Dufour de Chicoutimi) se tordait de rire devant des blagues de mononcle remâchées et recrachées telles quelles depuis 1979, c’est-à-dire depuis beaucoup trop longtemps pour qu’on ne sache toujours pas le nom du troisième comédien, je riais à imaginer comment Francine Ruel avait bien pu s’y prendre pour se faufiler dans la liste des auteurs du show. Et je me questionne toujours, d’ailleurs, à savoir pourquoi, de toutes les réalisations de Francine Ruel, ce ne sont pas plutôt Les Correspondances d’Eastman ou L’été, c’est péché qui font rire le Québec depuis 32 ans. C’était si drôle, L’Été, c’est péché.

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Plus tard, dans le confort de son dimanche soir à la maison, j’ai aussi vu le Québec se bidonner devant L’Heure JMP. Je le soupçonnais fort de rire de fatigue, le Québec. D’avoir vraiment sa fin de semaine dans le corps pour flasher aussi docilement ses lumières. C’était gros, oui, en direct, oui, musicalement confus, oui, mais drôle? Non… Quoique, en y repensant bien, pendant que Jean-Marc Parent jouait à l’handicapé ou nous mettait mal à l’aise en mélangeant constamment « trip de bouffe » avec « trip de cul », je m’attardais au house band… Avec en premier plan le chanteur, Alain Couture, qui savait enchaîner la chanson du petit voilier à un medley de Led Zeppelin en utilisant la même voix hyper aiguë, et osait jouer de la flûte traversière sous une crinière fortement permanentée, le tout à heure de très très grande écoute. Quel exemple d’audace. Pour moi, c’était un cas d’Olivier de l’année.

Le seul endroit où le Québec et moi avons ri main dans la main, c’est devant La Petite Vie. Sans contredit l’émission qui possédait la plus éblouissante et talentueuse distribution de la planète (ex-aequo avec Annie et ses hommes). Et encore, je riais de sentiment de collectivité beaucoup plus que de bon cœur. L’exécution aurait pu être parfaite – je nous voyais bien, le Québec et moi, partager le même souvenir d’hilarité complice jusqu’à notre mort –, mais il a fallu l’impardonnable accrochage de fin de parcours en 2009, un genre de vomi après orgasme, mieux connu sous le nom de La petite vie – Noël Story.

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Par la suite, toute une armée d’humoristes est venue finir de creuser la tranchée qui me séparerait pour de bon du Québec comique. Je ne les nommerai pas, parce qu’il est inutile et très condescendant de faire une énumération d’humoristes que l’on souhaiterait escorter jusque chez l’orienteur. Cependant, à voir le nombre de billets vendus et de supplémentaires annoncées pour certains d’entre eux, il semble que le Québec soit prêt à rire d’à peu près n’importe quoi avec n’importe qui, à n’importe quel prix, à condition que ça commence par « Bonsoir tout le monde, ça va bien? » ou par une vidéo d’archives qui nous assurent que l’humoriste en question est « vraiment comme nous autres ». Parce que oui, le Québec semble ne vouloir rire que des blagues qu’il connaît déjà, ou en tout cas, ne semble pouvoir apprécier l’humour que lorsqu’il se reconnaît dedans. Comme un bébé que l’on place devant un miroir et qui se met à rire quand il constate qu’il existe.

Bien sûr, le problème, c’est moi. C’est inévitablement mon problème si ce qui me fait rire, c’est soit l’humour grec, soit jouer à « Nommer des comédiennes qui ont des voix de fumeuses ». C’est mon problème si je préfère les blagues de monocles* aux blagues de mononcles. Si les Grandes Gueules me font frissonner de malaise et si mon humoriste québécois préféré, c’est Yves Jacques. Je n’y peux rien : je suis de ceux qui trouvent que Kim Thuy est plus drôle que Rachid Badouri.

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Ce n’est pas si grave, au fond. Mais parfois, comme quand je constate qu’on ramène en ondes de vieux personnages du Groupe Sanguin, j’ai un peu le goût de militer pour qu’on change de disque avant qu’on nous redemande de flasher nos lumières le dimanche soir. Le Québec serait bien capable de dire oui.

Jouons plutôt à mon jeu : Guylaine Tremblay, Isabel Richer, Linda Roy, Michelle Rossignol, Pauline Martin, Louise Laprade, Caroline Néron, Dominique Quesnel, France Castel, la fille qui fait la voix d’ARTV… Avouez que c’est drôle.

*« Une fois, c’est un Anglais dans un train qui veut impressionner son voisin français avec son bilinguisme. Il aperçoit une mouche. Il dit au Français : ‘’Oh, wegardez, LE mouche!’’ Le Français répond : ‘’Mais non, LA mouche.’’ L’Anglais retire son monocle et s’exclame : ‘’My Lord, quel bon œil vous avez!’’. Joke de monocle.