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On ne trouvait pas Mélina.
D’un coup, la petite ville de Farnham était sens dessus dessous. Je me souviens de la confusion, des gens qui ne parlaient que de ça. Elle était à la fête hivernale, au parc. Elle n’est pas revenue. L’as-tu vue, toi?
Il ne se passe pas grand-chose, à Farnham. Une ado de 13 ans qui s’évapore, c’est loin de notre quotidien. Elle allait revenir, ça ne pouvait pas être bien grave, hein?
Le 25 mai, c’est la journée nationale des enfants disparus. L’an dernier, ils ont été 42 233 portés disparus, au pays. D’entre eux, 73% faisaient une fugue et 92% des signalements ont été retirés en une semaine ou moins.
Quatorze ans après sa disparition, Mélina, elle, n’a toujours pas été retrouvée.
Le 23 janvier 2005
« J’avais 17 ans et j’étais déjà en appartement. Mélina venait souvent chez moi. Je la coiffais, je la maquillais, elle me faisait des spectacles. »
Marie-Josée a la voix douce et un peu fatiguée. Elle a accepté de me parler de sa petite sœur, même si chaque entrevue la plonge dans une inévitable tristesse. Après tout, peut-être que quelqu’un, quelque part, sait quelque chose, qu’elle me dit.
« Le dimanche matin, on a déjeûné en famille. Après, Mélina a demandé à notre mère de l’emmener au parc [Roch-Bourbonnais]. À 18h, quand elle ne s’est pas présentée au rendez-vous prévu, ma mère m’a appelée pour savoir si elle était chez moi. J’étais inquiète, mais pas trop. Ça lui arrivait d’être en retard… »
À l’époque, on entendait souvent dire qu’il fallait attendre 24h avant de signaler la disparition d’un(e) adolescent(e). C’est donc ce que Marie-Josée et sa mère ont décidé de faire.
«On pensait que c’était peut-être volontaire. Mélina avait 13 ans, à cet âge-là, des fois, les jeunes font ça pour secouer leurs parents… On croyait qu’elle serait à l’école, le lendemain. Sauf qu’elle n’y était pas.»
« On pensait que c’était peut-être volontaire. Mélina avait 13 ans, à cet âge-là, des fois, les jeunes font ça pour secouer leurs parents… On croyait qu’elle serait à l’école, le lendemain. Sauf qu’elle n’y était pas. On a fouillé son casier à la recherche d’un indice, de quoi que ce soit qui laisserait croire à une fugue, mais il n’y avait rien d’anormal. On a appelé la police, puis tout s’est mis en branle. »
Quand je lui demande comment elle se sentait alors, Marie-Jos ée me répond qu’elle se sentait exactement comme aujourd’hui : perdue et pleine de questions.
« À ce moment-là, je me disais que ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne revienne. J’étais très inquiète, mais j’étais loin de penser que ça prendrait 14 ans avant d’avoir des nouvelles… Je m’attendais à en avoir rapidement, des bonnes ou des mauvaises, puis les semaines ont passé, et les mois, et le premier Noël, et la première fête… Les premières ont été tellement difficiles. Et ce n’est malheureusement pas plus facile, aujourd’hui. »
Le manque
« On se ressemblait beaucoup, elle et moi. Des fois, dans la rue, les gens me disaient : “Bon, t’as été retrouvée!” Ou encore : “Hey, je t’ai vue à la télé! C’était pourquoi, donc?” Mettons que j’avais pas le goût de répondre à ça… »
Je n’ose pas imaginer la détresse qu’entraîne la disparition d’une sœur. Encore moins quand on réside dans une ville de 8 000 habitants ayant pour carrefour une rue principale où se trouvent pas mal tous les commerces essentiels. Bref, impossible de s’isoler des autres ou de fuir le drame. Bien qu’évidemment, Marie-Josée et sa famille n’aient besoin de personne pour se rappeler du drame. Le quotidien se charge assez bien de le faire.
«Après 14 ans, je me dis qu’elle aurait donné signe de vie… mais on a toujours espoir. Et on en aura tant qu’il n’y aura pas de corps, de témoignages ou de preuves nous disant le contraire. »
« On finit par vivre avec l’absence de Mélina, pas le choix… mais c’est un gros manque. Elle reviendrait demain, elle aurait encore sa place. À tous les Noël, elle a sa place à elle. À sa fête, il y a un moment pour elle aussi. Un temps de solitude que je me donne pour me remémorer de veux souvenirs. »
Au bout du fil, Marie-Josée prend une pause.
« Scuse-moi, je pleure. C’est qu’il n’y a pas une journée qui passe sans que je pense à elle. Après 14 ans, je me dis qu’elle aurait donné signe de vie… mais on a toujours espoir. Et on en aura tant qu’il n’y aura pas de corps, de témoignages ou de preuves nous disant le contraire. »
Aujourd’hui
« Cette semaine, mon fils de presque dix ans m’a demandé s’il pouvait aller faire de la trottinette en ville. J’ai dit non. Je suis vraiment trop protectrice, je le sais, mais je ne veux pas connaître avec mes enfants ce que j’ai vécu avec ma sœur. Pour moi, ça suffit. »
La disparition de Mélina a tailladé le cœur de sa sœur. Sa vie s’est bâtie autour de son absence, entre l’espoir et les doutes, au creux des questions sans réponses.
La disparition de Mélina a tailladé le cœur de sa sœur. Sa vie s’est bâtie autour de son absence, entre l’espoir et les doutes, au creux des questions sans réponses. Quand je lui demande ce qu’on peut faire pour l’aider ou même pour soutenir les familles d’enfants disparus, Marie-Josée me répond spontanément d’éviter que les gens passent complètement à autre chose. De médiatiser ces histoires, encore : « Il faut qu’on en parle. On ne veut pas que Mélina tombe dans l’oubli. »
Je vous invite donc à consulter la fiche de Mélina Martin sur le Réseau Enfants-Retour, puis à prendre le temps de fouiller le site de cet organisme québécois qui se consacre à la recherche d’enfants disparus et à la prévention des disparitions.
Et je sais que moi, samedi, quand l’hôtel de ville de Montréal s’illuminera de vert en guise de solidarité et d’espoir pour les familles d’enfants disparus, c’est à Marie-Josée et à Mélina que je penserai…