Il y a les gens qui trippent sur The Doors et qui refusent de décrocher pour quelque chose de plus moderne. Et puis il y a ceux qui trippent sur la musique classique. Je vous parle en direct de la seconde catégorie.
Non seulement j’aime la musique classique, mais en plus, j’en joue. Une fois, j’ai une copine qui m’a dit « C’est bizarre de mettre autant de travail dans quelque chose qui sert plus à rien », comme si je jouais du clavecin ou de la corne de mammouth. Et bien non, vous saurez que je joue de la flûte traversière. Comme Lizzo, mais sans le twerkage. Et si je mets beaucoup de travail là-dedans, c’est parce qu’essayer de créer avec ma bouche un son parfait comme de l’eau de source, ça me réconcilie avec la vie après une journée chaotique à me faire piler dessus dans le métro et à stresser à cause de clients incompétents.
En fait, le plus bizarre, là-dedans, c’est que si j’avais fait carrière dans le flûtage, je serais entourée de gens qui aiment la musique classique. Mais comme j’ai choisi l’autre voie plus conventionnelle, je suis condamnée à vivre mon hobby en solo.
Aimer un truc de vieux
« C’est toute pareil », « c’est compliqué », « c’est élitiste » sont les trois piliers des haters de la musique classique. Étant donné que les deux premiers arguments sont les mêmes pour tous les genres musicaux du point de vue des non-initiés (c’est pas mal ce qui passe par la tête quand j’entends du métal, lol), je vais m’intéresser au dernier argument.
C’est fucking vrai. C’est tellement élitiste, c’est ridicule. On dirait que les gens pauvres n’osent pas aimer ça, et que les vieux bourgeois se sentent obligés d’en écouter. Parfois, dans les concerts, on se croirait à la messe. Le public a 150 ans de moyenne, porte son meilleur linge propre, et respecte un décorum obscur qu’il ne faudrait surtout pas que « les autres » comprennent. Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça.
Le pire, c’est que la plupart des écoles et bibliothèques prêtent des instruments classiques gratuitement et que le répertoire ne coûte rien à entendre puisque la majorité des compositeurs sont morts. Les billets de show ne sont même pas plus chers que ceux de la musique pop. Alors d’où vient cette tradition de péter plus haut que le trou dès qu’on entend un violoncelle ? Ça restera toujours un grand mystère pour moi.
Finalement, pourquoi aimer ça ? Ben, parce que c’est parfait. Chaque note est vivante et pourrait être interprétée de 8000 façons, mais c’est celle-là qu’on a choisie. La subtilité du travail qui entre en compte dans une performance classique se traduit par un range d’émotion infini pour chaque auditeur.
Quand j’écoute de la musique classique, je ne me sens pas « triste » ou « contente », je me sens « dévastée parce que Dieu ne daigne pas jeter les yeux sur moi pauvre mortelle », « drôlement mystifiée par la transition entre l’été et l’automne », ou encore « glorieuse parce que j’ai sauté d’une falaise dans l’océan et que j’ai été épargnée par la mort ». Oui, ça sonne prétentieux, mais pour vrai, ça change des tounes pop à propos des filles et de l’amour.
Aller voir l’OSM seule comme une grosse loser
Donc voilà, mes amis me trouvent snob et je me retrouve tout le temps toute seule à des concerts d’orchestre avec tous les grands-parents de la province. L’OSM essaie de se donner une image plus jeune et rencontre un certain succès avec ses arrangements symphoniques type « Mika + l’OSM ». Mais quand il s’agit d’aller voir une symphonie de Bruckner, c’est pas la même game.
La dernière fois que je me suis gâtée, je me suis offert une place dans le chœur, à la Maison Symphonique, pour entendre la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák. Même si vous ne connaissez pas ce nom-là, je vous garantis que vous connaissez la mélodie, car c’est un gros gros hit classique (notamment samplé par Serge Gainsbourg dans Initials B.B.). Le thème connu arrive à 2:10 :
Être assis dans le chœur, ça signifie littéralement être assis là où la chorale serait dans une pièce avec chœur. On regarde la cheffe d’orchestre (la follement hot Xian Zhang, dans mon cas) par-dessus l’épaule des musiciens. On est face au public et c’est vraiment une expérience spéciale d’être assis de l’autre bord.
Quand la musique commence, on oublie tout de suite qu’on n’a pas d’amis. Ici, notre cerveau est occupé par toute une variété d’instruments avec des sons différents : le timbre cristallin de la flûte, le velours des clarinettes, le chant glorieux des cors ou la sérénade boisée des violons. Les musiciens sont cinquante sur scène, mais ils s’écoutent tous les uns les autres et quand ils font un effet de groupe genre « monter le volume de 0 à 100 en trois mesures », ils le font avec une précision et une sensibilité tellement satisfaisantes qu’on aurait envie de hurler « ROCK ON, ESTIE !!!!»… (si le décorum de la musique classique ne nous imposait pas d’être silencieux comme des statues mortes.)
Le seul problème, quand on va à l’orchestre seule, c’est qu’à la fin du spectacle, on n’a personne avec qui s’enthousiasmer dans le métro du retour. Pas de « Toi aussi, t’as eu le moton quand le solo de hautbois tout vulnérable est sorti de nulle part ? » ni de « J’tais bandé tout le long pendant le troisième mouvement ! »
Tant pis. Je continuerai d’aller me gâter toute seule en attendant de savoir si la musique classique est vouée à mourir ou à se renouveler. Oui, oui, les Alexandra Stréliski et compagnie font leur part pour le néo-classique, mais quand toutes les têtes blanches auront passé l’arme à gauche, y aura-t-il encore assez de monde pour aller voir les vieilles symphonies en salle avec moi ?