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Pourquoi voter à la présidentielle française quand on est au Québec
Tous les cinq ans, c’est la même rengaine. « Pourquoi tu vas voter? Tu ne vis même plus en France. Qu’est-ce que ça peut bien te faire que machin ou bidule soit élu.e? » Parfois, c’est suivi d’un : « Pourquoi tu ne rends pas ton passeport français d’ailleurs? » Et chaque fois, mon coeur s’emballe et ma mâchoire se serre un peu plus fort. J’ai alors deux options : ne rien répondre et laisser parler les gens ou leur fermer le clapet, au risque de mettre le feu aux poudres. Depuis peu, la deuxième option me sied à merveille.
Parfois je me la joue poète en coupant la chique à mes interlocuteur.trice.s et en déplaçant le sujet grâce à quelques phrases du maître Dany Laferrière : « L’exil du temps est plus impitoyable que celui de l’espace. Mon enfance me manque plus cruellement que mon pays. » (NDLR, c’est tellement vrai, non?) Et puis, parfois, j’enfonce le clou : « On n’est pas forcément du pays où l’on est né. Il y a des graines que le vent aime semer ailleurs. » Mais généralement, ça ne suffit pas. Alors je reprends à 0 et ça donne un peu ce qui suit.
Il y a autant de raisons de « quitter » son pays que de recettes de poutines. Chacun.e sa route, chacun.e son chemin. Et il y a autant de raisons de vouloir voter ou non, qu’on vive dans son pays d’origine ou pas. Mais surtout, on en a le droit et l’entière légitimité de le faire.
Il n’y a pas plus français.e qu’un.e Français.e à l’étranger.
C’est presque philosophique comme sujet, mais vivre à l’étranger ne signifie pas renier ses origines, sa culture, son identité. Au contraire : il n’y a pas plus français.e qu’un.e Français.e à l’étranger. Il faut les voir se retrouver « entre eux » quand ils le peuvent, se raconter des anecdotes d’antan et se lancer des private jokes en se rappelant naïvement le « bon temps là-bas ». Rien de plus humain que ça. Ils et elles ont un pays en commun, ce n’est pas rien. Et puis, c’est connu, les Français.es restent profondément attaché.e.s à leurs racines, peu importe où ils et elles ont décidé de s’établir dans le monde. C’est un fait.
La France nous a vu naître, grandir, mûrir, partir, revenir, repartir, rerevenir, rerepartir, etc. Et ça va durer encore longtemps comme ça, on a fait ce choix-là en notre âme et conscience (généralement). On a choisi sans renoncer. La France reste notre pays, elle sait qu’on la partage avec un autre, qu’on lui reste fidèle malgré tout. Qu’on ferait autant pour elle que pour notre autre pays. On a le cul entre deux chaises, voilà tout. Et notre coeur balance en permanence au milieu de l’Atlantique en regardant parfois fébrilement ce qui se trame de l’autre côté de l’océan, là où nos proches sont restés. Là où ils finiront leurs jours. Là où on finira peut-être les nôtres aussi. Qui sait. Seul l’avenir le dira.
« Je crois que c’est la première fois que j’ai si peur »
Voter quand on vit à l’étranger relève d’un devoir civique, mais aussi d’une volonté d’agir maintenant pour le futur. « Il y a ma famille en France, mes proches, et je me sens quand même impliquée de loin », me racontait une collègue, Manon, hier matin. « Je pense à eux, à mes amis qui sont jeunes (et donc plus touchés par les risques de chômage, par les changements sur la retraite, par l’environnement), à mes parents qui sont bientôt à la retraite, à ma maman en situation précaire, à mes amis musulmans ou LGBTQ+, etc. Je suis touchée indirectement et si mon vote peut avoir un impact pour “protéger” mes proches, alors je n’hésiterai pas une seconde à faire barrage à l’extrême droite. Voter, c’est mettre une pierre à l’édifice du changement. » Elle n’a pas tort.
«Voter, c’est mettre une pierre à l’édifice du changement.»
« On reste des Français, attachés et fiers de notre pays, et participer à la vie démocratique même en étant loin est important », m’a aussi confié Marie-Luce, une collègue française installée à Montréal. « On y a nos familles, nos amis et personnellement, j’y paye des impôts : clairement, je me sens concernée par ce qui s’y passe et soucieuse de l’évolution de mon pays. J’ai toujours voté ou fait des procurations, sauf dimanche dernier, où je me suis fait prendre par le temps. J’ai eu le sentiment de manquer à mon devoir et j’étais profondément déçue de moi… »
« On finira peut-être, pour certains d’entre nous, par rentrer un jour au pays, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Et je n’ai certainement pas envie d’y revenir avec un gouvernement sous Marine Le Pen, c’est donc important pour moi de faire valoir ma voix. Je crois que c’est la première fois que j’ai si peur », ajoute Marie-Luce, qui déplore que la situation mise en place pour voter à Montréal n’ait pas évolué depuis 2017. « C’est quoi, 4 h d’attente pour voter dans une vie? C’est pas grand-chose quand tu connais la situation d’autres pays, mais ce n’est pas incitatif pour les personnes qui ne sont pas déterminées à voter. Et par les temps qui courent, il suffit de peu pour changer la donne. »
Comme rappelé ici, en 2017, lors de la précédente élection présidentielle, les Français.es de l’étranger étaient 1,8 million d’inscrit.e.s sur les listes électorales consulaires. Ils et elles représentaient donc près de 4 % du corps électoral. Moralité : les Français.es qui votent hors de France sont suffisamment nombreux et nombreuses pour faire basculer une élection. Croisons les doigts pour le 24 avril 2022. Chaque vote compte.
Et si jamais vous faites partie des Français.es qui ne comptent pas voter, libre à vous de « donner » votre vote à des étrangers et étrangères, qui, eux, auraient bien aimé être à votre place. Rendez-vous ici pour une belle action.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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