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Produits menstruels gratuits: et si on changeait les règles du jeu?
Si l’on considère qu’une personne qui a ses règles aura en moyenne 450 cycles menstruels au cours de sa vie, laissez-moi vous dire que la facture qui en découle est assez faramineuse, merci.
Même s’il est difficile d’évaluer le montant exact, en fonction des différences biologiques et des produits utilisés, on estime que les coûts individuels varient entre 4 000$ et 9 000$ au courant d’une vie. Ça, ça comprend les tampons, les serviettes hygiéniques, les culottes et les coupes menstruelles, les sous-vêtements tâchés et les antidouleurs.
Ça veut dire qu’une personne qui a un utérus et qui est menstruée tous les mois part avec plusieurs milliers de dollars de moins que quelqu’un qui ne connaît pas cette réalité.
Pendant ce temps, en Écosse…
Cette semaine, l’Écosse a annoncé une grande nouvelle: elle devient le premier État du monde à rendre les produits d’hygiène menstruelle gratuits pour toutes les personnes qui en ont besoin.
«personne ne devrait avoir à s’inquiéter de ses prochains tampons ou protections réutilisables.»
Les membres du Parlement ont voté unanimement en faveur du droit à l’accès gratuit à des tampons et des serviettes hygiéniques. La députée travailliste écossaise Monica Lennon, à l’origine de la proposition, a déclaré: « Nous sommes tous d’accord pour dire que personne ne devrait avoir à s’inquiéter de ses prochains tampons ou protections réutilisables ».
De son côté, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon s’est exprimée sur Twitter, pour démontrer sa « fierté d’avoir voté pour cette loi révolutionnaire. »
Est-ce que tous les pays du monde gagneraient à emboîter le pas?
Un trio toxique
L’initiative de l’Écosse fait déjà réagir un peu partout à travers le monde. Au Royaume-Uni, Rose Caldwell, la directrice générale de l’organisation caritative Plan International UK, applaudit le rôle « pionnier » de l’Écosse dans la lutte contre la précarité menstruelle, comprenant le « coût des protections hygiéniques », le « manque d’éducation » et la « stigmatisation et la honte liée aux règles », qu’elle qualifie de « trio toxique ».
Le coût des protections hygiéniques
« Je pense que cette initiative écossaise est une excellente nouvelle, affirme d’emblée Léa Séguin, chercheure en sexologie et membre du Conseil d’administration du Club Sexu. Quand on y pense, les coûts liés aux produits hygiéniques, c’est presque une taxe pour les personnes qui ont un utérus et qui ont des menstruations. Donc le fait qu’une nation rende ces produits gratuits, ça rétablit une certaine égalité entre les personnes qui ont un utérus et celles qui n’en ont pas. »
«Certain.e.s adolescent.e.s indien.ne.s ne vont pas à l’école lorsqu’iels ont leurs règles, faute de protection adéquate.»
Léa Séguin croit également qu’une telle initiative est extrêmement positive pour les personnes à faible revenu, en situation de précarité ou marginalisées, pour qui l’achat de produits menstruels est parfois financièrement exigeant. « Je pense aux personnes itinérantes, par exemple. Quand on pense aux personnes [avec un utérus] qui vivent dans la rue, on se dit souvent qu’elles ont besoin de nourriture, d’un abri, de vêtements pour se réchauffer, mais on ne pense pas souvent au fait qu’elles ont aussi besoin de produits menstruels tous les mois. », explique la chercheure, qui maintient que tout le monde devrait avoir accès à une protection hygiénique adéquate si iel en a besoin.
La stigmatisation et la honte liée aux règles
Parce que oui, même en 2020, la stigmatisation est bien réelle. Dans certaines cultures, avoir ses règles est synonyme de honte et d’impureté. Selon le documentaire Period. End of Sentence, qui a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur court-métrage documentaire en 2019, moins de 12% de la population a accès à des protections adaptées en Inde. Résultat? Certain.e.s adolescent.e.s indien.ne.s ne vont pas à l’école lorsqu’iels ont leurs règles (faute de protection adéquate), tandis que d’autres rencontrent des problèmes d’hygiène, utilisant ce qu’iels trouvent pour éponger leur sang menstruel, décrit comme « le pire tabou du pays ».
« Du côté de l’Écosse, il fait noter que le projet de loi demande aux écoles primaires, secondaires, ainsi qu’aux collèges et universités d’offrir gratuitement une gamme de protections périodiques dans leurs toilettes, note Léa Séguin. Selon moi, le fait que les produits soient accessibles dans les écoles va aider à normaliser les menstruations. Ça va également permettre aux jeunes qui sont plus gêné.e.s (d ’acheter des protections ou d’en parler à leurs parents, par exemple) d’avoir accès à ce qu’iels ont besoin de manière discrète. »
Au Canada, toutes les écoles de la Nouvelle-Écosse offrent gratuitement des produits menstruels à leurs élèves depuis 2019. Victoria, en Colombie-Britannique, en propose à la mairie, à la piscine et dans les toilettes publiques du centre-ville depuis l’an dernier.
«Le silence doit cesser. Cela crée une stigmatisation et de la honte envers un événement naturel et biologique.»
L’Île-du-Prince-Édouard vient tout juste d’annoncer que le gouvernement paiera désormais pour les produits d’hygiène menstruelle dans les écoles, les banques alimentaires et les refuges pour femmes. « Sans accès aux produits menstruels, les [personnes qui ont leurs règles] ne peuvent pas participer de façon pleine et entière à leur travail ou à l’école. », affirme Natalie Jameson, la ministre responsable du Statut de la femme de la province. Elle ajoute: « Nous ne parlons pas habituellement de menstruations en chambre, ni même en public en général. Le silence doit cesser. Cela crée une stigmatisation et de la honte envers un événement naturel et biologique. »
Parallèlement, Ottawa étudie toujours la possibilité d’obliger les employeurs fédéraux à fournir gratuitement des produits menstruels sur les lieux de travail.
Un produit essentiel
« De façon plus globale, ce que la nouvelle loi écossaise sous-tend, c’est que les produits menstruels sont des produits essentiels, explique Léa Séguin. On se rappelle qu’au Canada, la taxe fédérale sur les tampons, les serviettes hygiéniques, les coupes menstruelles, etc, à été abolie en 2015. Ça démontre bien qu’il s’agit de produits nécessaires. Ce ne sont pas des achats qui tiennent du choix, ou du luxe. En plus, c’est une taxe injuste, puisqu’elle vise une population en particulier. »
L’autrice et scénariste Sarah-Maude Beauchesne, qui a consacré un épisode de son podcast Entre filles aux menstruations, a salué l’initiative écossaise:
Mardi dernier, l’Écosse a non seulement répondu à un besoin criant, mais Monica Lennon envoie également un puissant message aux autres pays du monde: « C’est possible de mettre en place un accès universel gratuit aux produits périodiques. ».
Et pour la suite des choses, pourquoi ne pas profiter de ce mouvement pour promouvoir l’utilisation de produits réutilisables et écologiques? En effet, on estime que 12 milliards de serviettes hygiéniques et 7 milliards de tampons sont jetés chaque année dans le monde. C’est énorme!
Des produits gratuits et plus écologiques, ça rendra peut-être le fait d’avoir ses règles un peu moins rushant!