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Bien sûr que la gratuité scolaire est possible au Québec. Ce n’est pas une question de moyens, c’est une question de vision, de courage et de priorités politiques. Est-ce trop demander à nos inspirés leaders?
Ce billet sera mon plus long à date. Non pas que je souffre d’une bock-côtite, c’est plutôt que le sujet me semble trop important pour en faire un survol bâclé.
Une véritable discussion de fond sur la gratuité scolaire n’a toujours pas eu lieu au Québec. Certes, des gens intelligents de chaque côté du débat ont fait valoir leurs arguments, mais le grand public qui prend ses infos à LCN ou RDI n’a pas eu droit à un vrai forum où les pour et les contre auraient été sérieusement soupesés. On a plutôt eu droit à ce genre d’échanges pour l’instant:
Un intervenant
– La gratuité scolaire est une très bonne idée.
Autre intervenant
– Mais en a-t-on vraiment les moyens?
Animateur
– Météo pour ce soir et cette nuit…
Vous avouerez que ça ne nourrit pas les cerveaux de grosses protéines ça.
Quelles sont nos priorités?
Petite mise en situation. Vous vous cassez une jambe sur un trottoir glacé et on vous conduit à l’hôpital pour vous soigner. À votre sortie de l’hôpital, on vous présente une facture de quelques centaines de dollars pour couvrir une partie des frais encourus pour les soins prodigués…
Ça ne passerait tout simplement pas. La société québécoise a décidé il y a longtemps que la santé était une priorité globale et que ce sont les taxes et impôts généraux qui couvriraient un système universel et gratuit lorsqu’on doit en faire usage. Sans égard pour vos moyens financiers, que vous soyez assisté social ou millionnaire, vous ne recevrez pas de facture pour une visite à l’hôpital. C’est le système fiscal, qui vise à prendre davantage d’impôts auprès des riches, qui s’occupe des contributions jugées équitables de chacun au système universel. Soit, le système fiscal n’est pas parfait, mais vous voyez l’idée.
Vous êtes victime d’un acte criminel et un policier vous sauve la vie? Encore ici, vous ne recevrez pas de facture ponctuelle de la part de l’agent pour cet inestimable service, puisque la société québécoise a décidé que la sécurité publique faisait aussi partie des priorités globales et qu’elle devait être financée par les impôts généraux, pas par celui qui a besoin d’un service ponctuel. Sans le sou ou millionnaire, pas de facture directe, les impôts globaux s’en chargent.
Alors si on se dit, comme société avancée, que l’éducation est au centre de tout progrès humain, social et économique et si on comprend collectivement qu’une société plus éduquée sera plus en santé et mènera à une plus grande sécurité publique (les deux autres priorités mentionnées précédemment), qu’est-ce qui fait que l’éducation et la formation au sens large ne sont pas couverts aussi par les impôts généraux plutôt que d’exiger des frais directs? C’est une question de priorités sociales et l’éducation doit crucialement en faire partie.
Devrait-on mettre en place des balises dans un contexte de gratuité scolaire? Je pense que oui, pour éviter un laxisme qui pourrait mener à du gaspillage. Les ressources universitaires n’étant pas infinies, elles doivent être attribuées efficacement. Devrait-on travailler au Québec après avoir bénéficié d’une formation gratuite? Un certain temps, certainement. Si l’intérêt de la gratuité réside dans le fait de bénéficier d’une population plus émancipée et mieux formée, encore faut-il qu’elle reste minimalement dans les environs pour que ça se concrétise. Et des examens d’entrée? L’idée est à explorer, encore une fois pour s’assurer que les bons talents soient dirigés vers les bonnes ressources rares. Cette mesure n’en serait pas une d’exclusion élitiste, mais davantage une d’orientation. Ne devient pas graphiste hors-pair ou physicien nucléaire qui le veut.
Oui mais les finances publiques?
Plusieurs pays dans le monde ont instauré la gratuité scolaire, il ne s’agit pas d’une invention québécoise. Et ces pays (scandinaves par exemple) sont plutôt heureux de l’avoir fait. En moyenne, les gens vont plus loin dans leur formation gratuite que s’ils devaient payer pour étudier. Qui dit formation plus poussée dit salaire plus élevé et, conséquemment, impôts prélevés plus élevés. Le gouvernement a-t-il calculé la valeur de ces entrées fiscales potentielles avant de décréter de façon simpliste que nos finances publiques ne nous permettent pas la gratuité?
Certains commentateurs y vont de raccourcis inquiétants en nous disant que les pays d’Europe où la gratuité scolaire existe imposent aussi le service militaire. Comme si ces deux politiques étaient directement reliées l’une à l’autre. Premièrement, plusieurs pays d’Europe n’ont plus de service militaire obligatoire, mettez-vous à jour les commenteux. Deuxièmement, les pays qui l’imposent encore ne le font pas en contrepartie directe de la gratuité scolaire, c’est démagogique de prétendre cela. La géopolitique européenne et les nombreuses guerres relativement récentes dans cette région du monde mènent à une autre perception de la chose militaire qu’ici au Québec. N’oublions pas que plus de 20 pays s’entassent sur un territoire plus petit que le Québec dans ce coin du monde et qu’ils ont tous directement vécu des conflits sur leur territoire au XXe siècle.
Les arguments en faveur de la gratuité scolaire sont forts sur les plans philosophiques et sociaux, mais aussi sur le plan du gros cash, pour ceux qui ont le profit comme seul langage. Le développement économique et l’innovation additionnels qui découlent d’une population mieux formée sont évidents. Nul ne peut minimiser l’importance de la gratuité scolaire pour s’assurer que jamais un étudiant prometteur ne doive retarder ou abandonner ses études pour des raisons financières. Ce n’est pas un cliché que de parler de la société du savoir qui s’en vient, dans laquelle les nations les plus prospères seront celles qui font appel à leurs cerveaux davantage qu’à leurs ressources naturelles ou leur cheap labor. En serons-nous, ou aurons-nous été trop myopes et pleutres pour faire les bons choix?
Quant à la question du financement des universités, c’est pratiquement un débat distinct de celui de la gratuité scolaire. Décidons d’abord du niveau de financement que l’État veut accorder aux universités, puis parlons ensuite des formes possibles dudit financement. L’État pourrait très bien décider de réduire ou d’augmenter le financement universitaire, gratuité ou pas. Sur le plan des moyens de financer les divers campus, les solutions ne manquent pas: révision du système de redevances minières; instauration d’une seule déclaration d’impôt au lieu de deux; contribution spécifique de certaines entreprises comme les institutions financières qui en ont grandement les moyens; mise en place d’une Pharma-Québec; toutes ces mesures dégageraient des centaines de millions de dollars applicables au financement des universités sans ponctionner un sou de plus auprès des contribuables. Encore une fois, c’est une question de vision et de courage politiques, point à la ligne. Mais quand on est possédé par un désir de réélection à court terme davantage que par une vision à long terme de développement social, on dirait que la moelle épinière se fait ténue.
Plus loin que l’individualisme, les intérêts collectifs
L’un des arguments anti-gratuité veut qu’un diplômé bénéficiera grandement lui-même de son diplôme et qu’il doit donc y contribuer financièrement. Eh bien ça s’appelle des impôts! Plus il sera diplômé et formé, plus il est probable que son salaire élevé l’amène à payer des impôts qui couvriront par la suite plusieurs fois le coût de sa formation. Cet argument du « diplômé bénéficiaire » ne tient tellement pas la route. Le principal bénéficiaire d’une opération à cœur ouvert, c’est le patient lui-même. Pourtant, les impôts globaux paient ses soins sans qu’on lui demande de contribuer davantage pour la prestation des services dont il est le principal bénéficiaire.
En fait, avez-vous déjà remarqué à quel point ceux qui prônent des barrières financières à l’entrée de quoi que ce soit sont toujours ceux qui ont les moyens de payer de toute façon? On vise à exclure après s’être assuré de son inclusion. C’en est presque mignon.
Comme le souligne aujourd’hui même dans Le Devoir le premier ministre Jacques Parizeau (les premiers ministres gardent le titre à vie, ne m’écrivez pas qu’il n’est plus premier ministre actif, je suis au courant), la gratuité scolaire a longtemps été l’objectif à atteindre au Québec. On avait fixé grosso modo à 500$ les frais de scolarité et on comptait sur l’inflation annuelle pour faire tendre cette somme à presque rien dans le budget d’un étudiant. Pourquoi nous être distancés par la suite d’une si bonne idée?
Le fameux Sommet
Si la rencontre de la fin du mois se déroule sans que l’on considère au moins la gratuité scolaire comme un objectif à atteindre à moyen terme, il s’agira simplement d’une messe d’entérinement de ce que le gouvernement a déjà décidé de faire. Vient un temps où les relations publiques et les fausses apparences d’ouverture, quand tout est déjà ficelé, peuvent avoir l’air un peu ridicule comme stratégies de base.
D’ailleurs, nous attendons toujours une confirmation de la part du gouvernement qu’Option nationale, en tant que parti politique national, ne sera pas exclue du Sommet comme ce fut le cas lors du dernier budget. Bizarrement, ils font des pieds et des mains pour plaire à une association étudiante de 70 000 membres directs et indirects, alors qu’un parti qui reçoit l’appui direct de plus de 83 000 électeurs (sans doute plus si on exclut le triste vote stratégique) leur semble anodin. Serait-ce un calcul froidement partisan du nombre de votes potentiels à aller chercher de part et d’autre? Allons, cessons de penser cyniquement qu’un gouvernement responsable peut réfléchir de la sorte, voyons donc…
La gratuité scolaire est un exemple parfait d’un dossier qui demande certains efforts d’explication et une dose de vision politique, et dont les bénéfices sont inestimables. Un peu comme la souveraineté, tiens. Je souhaite toujours voir poindre en ce gouvernement un appui plus évident aux deux causes. Mais dans des gestes concrètement posés, pas dans des plans de marketing stériles.