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Quand Paddy The Baddy s’adresse aux hommes

Un cri du cœur venu du UFC.

Par
Jean Bourbeau
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Entre 2013 et 2020, Conor McGregor a fait la pluie et le beau temps des arts martiaux mixtes en offrant au monde entier des passages dans l’octogone aussi savoureux que ses prises de parole. Avec son accent irlandais, Conor était un diablotin au trash talk légendaire, provoquant des scènes d’anthologie devenues du bonbon pour un auditoire friand d’excès. Voyant l’aura médiatique du champion gonfler aussi vite que sa fortune, nombreux sont ses collègues qui ont tenté de l’imiter, évidemment sans rencontrer le même succès. N’est pas The Notorious ou Muhammad Ali qui veut.

Conor a perdu ses deux dernières guerres, mais il est aujourd’hui gonzillionaire et vedette des médias sociaux. Le UFC fait depuis le deuil de sa plus grande vedette alors que la communauté attend une nouvelle langue de vipère à vénérer.

Puis, en 2021, la compagnie voit débarquer dans ses rangs un drôle de moineau. Paddy « The Baddy » Pimblett, un blond effilé aux cheveux longs qui rappelle la coupe démodée des Beatles. Un weirdo au regard bleu pétillant avec un accent de Liverpool aussi décapant que difficile à comprendre.

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Dès ses débuts au UFC, tout le monde savait qu’il avait ce petit je-ne-sais-quoi d’unique.

Et Paddy The Baddy n’a pas tardé à montrer qu’il n’avait pas la langue dans sa poche. Une grande gueule irrévérencieuse et imprévisible dans un sport qui certes n’en manque pas, mais faut-il encore répondre sur le terrain à ses envolées lyriques. Conor toujours absent, la place était libre pour le jeune poulain.

Avec ses deux premières victoires en poche, Paddy The Baddy est rapidement devenu un favori de la foule. Un excellent combattant, aussi technique que spectaculaire, coiffé d’une personnalité fantasque bien loin d’un moine des arts martiaux.

Samedi dernier avait lieu son troisième combat au sein de l’entreprise américaine, cette fois à l’amphithéâtre O2 de Londres, où plus de 20 000 personnes s’entassaient pour chanter le nom de leur nouveau héros national. La pression était énorme et Paddy a gagné avec panache le plus important duel de sa carrière. Une consécration. Après que le vainqueur eut sauté dans la foule, la planète MMA se demandait avec impatience quelle bouffonnerie il lui réservait en entrevue.

Le jeune homme s’est emparé du micro avec la facilité déconcertante qu’on lui connaît. Après quelques banalités et des remerciements aux fans, il a demandé s’il pouvait s’adresser à la foule.

«Si vous êtes un homme, que vous avez un poids sur les épaules et que vous pensez que la seule façon de le résoudre est de vous suicider, parlez-en à quelqu’un. Parlez à n’importe qui.»

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« Je me suis réveillé vendredi à 4 h du matin pour recevoir un message m’informant qu’un de mes amis à la maison s’était suicidé. C’était cinq heures avant la pesée. Alors Ricky, ceci est pour toi. »

« Il y a un stigmate dans ce monde qui dit que les hommes ne peuvent pas parler. Écoutez, si vous êtes un homme, que vous avez un poids sur les épaules et que vous pensez que la seule façon de le résoudre est de vous suicider, parlez-en à quelqu’un. Parlez à n’importe qui. »

« Je sais que je préfèrerais que mon ami pleure sur mon épaule plutôt que d’aller à ses funérailles la semaine prochaine. Alors s’il vous plaît, débarrassons-nous de cette stigmatisation et que les hommes commencent à parler. »

Le jeune homme de 27 ans, alors au sommet du monde, ruisselant de sueur, s’est effondré en larmes jusqu’au vestiaire.

Personne ne l’avait vu venir.

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Si le UFC est un reflet du capitalisme encagé couronnant la domination du selfmade man et de son labeur, l’éloquence du discours a créé une fracture au vertige inattendu, le sport étant plus habitué aux envolées belliqueuses qu’aux messages à caractère sociaux.

Le Scouser blondinet s’adressait aux esseulés, aux gros bras, aux salons remplis de gars, bref, aux écorchés qui serrent les poings plutôt que de communiquer leurs émotions, et pendant un bref instant, tout ce paysage masculin était accroché à ses mots.

« I’d rather my mate cry on my shoulder than be at his funeral next week », est tombé comme une tonne de briques sur un audimat pris au dépourvu, coincé par le moment.

Les applaudissements ont fusé dans l’aréna, mais surtout en ligne. Sur les forums spécialisés et les groupes de discussion, pourtant le territoire de toutes les bassesses morales, son discours a été catapulté en prose messianique. En effet, ses mots ont trouvé un canal de diffusion idéal pour être entendus par une tranche de la société jugée difficile à rejoindre.

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Depuis samedi, des milliers d’hommes ayant vécu des tragédies semblables ont pris la parole, partageant leurs échos personnels reliés au suicide. Le grand silence de l’hommerie cause trop souvent des Ricky.

« Alors s’il vous plaît, débarrassons-nous de cette stigmatisation et que les hommes commencent à parler. »

À une époque où le tumulte du monde nous ensevelit, nous serre dans son étau, un tel moment a été accueilli comme une bouffée de chaleur. Dédier sa victoire à un ami d’enfance qui s’est enlevé la vie montre le côté humain d’un monde où règne la loi du plus fort. La lutte au suicide et au silence des oubliés a encore du chemin à faire, mais l’initiative courageuse du Britannique aura peut-être consolé quelques âmes en peine et les aura encouragées à desserrer leur huître.

Si certains croient à la tentative marketing, ce serait de bien mauvaise foi, car la sincérité de l’élan et la réponse positive ont créé un interstice où, par l’entremise d’un drame personnel, l’athlète a réussi à transcender son sport. Un discours du trône que Conor n’a jamais daigné oser prendre.

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Paddy n’a pas levé le point ganté ou mis un genou au sol, il s’est plutôt adressé à un mal profond en empruntant une voie insoupçonnée au moment où il brillait de tout son feu.

Chapeau, lad.

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Si jamais vous ressentez le besoin de parler ou si vous vous inquiétez pour un proche,vous pouvez contacter le 1-866-APPELLE. Vous pouvez également consulter le suicide.ca.