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Quarantaine obligatoire : les hôteliers sur les break
« Trop compliqué», « gros bordel», « aucune garantie», « pas d’allure »: plusieurs hôteliers montréalais en ont visiblement gros sur le cœur au sujet du plan fédéral entourant l’imposition d’une quarantaine de trois jours aux voyageurs qui rentrent au pays.
C’est le constat qui se dégage d’une tournée d’une dizaine d’hôtels éparpillés autour de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau.
Ottawa n’a toujours pas annoncé quand les nouvelles mesures entreront en vigueur, mais les hôtels intéressés à accueillir les voyageurs avaient jusqu’à minuit mercredi pour souscrire un appel d’offres.
plusieurs hôteliers se disent dans le brouillard et estiment que le plan contient plusieurs questions sans réponses.
Le hic, c’est que plusieurs hôteliers rencontrés à quelques heures de l’échéance se disent dans le brouillard et estiment que le plan sur la table contient plusieurs questions sans réponses.
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Le gouvernement a en effet dévoilé quelques critères la semaine dernière. En gros, les voyageurs subiront un test de dépistage à la COVID obligatoire à l’atterrissage et devront attendre les résultats dans un hôtel à proximité de l’aéroport (un rayon de dix kilomètres). Dans l’intervalle, ils devront rester/dormir/manger dans leur chambre, située dans une aile ou un étage réservé pour eux. Selon des estimations du fédéral, ce passage obligé pourrait coûter environ 2000$, ce qui inclut le test, l’hébergement, les repas, la télé, le nettoyage, la sécurité et Internet.
C’est l’Agence de la santé publique du Canada qui déterminera ensuite quels hôtels parmi ceux inscrits pourront accueillir les voyageurs.
Mais à en juger par notre coup de sonde sur le terrain, ça ne se bousculera pas au portillon. « C’est trop compliqué, sans parler du coût et de la complexité à mettre les mesures en place », résume Nader Abdelnour, le directeur général du Quality Hotel Dorval, qui a décidé la veille de passer son tour.
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«Notre avenir dépend de l’efficacité de la vaccination»
Dommage, puisqu’il possède les infrastructures adéquates pour accueillir des voyageurs, en libérant un étage par exemple. Mais le nerf de la guerre est l’incapacité de prévoir le nombre de voyageurs en avance. « L’avantage serait de garantir un nombre de chambres minimums, même 15-20. Sinon juste avoir un agent de sécurité 24h sur 24 comme le gouvernement l’exige me coûterait 6-700$ par jour. C’est pas rentable si j’ai 2-3 clients », explique M. Abdelnour, dont l’établissement roule présentement à 15-20% de sa capacité. « Notre avenir dépend de l’efficacité de la vaccination », souligne-t-il.
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Au Travelodge voisin, la réflexion se poursuivait mercredi avant-midi, mais un cadre sur place évoquait les mêmes réserves que M. Abdelnour. « On sait que plusieurs hôtels ne veulent pas embarquer. On s’interroge sur les coûts versus les retombées économiques », souligne le directeur des ventes, Joshua Faura. « Il faudrait condamner un étage complet et avoir de la sécurité 24h sur 24h pour surveiller les voyageurs, puisque nous sommes responsables d’eux. Il faut aussi commander leur bouffe et l’amener à leur porte », énumère M. Faura, dont l’établissement fonctionne à 10% de son taux d’occupation.
« Nous avons beaucoup de camionneurs qui ne veulent pas rouler pendant le couvre-feu. Tous les hôtels se croisent les doigts pour que les activités reprennent cet été », résume le directeur des ventes.
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«C’est le bordel, le bordel total avec le gouvernement qui ne sait pas ce qu’il veut»
Quelques cadres d’établissements des environs ont voulu commenter anonymement. « C’est le bordel, le bordel total avec le gouvernement qui ne sait pas ce qu’il veut », peste le directeur général d’un hôtel, ajoutant n’avoir « absolument aucun intérêt à embarquer là-dedans», et ce même si son établissement de plus de 100 chambres fonctionne à seulement 15% de sa capacité. « C’est intéressant si on loue 40 chambres, mais ça n’a rien d’intéressant si on a deux ou trois clients », résume le patron, accusant Ottawa de pelleter le problème dans leur cour. « Le gouvernement ne s’occupe de rien et laisse les hôtels se débrouiller avec la sécurité, le respect des règles sanitaires, la bouffe et la cohabitation avec les autres clients. Les demandes sont très intenses », déplore-t-il.
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Même son de cloche chez cette cadre du Crowne Plaza, qui avoue nager en plein brouillard. « On n’a pas de nouvelles du gouvernement et on ne sait rien. On ne sait pas quand ça commencera ni comment gérer le 2000$. J’ai entendu dire que c’est une agence de voyages qui va coordonner ça », souligne la dame, seule dans le lobby désert près de la piscine fermée au public. « On loue surtout à des gens qui habitent à Montréal ou Ottawa. On est contents d’avoir un travail, mais on est tannés», soupire-t-elle.
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Nous avons aussi été visiter les hôtels les plus proches de l’aéroport, histoire de voir si la tentation d’attirer les voyageurs en quarantaine est plus forte en raison de la proximité. « Je ne peux pas partager cette information », m’a simplement répondu Sylvain Pierre, le directeur des ventes et du marketing du Marriott situé à même l’aéroport.
Même mystère au Sheraton tout près, où le gérant sur place se montrait évasif sur leurs intentions « On n’a pas d’information encore, c’est l’Agence de la santé publique qui va annoncer le plan », a-t-il simplement dit.
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De l’autre côté de la rue, l’hôtel Aloft est le premier à s’avouer intéressé par le plan de quarantaine. « Ça nous coûte rien d’envoyer notre formulaire, mais on va étudier ça ensuite. On ne sait pas grand-chose honnêtement », admet avec franchise le directeur général Benoit Chaumont, qui pourrait réserver des étages pour ces voyageurs dans son établissement de 136 chambres.
Parlant de voyageurs, une dame revenant de Cuba la veille est justement au téléphone dans la réception, en train d’argumenter au bout du fil. « J’ai un bagage de perdu et hier j’ai voulu sortir pour aller voir. Les policiers m’ont interceptée en me menaçant d’amendes de 6000$ si je sortais d’ici », raconte Nathalie, qui amorce ses trois jours de quarantaine avant de retourner chez elle à Sherbrooke. « On a passé trois mois à Cuba. On voulait y rester six mois, mais il y avait beaucoup de pression pour faire sortir les touristes. Je ne retournerai plus jamais là-bas et je vais y penser avant de voyager à nouveau », peste la voyageuse échaudée, dissimulant son tan sous son masque.
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De son côté, la présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal s’est dite un peu surprise d’entendre le compte-rendu de notre tournée d’hôtels. « On sera bientôt fixés. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on a de la disponibilité, on a les protocoles sanitaires pour accueillir les voyageurs et on va laisser les hôteliers faire leurs calculs », résume Ève Paré, précisant que le « 2000$» évoqué par le premier ministre Trudeau n’a rien d’officiel et concernait deux chambres pour une famille de quatre.
«Je ne crois pas que ça va générer de la demande. Point. La grosse nouvelle était de suspendre les vols.»
Mme Paré demeure réaliste et relativise toutefois les retombées économiques de cette quarantaine obligatoire pour le milieu hôtelier. « Je ne crois pas que ça va générer de la demande. Point. La grosse nouvelle était de suspendre les vols. Il n’y aura plus de voyageurs », tranche Ève Paré, d’avis que l’annonce de quarantaine se voulait surtout un bon moyen de dissuader les gens de voyager. Avec l’interruption des vols vers les destinations soleil, le travail est fait.
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À quelques heures de la fin de l’appel d’offres, Ève Paré admet ne pas avoir toutes les informations en main. « On ne sait pas si le gouvernement va soumissionner un hôtel, deux ou tous ceux sur la liste », souligne-t-elle.
Mme Paré ajoute que l’année 2021 s’annonce déjà pénible et que l’industrie se croise les doigts pour reprendre ses activités en septembre prochain, si les Canadiens sont vaccinés et que les virus variants n’ont pas fait trop de dégâts. « Si on va chercher 30% d’occupation, on sera content. Ça aidera quand on pourra rouvrir les restaurants (à capacité réduite), les gyms, les spas et les cuisines », ajoute-t-elle.
Les hôteliers ne sont donc pas au bout de leur sacrifice et, à moins d’un revirement, ils ne misent pas sur les touristes les plus controversés de l’heure pour remplir leurs coffres.