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Quand ton livre brûle sur internet
Le 6 février dernier, l’autrice montréalaise (et collaboratrice d’URBANIA) Myriam Daguzan Bernier reçoit le message d’une amie sur Facebook : « Hey, c’est pas ton livre qui est en train de brûler dans cette vidéo? »
La vidéo de 21 secondes provient du compte X de Valentina Gomez, candidate républicaine au poste de secrétaire d’État du Missouri. On l’y voit utiliser un lance-flammes pour brûler deux livres sur fond de musique rap.
Les cibles de la politicienne d’extrême droite? Queer : The Ultimate LGBTQ Guide for Teens de Kathy Belge et Marke Bieschke ainsi que Naked : Not Your Average Sex Encyclopedia, la traduction anglophone du livre Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité de Myriam et illustré par Cécile Gariépy.
« Voici ce que je ferai avec les livres déviants lorsque je deviendrai secrétaire d’État », lance Valentina Gomez, également fervente chrétienne âgée de 24 ans.
Affublée d’un chemisier fleuri agencé à des bottes d’armée, on la voit ensuite rôtir les deux bouquins dans la cour arrière d’un quartier résidentiel.
« Ces livres proviennent d’une bibliothèque publique du Missouri. Lorsque je serai élue : ils brûleront. »
L’autrice et sexologue a été estomaquée par la découverte. « Ma première réaction a été de lancer un WTF très fort! Mon cerveau ne comprenait pas. “Mais qu’est-ce que mon livre fait là?” Je savais qu’il était distribué aux États-Unis, mais je ne suis pas une célébrité. Ça n’a juste pas de bon sens! », lance-t-elle avec incrédulité au bout du fil.
L’incompréhension persiste alors que les messages affluent et que les demandes des médias se multiplient, créant une véritable commotion à laquelle elle ne s’attendait pas, alors qu’elle s’occupait tranquillement à finaliser les derniers détails de son prochain ouvrage.
La symbolique du feu est très frappante et rappelle inévitablement les autodafés, qui sont des actes de destruction délibérés de livres, souvent utilisés comme forme de censure ou de propagande politique.
« Elle aurait pu le jeter à la poubelle ou le lancer du haut d’un balcon! », s’étonne Myriam quant à la violence de l’acte.
L’aspect sensationnaliste de la vidéo a frappé dans le mille. Bien que bannies d’Instagram, les images demeurent sur X, où elles ont atteint 2,4 millions de vues à l’heure d’écrire ces lignes. Valentina Gomez a d’ailleurs remercié le patron de X, Elon Musk, d’avoir « protégé sa liberté d’expression ».
« Cela me décourage vraiment, déplore Myriam. Nous devrions avoir de meilleures balises sur l’univers numérique. Derrière le prétexte de la liberté d’expression, il y a une promotion du discours de haine et d’exclusion qui perpétue un mouvement de violence envers les minorités. »
Une partie d’elle admet toutefois ne pas être étonnée que son ouvrage soit ainsi instrumentalisé. « Étant donné qu’une majorité de ma clientèle provient de la communauté LGBTQ+, je suis bien consciente de la montée de la droite radicale aux États-Unis et du sentiment d’insécurité que ressentent les minorités sexuelles, là-bas comme ici. »
Elle ajoute qu’un stunt de la sorte ne fait qu’encourager l’obscurantisme. En bloquant l’accès à l’éducation sexuelle et en refusant d’aborder des sujets aussi importants, on voit là une forme d’échec des programmes américains. « Sans oublier que cette approche repose sur la peur, plutôt que sur l’intelligence et la réflexion. »
Paru en 2019 aux éditions Cardinal, Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité, qui traite de concepts tels que l’avortement, la masturbation et le marketing genré, a connu un beau succès. Cependant, cela n’a pas empêché le livre de faire l’objet d’accusations de pédosatanisme au moment de sa sortie au Québec, montrant ainsi que les États-Unis n’ont pas le monopole de l’imbécillité.
Jeudi après-midi, à peine une heure avant notre entretien téléphonique, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion déposée par le député de Québec solidaire, Sol Zanetti, en soutien aux autrices québécoises Myriam Daguzan Bernier et Elise Gravel. En effet, la Bibliothèque publique juive de Montréal a parallèlement mis à l’index les livres de l’écrivaine jeunesse en raison de ses prises de position propalestiniennes sur les médias sociaux.
Cet appui symbolique est accueilli avec enthousiasme par Myriam. « C’est bien qu’on sente un soutien de nos élus », réitérant néanmoins être dépassée par les événements.
« Certaines personnes m’ont dit de voir tout ça comme une belle campagne publicitaire, mais c’est tellement pas mon intention! J’ai écrit ce livre en me disant que si cinq personnes s’y retrouvaient, ce serait une victoire. Je n’avais pas un lance-flammes en tête! »
Malgré quelques courriels inquiétants, l’autrice confie que malgré tout, elle ne se sent pas en danger. « J’espère juste que cette étrange histoire sert à souligner qu’il y a un grave problème aux États-Unis, mais aussi au Québec. Il est préoccupant de constater que certains jeunes n’ont toujours pas accès à une éducation sexuelle adéquate et qu’une partie de la population estime toujours que la jeunesse LGBTQ+ n’a pas le droit d’exister et qu’elle doit, en quelque sorte, brûler.
Ça, ça me fait capoter. »