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Quand la joute électorale s’invite dans le quartier chinois

La communauté s’organise à la veille des élections municipales.

Par
Jean Bourbeau
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Place Sun-Yat-Sen, au cœur du Chinatown de Montréal. Robert Beaudry, conseiller de Saint-Jacques dans Ville-Marie, défile son iPad sous un ciel menaçant. Balarama Holness, candidat à la mairie, courtise la caméra de CBC News. Entre les deux politiciens, trois vétérans du coin bavardent, chariots d’épicerie au repos. Tout près, un homme murmurant à lui-même s’affaire à vider le contenu d’une poubelle. Il quitte la scène bredouille sur un vélo d’enfant alors que derrière, le SPVM enquête dans un logement où une femme s’est fait poignarder dans la nuit.

Samedi matin, ainsi va le quartier chinois.

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Juste en face, un petit local occupé par le Service à la famille chinoise du Grand Montréal accueille un débat citoyen organisé dans le cadre de la campagne électorale municipale. La table rassemble Robert Sévigny d’Action Montréal, Aref Salem d’Ensemble Montréal, le chef de Mouvement Montréal Balarama Holness et Robert Beaudry, conseiller de Projet Montréal en quête d’un second mandat dans l’arrondissement.

De plus, Fang Hu, électron libre de l’arène politique et candidat indépendant, est présent en tant qu’observateur, pourfendant avoir été injustement exclu de la discussion.

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La salle se remplit rapidement alors que le chaos règne pour trouver de bons micros. Les candidats offrent entre-temps leurs coudes les plus séduisants aux membres des associations communautaires, commerçant.e.s et résident.e.s du quartier de tous les âges qui se sont déplacés pour l’événement.

May Chiu, l’une des organisatrices et bénévoles au sein du Groupe de travail sur le quartier chinois de Montréal, m’explique la nécessité du rendez-vous : « L’exercice cible avant tout à partager les besoins de la communauté chinoise. Exprimer aux candidats l’urgence de la situation actuelle. Le palier municipal est très déterminant sur l’avenir du quartier. »

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« Le secteur a connu un délaissement évident et la COVID a favorisé une stigmatisation du quartier. Flairant la bonne affaire, des promoteurs immobiliers ont profité de sa fragilité pour faire l’achat de bâtiments historiques dont les propriétaires n’avaient plus les moyens d’occuper », s’indigne Mme Chiu à propos d’un opportunisme décrié conjointement par plusieurs comités citoyens.

À l’aise devant un auditoire, Balarama jongle avec quelques mots en mandarin en guise d’introduction. Une stratégie efficace pour aller chercher les sourires. Au fil des heures suivantes, des militantes et militants moins convaincus s’échangent le micro pour exprimer leurs préoccupations, comme le guide touristique Jean-Philippe Riopel, dont la récente pétition voulant protéger le patrimoine bâti a frappé un mur à l’Assemblée nationale. Chaque intervention est évidemment traduite pour assurer l’inclusivité.

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À travers l’éventail d’enjeux soulevés par la communauté, les candidats sont confrontés à de nombreuses inquiétudes : l’embourgeoisement, les logements sociaux, le racisme, la gestion des immeubles vacants, la vitalité économique, le sort des aîné.e.s, le manque d’espace vert, la protection patrimoniale, la précarité du territoire en relation avec le tracé du REM. La liste est longue et quoique les propositions soient écoutées avec intérêt, les applaudissements proviennent davantage des interventions citoyennes que des réponses émises derrière la table.

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Une dame âgée demande avec fougue quelles seraient les démarches concrètes permettant d’embellir ce coin de Montréal qui ne fait que se détériorer depuis les dernières années, reprochant au passage l’inaction de l’appareil municipal devant des problèmes croissants d’insécurité. Elle conclut que les autorités semblent plus intéressées au sort des promoteurs immobiliers que de l’avenir de la communauté, recevant une acclamation justifiée.

L’initiative, une première historique pour le quartier, est parvenue à offrir une voix à certain.e.s résident.e.s isolé.e.s de la sphère publique en créant un pont de communication direct. Sans réfuter l’utilité d’un tel exercice, essentiel au paysage démocratique et éclairant sur la gravité de la situation, la gymnastique électorale témoignée m’a semblé davantage tenir d’une théâtralité que d’un réel échange. Les candidats ont tous annoncé des engagements gonflés de bonne foi, mais en sondant mes voisins à la sortie, j’ai senti que ces promesses ont davantage nourrit leur cynisme que les ont convaincus de la bonne case à cocher.

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Je retrouve la place Sun-Yat-Sen imbibée sous la pluie. Le vent a tapissé le pavé de déchets. Un rat traverse la rue Clark, attiré par le buffet. Les dealers se sont installés à côté de la statue du révolutionnaire tandis que les rubans policiers emprisonnent toujours le versant nord. Le square a déjà connu meilleure mine.

Quel destin l’attend au lendemain du 7 novembre?