J’ai longtemps vécu sur l’avenue du Parc. Je la croise souvent non sans nostalgie, mais une chose ne me manque jamais : l’emprunter à vélo. De la montagne jusqu’au chemin de fer, c’est une jungle sur deux kilomètres que l’on traverse chaque fois soulagé d’en sortir.
Vitesse excessive, poids lourds omniprésents, risque d’emportiérage, feux rouges ignorés, U-turns cowboy de chars parkés en double, chauffeurs rivés à leur cellulaire… Tout le monde sait que l’avenue du Parc est un chaos toléré, malgré sa mauvaise réputation.
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La tragédie de novembre dernier l’a cruellement rappelé : Yaakov Austerlitz, 11 ans, est mort à l’angle même de Bernard et du Parc, fauché par un camion de livraison.
Dimanche matin, l’inévitable s’est répété. À hauteur de Bernard, une cycliste de 31 ans, juchée sur un Bixi, a été happée par un camion. Elle est décédée à l’hôpital.
Que cette artère demeure inchangée, alors que sa dangerosité est connue et documentée depuis des années, relève d’un aveuglement collectif.
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Étrange coïncidence ou hasard funeste : lundi soir, on baptisait un tronçon du REV Saint-Denis au nom de Robert « Bicycle Bob » Silverman, figure emblématique du cyclisme montréalais et pionnier infatigable du deux-roues disparu en 2022.
En 1975, avec Claire Morissette, il fonde Le Monde à bicyclette, première grande organisation canadienne vouée à la défense du cyclisme urbain. Pistes tracées clandestinement, die-ins spectaculaires, provocations contre l’administration Drapeau : leurs coups d’éclat marquent l’imaginaire.
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À l’époque, ils passaient pour des marginaux. Un demi-siècle plus tard, le vélo s’est démocratisé et chaque drame ramène leur cause à l’avant-scène. À quelques mois de son départ, la mairesse Valérie Plante réaffirme sur les tribunes la volonté de son parti de poursuivre dans cette voie.
Pour les militants présents, le choc reste vif. « L’avenue du Parc, c’est l’évidence même, chiffres à l’appui : sept décès et dix-sept blessés graves en dix ans », tranche Magali Brebonne, directrice de Vélo Québec. « La solution exacte, je ne la connais pas. Mais il faut sécuriser cette artère, la pacifier. »
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À ses yeux, l’avenue du Parc doit suivre le chemin de la rue Saint-Denis, profondément reconfigurée ces dernières années. Reste la question cruciale : quel est l’échéancier?
Chez Vélorution Montréal, la colère est la même. « Comment ça, encore? », lance la porte-parole Séverine Le Page. « Il y a deux ans, on faisait une piste cyclable humaine sur Parc, et depuis, il y a déjà eu trois morts. On sait transformer d’autres rues, pourquoi pas Parc? Quel déclic va-t-il falloir? »
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Peu après, une masse critique remonte le Plateau au son des sonnettes jusqu’à l’angle de Bernard et du Parc, s’arrêtant devant le vélo blanc de Saint-Viateur, le troisième de l’artère.
Il n’en faut pas plus pour faire grincer des dents certains automobilistes coincés.
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Le cortège grossit, rejoint par des militants pour un die-in organisé en quelques heures seulement : vélos et corps allongés sur l’asphalte, silhouettes tracées à la craie. Une centaine de participants et autant de curieux assistent à la scène, dont plusieurs membres de la communauté hassidique, intrigués par la démonstration.
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Nombreux réclament une reconfiguration en profondeur de l’artère : piste cyclable, voie réservée aux autobus, dos d’âne, radars photo. Bannir les vélos, comme sur une autoroute, paraît inconcevable : l’avenue du Parc demeure un axe vital, bordé de commerces et d’institutions.
Éviter l’artère implique presque toujours un détour. Or, entre témérité, paresse ou simple nécessité – aller chercher son pain au supermarché PA ou filer vers Parc-Extension – beaucoup continuent de la traverser, malgré les risques. J’en ai longtemps fait partie.
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D’autres rues offrent des alternatives plus apaisantes – Clark, Esplanade, Jeanne-Mance – et le futur REV Saint-Urbain devrait sécuriser les déplacements vers le sud.
Mais en pareil contexte, difficile de comprendre la candidate d’Ensemble Montréal, Soraya Martinez Ferrada, qui propose de revoir le réseau cyclable et même de démanteler certaines pistes. Une posture que plusieurs qualifient d’« électoralisme de fracture », voire d’opportunisme.
« Chaque décès sur nos routes est un décès de trop. Tout le monde sait que cette artère est problématique. L’inaction a assez duré », m’a-t-elle répondu.
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Au bout du fil, Luc Rabouin, maire du Plateau et candidat de Projet Montréal, martèle quant à lui : « Saint-Denis est sécurisée, Saint-Urbain est en chantier. Ce n’est pas le moment de douter du réseau cyclable. » Sur l’avenue du Parc, il rappelle qu’un projet est déjà sur la table : « On travaille sur les intersections et on a demandé des radars photo. L’avenue du Parc, c’est une autoroute. Mais la demande a été refusée. La ville compte seulement huit radars, c’est trop peu pour une mesure aussi efficace. »
Il ajoute rêver à plus long terme d’un tramway, ce qui suppose dès maintenant de rétrécir la rue pour en faire un corridor de mobilité durable.
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À l’heure où la tension entre automobilistes et cyclistes vire au politique, ce drame agit comme un miroir impitoyable. On accuse, on se renvoie la faute, on dresse des camps. Et l’on perd de vue l’essentiel : partager la route et préserver un minimum de vivre-ensemble.
« La bicyclette est l’incarnation même de la liberté. C’est la compagne idéale d’un monde urbain idéal », confiait Silverman en 1981.
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Quarante ans plus tard, ses intuitions apparaissent moins farfelues que prophétiques. Mais sur l’avenue du Parc comme ailleurs, la route reste semée d’embûches, et il faudra encore pédaler fort avant d’espérer rouler en sécurité.
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