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Psychophobie, la double peine

«Les troubles psychiatriques sont perçus comme une déviance».

Par
Céleste
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Sur Instagram, Paye Ta Psychophobie partage les témoignages de personnes moquées ou maltraitées à cause de leur trouble psychiatrique. À la tête de ce compte, suivi par 23 000 abonnés et qui cumule près de 550 témoignages : Céleste, un Belge de 22 ans. Il nous raconte son combat et ses motivations.

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J’ai créé Paye Ta Psychophobie à 20 ans, un peu sur un coup de tête et sans jamais imaginer qu’il prendrait une telle ampleur. Quelques mois plus tôt, je discutais avec un inconnu sur Internet et celui-ci a employé le terme “psychophobie”. Je ne l’avais alors jamais entendu et ça a tout de suite fait tilt. Il m’a renvoyé ce que je vivais et avais vécu.

J’ai grandi avec des parents maltraitants, donc avec une forme de souffrance, que j’ai toutefois toujours réussi à cacher. Toujours… jusqu’à ma dernière année de lycée.

À partir de là, je commence à craquer. Je parle d’abord de ce que je vis à une enseignante, mais elle ne fait pas remonter l’information. Ensuite, au cours de ma première année à l’université, je rencontre mon premier copain. Il est témoin de ma chute : peu à peu, mon état se dégrade, je finis par parler sans cesse de suicide. Je n’en peux plus. Lui ne sait pas du tout comment réagir. C’est malheureusement logique car ni à l’école, ni dans la famille, on ne nous apprend à savoir comment se comporter devant une maladie mentale. Et cela fait que ma situation empire à petit feu.

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Je me résous à contacter une psychiatre qui, après quelques séances, et malgré des anxiolytiques, m’explique qu’il faut absolument que je me fasse hospitaliser. Sauf que l’on me place sur liste d’attente. Un classique en psychiatrie, malheureusement… Je dois attendre trois semaines pour rentrer dans un hôpital psychiatrique alors que je m’automutile et fais plusieurs tentatives de suicide.

Urgences infernales

Déjà à ce moment-là, je ne ressens pas le soutien digne d’une personne malade. Je compare notamment mon cas à l’un de mes parents, victime de cancers : il a reçu énormément de compassion, de bienveillance. Moi, premièrement, j’ai peur de partager ma souffrance psychologique, ce qui en dit long sur la société. Et j’ai raison d’avoir peur car ensuite, les rares personnes à qui j’en parle me font des reproches : « Oh mais pourquoi tu vas te faire hospitaliser ? », « Un hôpital psychiatrique, vraiment ? », « T’en rajoutes pas un peu ? ». Des proches ne veulent pas que j’aille à l’hôpital, autrement dit que je me soigne.

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J’y vais quand même. Cinq mois d’hospitalisation psychiatrique. On me diagnostique une grave dépression, un trouble du sommeil. Peut-être aussi un trouble alimentaire, la maladie de Pica, qui consiste à manger des choses non-comestibles. Presque tout mon entourage l’apprend et seules quelques personnes viennent à l’hôpital. Forcément, ça blesse, mais pire encore, je me retrouve avec un poids supplémentaire sur les épaules. Alors que j’ai besoin de soutien, je culpabilise d’être malade, je sombre encore davantage, je me dis : « Si je meurs, mes proches ne seront peut-être pas si tristes que ça. » J’ai appris plus tard, grâce à tous les témoignages reçus sur mon compte, que nous sommes nombreux à vivre et ressentir cela : espérer un petit geste, ne serait-ce qu’entendre : « Je suis avec toi. »

« Une autre fille du service est partie aux urgences plus tôt dans la soirée pour une TS [tentative de suicide, NDLR] avec les mêmes médicaments. Vous avez partagé la boîte ? »

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Durant cette période, je comprends véritablement que quelque chose cloche par rapport aux maladies psychiatriques. Un jour, alors que je suis encore à l’hôpital, je réussis à trouver des médicaments et à les ingérer, pour me suicider. Je suis conduit aux urgences. Sur la route, les ambulanciers se mettent à rigoler, à blaguer : « Une autre fille du service est partie aux urgences plus tôt dans la soirée pour une TS [tentative de suicide, NDLR] avec les mêmes médicaments. Vous avez partagé la boîte ? » Arrivé aux urgences, l’attitude non-verbale des soignants est terrible. Ils semblent me dire : « Encore une personne qui essaie de se suicider… »

Dans la nuit, je me réveille en catastrophe. Tout le monde s’agite. J’apprends alors que ma voisine de chambre vient de faire une nouvelle tentative de suicide. Elle avait sauté de la fenêtre, que les soignants avaient oublié de fermer à clef… Elle survit mais se retrouve handicapée pour toujours. Voilà quel a été mon passage aux urgences.

Psychophobie en psycho

Heureusement, ces cinq mois d’hospitalisation portent leurs fruits. Je sors. Je me sens beaucoup mieux. J’ai envie de vivre. Je veux avancer, alors je reprends des études. J’abandonne la traduction pour m’inscrire en psycho… Très vite, je reçois une remarque psychophobe. C’était après un cours. Je viens m’excuser auprès d’une professeure car je m’étais endormi durant sa leçon, à cause de mon traitement. Je lui explique que je souffre de troubles psychologiques et, plutôt que de la compassion, j’ai le droit à un : « Tu devrais changer d’études. » C’est assez violent, surtout que je ne suis pas encore reconstruit, que je manque de confiance en moi.

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Je me pose alors beaucoup de questions, je me demande s’il est judicieux de poursuivre mes études. Mais finalement, après avoir complètement raté mes premiers examens, je m’accroche et je rattrape mon retard.

Par ailleurs, je ressens un mal-être depuis ma sortie de l’hôpital : dès que je parle de cette hospitalisation, je me rends compte que les gens sont soit gênés, soit surpris. Ou ils me complimentent à leur façon : « Ça se voit pas que t’es allé en HP. » Je comprends alors que le mot “psychiatrique” inquiète. Voire, fait peur. Comme si, pour les “valides”, il fallait toujours que ces maladies, ces handicaps, se voient le moins possible. Mais n’est-ce pas au contraire à la société d’accepter cela ? De nous considérer tels que nous sommes, sans effroi ou admiration malsaine ?

J’ai presque 21 ans et un objectif : mettre en lumière les oppressions que subissent les personnes avec des troubles psychiatriques

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C’est donc dans ce contexte que je lance mon compte, Paye Ta Psychophobie, en 2019. J’ai presque 21 ans et un objectif : mettre en lumière les oppressions que subissent les personnes avec des troubles psychiatriques, en publiant des témoignages, des retours d’expériences. Une occasion aussi de permettre aux gens de poser des mots sur ce qu’ils subissent ou ont vécu et, ainsi, leur permettre de se sentir moins seuls. Je réponds tout le temps aux messages que l’on m’envoie. Je reconnais la souffrance de la personne, j’essaie de trouver des paroles encourageantes. Comme on dit en psycho, c’est un “petit cadeau” : trouver un rayon de soleil dans toute cette noirceur.

Avec le temps, je commence à partager sur ce compte des études, des analyses, des articles, des vidéos, des conseils… Voilà, j’aide les autres, et cela m’aide également. Et je continue mes études de psycho en parallèle.

Travailler l’empathie

Aujourd’hui, j’ai publié près de 550 témoignages de personnes souffrant de maladies psychiatriques et les neuroatypies (comme le spectre de l’autisme). Des éléments très fréquents reviennent, notamment le fait de devenir immédiatement différent aux yeux des gens “normaux”, de perdre en crédibilité, d’être vu comme un être à part. Un schizophrène aura tout de suite l’image d’un individu vivant totalement dans un autre monde alors que certains, et ils ne sont pas rares, arrivent à gérer cette maladie. Quelqu’un qui aura tenté de se tuer pourra être rejeté pour cela, qualifié de “fou”, de “barjot”, de “dingue”. On va licencier une personne qui se sera automutilée. On va moquer des crises d’angoisses, stigmatiser des addictions… Toutes ces histoires, c’est terrible, vraiment. Sans parler des commentaires que l’on peut lire sur les réseaux sociaux.

On nous apprend bien à prendre soin des handicapés sur un fauteuil roulant ou des personnes âgées dépendantes… Mais qui nous apprend à répondre à la détresse des personnes qui s’automutilent ?

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Je pense pourtant la société capable d’empathie. En réalité, je vois dans ces actes et ces propos un mécanisme de défense. Les troubles psychiatriques sont souvent perçus non pas comme une maladie mais comme une déviance, ce qui fait peur aux “valides”. Ils ont l’impression d’être happé par quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas et de tomber dans un puits sans fond. Alors pour se protéger, ils préfèrent agresser la personne, lui répondre violemment, proférer des mots déplacés. Autre option : être dans la fuite, donc ne rien dire, faire comme si ces troubles n’existaient pas et laisser la personne dans sa détresse. Or si l’empathie a une part d’inné, elle doit se travailler. On nous apprend bien à prendre soin des handicapés sur un fauteuil roulant ou des personnes âgées dépendantes… Mais qui nous apprend à répondre à la détresse des personnes qui s’automutilent ? Qui en parle dans la société ? Qui apprend à avoir les bonnes réactions, les bons gestes ? J’ai parfois des personnes qui m’écrivent pour me demander des conseils.

Il faut que les médias, au sens large, se questionnent : les films, les séries, la musique, le journalisme… Tous ont tendance à montrer des personnes souffrant de troubles psys comme étant dans les extrêmes et continuent à propager de vieux préjugés. Regardez ce classique du cinéma, Vol au-dessus d’un nid de coucou. Certes, ce film a l’avantage de montrer, parfois, l’humanité des malades, et de mettre en image les scènes de torture vécues par les gens dans les hôpitaux psychiatriques. Mais les personnages sont tellement caricaturés… Comme si, lorsqu’on est victime de dépression, on pleure sans cesse dans son coin, incapable de sourires ou de fous rires. Ces préjugés circulent toujours dans la société.

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Pour changer les choses, les pistes sont multiples. Travailler le langage, se questionner sur le vocabulaire, serait une première étape, ne serait-ce que pour conscientiser. On sait désormais que pour lutter contre des formes d’oppression, par exemple le racisme, on ne peut plus employer n’importe quel mot impunément, tandis que pour les troubles psys, les gens utilisent à n’importe quelle sauce les termes “bipolaire”, “schizo”, “fou”, “malade mental”. Or, en faisant cela, ils empêchent les personnes souffrant de ces troubles d’avoir une image positive d’elles-mêmes, ou de recevoir de la reconnaissance.

Idéalement, un travail devrait se faire dans la famille, en adaptant le langage. Si ce n’est pas possible, l’école et les médias pourraient prendre le relais. C’est à portée de main mais il faut de la volonté et de l’argent. Or, on se rend bien compte que ce n’est pas une priorité. Il suffit de voir la réaction du gouvernement français par rapport au Covid : on donne trois tickets aux étudiants pour aller chez le psy. Il y a une tornade et on prépare les gens à une bourrasque !

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Là-aussi, un manque de lits

Il faut également ouvrir de nouveaux lits en psychiatrie car les places manquent terriblement. Même les patients réguliers doivent attendre des semaines, parfois plus, avant de pouvoir être hospitalisés. À cause de cette pression, ceux qui rentrent culpabilisent. Ils se disent : « Je vais prendre la place de quelqu’un qui en a peut-être davantage besoin que moi. » Je reçois de nombreux témoignages de ce type. À l’inverse, ceux qui ne peuvent pas rentrer, faute de place, se disent que leur état n’est finalement pas si grave. Des gens qui ont fait des tentatives de suicide ! Cela ne fait jamais les gros titres et ne fait clairement pas autant peur que l’absence de lits en réanimation.

Malgré ce constat bien sombre, j’ai l’impression qu’il existe, au moins sur les réseaux sociaux, une évolution positive. Des gens se remettent en question, arrêtent avec leur « on ne peut plus rire de rien ». De fait, on se sent un peu moins seuls. Même si les avancées restent minimes, au moins un débat se crée. Une petite graine commence à germer. Des séries, aussi, comme 13 Reasons Why, traitent le trouble psychiatrique de façon intéressante. On voit enfin, avec la crise sanitaire, que la question de la souffrance psychologique cela explose à la figure de nos sociétés.

J’aimerais juste que l’on traite les maladies mentales comme des maladies avec leurs spécificités, rien de plus.

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En réalité, j’aimerais juste que l’on traite les maladies mentales comme des maladies avec leurs spécificités, rien de plus. Les personnes valides voudraient les cacher, tel un mal à mettre sous le tapis, peut-être car elles sont plus difficiles à contrôler qu’une maladie physique, mais qu’elles n’oublient pas l’essentiel : c’est dur d’apprendre qu’on a un trouble psychiatrique, et ce serait chouette de recevoir autant de soutien que lorsqu’on nous diagnostique une maladie physique connue du grand public. Tout simplement.

Propos recueillis par Raphaël Badache.