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Prison, Big Mac et James Brown

Par
Gwenaëlle Scorta
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J’éprouve toujours un léger stress lorsque vient le temps de réserver mon lift Amigo Express. La majorité du temps, je tombe sur un conducteur qui s’appelle Roger et qui est propriétaire d’une mini-van beige. Je sais déjà que son char empeste le petit sapin chimique mixé à une odeur de vieille cigarette et celle d’un cadavre dans le coffre.

Cette journée-là, je partais de Montréal pour passer 2 jours à Québec. J’avais rendez-vous à la station Plamondon (y’a tu quelqu’un qui a déjà débarqué là?). Je suis arrivée 20 minutes d’avance, parce que j’ai toujours peur de manquer mon transport. Thing is, si le chauffeur n’est pas à l’heure, chaque nano seconde de retard me fait l’effet de 40 ans de vie humaine perdue. Genre que si le principal intéressé se pointe à 11h06 au lieu de 11h00, je suis déjà en train de me dessécher sur le bord du trottoir en perdant mes dents, tout en faisant une crise de panique parce que je n’arriverai jamais à temps à destination.

Mais comble du hasard, ce jour-là, mon conducteur Benoît arriva en avance, tel un ange envoyé par les Dieux du covoiturage. Il portait des souliers Nike, des jeans délavés, un coat de cuir et une tuque Adidas. Après les traditionnelles vérifications d’identité, à savoir si je suis bien Gwenaëlle et non pas une évadée de prison, je me suis installée du côté passager. Un vieux café Tim Hortons traînait à l’avant et une croix qui pendait du rétroviseur remplaçait le classique petit sapin qui sent la marde.

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Fort curieux, Benoît n’a pas lésiné sur les questions. En 8 minutes, j’avais fait le tour de ma biographie. Certains chauffeurs sont aussi bavards qu’un sac de chips, mais je préfère ceux qui entretiennent la discussion, comme lui. Je lui ai retourné ses questions et il m’a dit qu’il faisait souvent l’aller-retour Montréal-Québec car ses parents sont malades et qu’il était le seul qui pouvait s’occuper d’eux.

-Alors vous travaillez pas?

-Oui, je travaille. J’ai juste plus de temps libre que mes frères et sœurs qui sont mariés et qui ont des enfants.

-Ben vous faites quoi alors?

-Je suis aumônier de prison.

Holy mother of God. L’effet de surprise aurait été le même que si on m’avait annoncé que j’avais été acceptée à Poudlard et qu’un dragon viendrait me chercher dans les prochains jours. Pour vrai, le dude portait des Nike, avait un coat de cuir et buvait du café. Un homme d’église pouvait-il être badass à ce point?

-Vous discutez avec des meurtriers, des violeurs et tout?

-Ben oui. Je reçois les prisonniers dans mon bureau et je les écoute.

-Et ces prisonniers, vous croyez en leur réinsertion?

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-Je crois en tout le monde. Personne n’est obligé de venir me parler, tsé. Je suis là, toujours disponible. Ceux qui veulent venir viennent. C’est tout. T’as faim?

On est arrêtés au service au volant du McDonalds. J’ai pris un muffin et lui un trio Big Mac.

-Ça vous arrive souvent de manger ça?

-J’adore le McDo. Surtout avec une petite bière. Ça n’a jamais vraiment tué personne.

-Vrai. Alors vous ne vivez pas dans un presbytère en buvant de l’eau bénite pis en vous nourrissant toute la journée.

-Certains le font, mais pas moi.

Je n’ai pas osé lui dire qu’une des seules fois où je suis allée dans une église, c’était pour un baptême et que je m’étais endormie solide en manquant le ¾ de la cérémonie.

-Pis tu sais quoi? J’ai même un tatouage sur la poitrine. En hébreu. Qui veut dire serviteur de Dieu.

Je me suis gardée une petite gêne et je n’ai pas demandé à le voir. Mes yeux chastes et purs n’auraient pu supporter la vue d’un mamelon sacré.

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Après, on est restés un moment sans parler. C’était agréable. J’aime le silence accompagné d’effluves de frites. Quelques kilomètres plus tard, il a commencé à fredonner. Il a appuyé sur le bouton Play de son lecteur CD et quel ne fut pas mon étonnement : pas d’opéra, ni de musique classique ou religieuse. Même pas de Sylvain Cossette, à limite.

James Brown. Il aimait James Brown.

J’ai dû me pincer à plusieurs endroits de mon anatomie mais telle était la vérité. Benoît était un soft rebelle. J’ose dire, un James Dean nouveau genre.

Je ne m’étais jamais interrogée à quoi ressemblait la vie sociale d’un homme qui confie sa vie à la religion. Mais clairement, les aumôniers ne sont pas tous des dudes de 140 ans qui passent leur journée en soutane en récitant des prières. Si un jour je me marie, ce ne sera pas dans une église, mais je promets d’avoir une petite pensée pour Benoît à chaque fois que je dégusterai un trio McCroquettes.

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