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Protoxyde d’azote : ce « gaz hilarant » qui ne fait plus rire

Un ballon inhalé et mourir de rire n’a jamais semblé aussi possible. 

Par
Malia Kounkou
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Ça paraît presque drôle à écrire, que le rappeur Kanye « Ye » West souffrirait d’une dépendance au gaz hilarant, au point d’en inquiéter son entourage.

Formulé ainsi, on pourrait presque imaginer ses proches s’opposer à son bonheur. N’a-t-il donc plus le droit de vouloir rire à sa guise?

Plus étrange encore, la nouvelle de la suspension du joueur de soccer Yves Bissouma par son club de Tottenham, jeudi dernier, après qu’une vidéo le montrant en flagrant délit de gloussement gazeux ait été diffusée sur Snapchat.

« On espère que grâce à ça, il s’en sortira », expliquait en conférence de presse son entraîneur, Ange Postecoglou, qui qualifiera les actions de son joueur « d’erreur » et de trahison de confiance.

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Des mots durs, qui contrastent avec toute la légèreté vaporeuse d’un produit dont rien, en apparence, ne semble indiquer un danger immédiat.

Bien au contraire.

C’EST PRESQUE ANODIN

À commencer par son surnom le plus commun, « gaz hilarant ».

Pas de description plus claire, puisqu’il désigne le rire euphorique et la sensation de plénitude flottante qui accompagnent les deux à trois minutes suivant son inhalation.

Et lorsque les effets s’estompent, il est temps de se réapprovisionner grâce à une méthode plus fun encore : en inhalant un ballon gonflé au gaz hilarant par cartouches ou bonbonnes. Puis, la fête reprend.

Dur de croire qu’avant, il n’était principalement utilisé que dans le corps médical et dans les cabinets de dentistes, qui l’administrait de façon régulée et via des masques à des patients un peu trop anxieux face à une chirurgie à venir.

Aujourd’hui, il suffit de vouloir passer une bonne soirée et d’investir dans juste assez de bonbonnes pour remplir un hangar entier de ballons.

Cet air d’insouciance festive est également entretenu par les autres appellations du gaz hilarant – « proto », « whippets », « ballon », « faire des ballons ». Si, en plus, le seul risque présenté par ces petits noms est celui de rire trop longtemps, il n’est pas étonnant que, parmi ses plus jeunes utilisateurs, certains aient seulement 12 ans en France ou encore 16 ans au Royaume-Uni.

Un peu comme mimer l’acte de fumer avec une cigarette en chocolat, faire des ballons apparaît comme un parfait cheatcode auprès de ceux encore trop jeunes pour des substances fortes.

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Surtout pour ceux qui vivent en Europe et qui baignent dans un environnement où son usage a été banalisé. Fut un temps, on en consommait dans la rue, à la plage au beau milieu d’un parc bondé, mais aussi pendant une soirée entre amis, ainsi que sur les réseaux sociaux, où influenceur.se.s se filmaient avec un ballon vissé entre les lèvres, adressant un clin d’œil à la caméra.

Le calcul logique est vite fait, surtout lorsque, en parallèle, des substances comme l’héroïne, la cocaïne ou la MDMA sont légalement bannies de la circulation publique.

Mais commander une bonbonne de gaz hilarant sur Amazon, ça, c’est encore possible. C’est donc inoffensif, non?

APRÈS LE RIRE

Non.

À tel point qu’au Royaume-Uni, toute possession de gaz hilarant, ou « protoxyde d’azote » de son nom moins festif, est passible de 2 ans d’emprisonnement pour les usagers réguliers et de 14 ans pour ceux qui en feraient la distribution.

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Quant à la France, elle interdit depuis 2021 la vente de protoxyde d’azote à tout mineur, quelle que soit l’intention ou la boutique, qu’il s’agisse de centres d’achat, d’un commerce de quartier ou d’une plateforme virtuelle en en « Uber-isant » la vente.

Depuis peu, des campagnes de prévention ont même été mises en place sur les réseaux sociaux pour sensibiliser les plus jeunes consommateurs.

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En 2023, l’Ordre des chimistes du Québec tirait pour sa part la sonnette d’alarme par communiqué, en prévenant que, derrière le côté agréable des « sensations euphorisantes » du protoxyde d’azote, se cachaient « plusieurs effets nocifs sur la santé à court et long terme » que les utilisateurs ne soupçonnaient pas.

Sur le court terme, et ce dès la première inhalation, certains peuvent s’asphyxier, être pris de vertiges suffisants pour occasionner une chute grave ou mortelle, se brûler avec le jet de gaz glacial jaillissant du récipient qui le contient ou encore s’évanouir.

Sur la durée, les effets seront plutôt au niveau neurologique, les doses ayant tendance à augmenter au fur et à mesure que l’euphorie initiale diminue.

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Il y a donc un risque de perte, de fourmillements et picotements incessants, couplé à une perte de sensibilité, de motricité et de paralysie partielle ou complète. On parle également d’incontinence, d’anémie, de complications cardiaques, de spasmes musculaires et, plus rarement, de cécité temporaire ou définitive.

Chaque utilisation privant temporairement le cerveau de l’oxygène vital à son fonctionnement, ça se traduira aussi sur le long terme par des pertes de mémoire, ainsi que des difficultés à parler ou à s’orienter.

Sans oublier les « atteintes de la moelle épinière […] irréversibles » chez des usagers aux symptômes similaires à « un AVC », comme observent de plus en plus de médecins.

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LE DIABLE S’HABILLE EN PROTO

Aujourd’hui, les choses se compliquent un peu plus, car le protoxyde d’azote fait subtilement peau neuve pour tenter de changer de statut et de clientèle.

D’une drogue postiche, bon marché et DIY utilisée par ceux bien trop jeunes pour prononcer le mot « dealer » sans rougir, le gaz hilarant devient donc petit à petit la drogue luxueuse de choix des célébrités.

À commencer par le rappeur américain Ye West, filmé avec un masque d’inhalation lui prodiguant une dose continuelle de protoxyde d’azote.

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Une vidéo qui fait écho aux allégations récentes et non confirmées de son ancien chef de staff, le fort controversé (multiplié par cent) Milo Yiannopoulos.

Début août, et captures d’écran à l’appui, ce dernier affirmait sur son compte X que le rappeur serait si dépendant au protoxyde d’azote que sa carrière musicale, sa santé mentale et ses finances en souffriraient.

Pour poursuivre dans les allégations, ce serait apparemment le dentiste de West, un certain Thomas Connelly, une sommité dans le domaine de la dentition des stars, qui fournirait Ye et le maintiendrait consciencieusement dans cet état de dépendance, à des fins supposées d’extorsion et d’expansion de son trafic de protoxyde d’azote, comme de messages textes dévoilés par Milo Yiannopoulos le suggèrent.

« Ce doit être un objectif à long terme : légaliser le protoxyde [à usage] récréatif », y aurait écrit ledit dentiste, Ye réclamant un peu plus bas une autre dose de gaz hilarant.

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Ce qui a, bien évidemment, été nié en bloc par Thomas Connelly, Milo Yiannopoulos et lui se jetant depuis des pierres virtuelles dans une bataille de vrai-faux à laquelle le rappeur n’a à ce jour toujours pas pris part.

Un détail reste toutefois indéniable : cette ancienne story Instagram de Ye, dans laquelle l’artiste mille fois récompensé se propose pour faire gratuitement la promotion du gaz hilarant.

Ce qui signe l’entrée officielle de cette substance dans la culture; une bonne nouvelle pour les fournisseurs, une très mauvaise pour le reste d’entre nous.

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Avant cela, tout l’attrait de cette drogue résidait dans son accessibilité. Désormais, des célébrités qui peuvent se payer plus cher font plutôt le choix d’inhaler de simples ballons et de se faire les ambassadeurs accidentels de la nouvelle substance hype de l’heure, tout comme l’ont été avant lui le lean, le Xanax, ainsi que les antidouleurs et la MDMA – ou « Percocet, molly, Percocet » , comme popularisé en 2017 par le rappeur Future.

Alors, si personne ne s’inquiète de l’extrême accessibilité du gaz hilarant, Ye en premier, pourquoi n’aurais-je pas moi aussi le droit de mourir de rire?