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Dans le grand sondage Ricardo mené cette année par Léger Marketing, on apprenait que la lasagne est le plat favori des Québécois et que 42 % de la population trouve que la cuisine italienne est la meilleure.
Alors que les recettes de la gastronomie internationale sont de plus en plus accessibles, pourquoi les Québécois gardent-ils comme favorite la cuisine italienne?
Nos racines ne devraient-elles pas nous faire préférer la cuisine française? Qu’est-ce qui nous a menés à devenir tels de petits Garfield devant un plat de lasagne sortant du four?
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C’est ce qu’on a demandé à Jean-Pierre Lemasson, professeur associé à l’UQAM et expert en gastronomie et société (auteur du livre Le mystère insondable du pâté chinois!).
“Le succès de la cuisine italienne tient largement au fait que c’est une cuisine ménagère, beaucoup plus simple et moins technique que la cuisine française. C’est ce qui explique la faculté pour les ménagères québécoises de se l’approprier et d’en faire un régal. Lorsque l’on a de bons produits, de la bonne farine comme on a ici, cette cuisine-là peut rapidement être prise par les foyers”, explique le spécialiste, qui affirme qu’on retrouvait déjà des recettes de pâtes dans les livres de recettes québécois du milieu des années 1800.
Comme bien des cuisines étrangères, c’est à travers l’immigration que la gastronomie italienne est arrivée au Québec.
Au cours des années 1800, plusieurs Italiens viennent travailler aux chemins de fer, mines et camps de bûcherons. L’immigration s’accroît et devient plus permanente au début 1900, et culmine à la fin de la Seconde Guerre mondiale : une grande partie des Italiens qui arrivent à ce moment-là s’installent autour du marché Jean-Talon, créant ainsi la Piccola Italia.
Si ce sympathique quartier s’est rapidement rempli de restaurants italiens (impossible d’avancer lequel est le meilleur d’entre eux sans susciter un tollé), comme l’indiquait plus tôt Jean-Pierre Lemasson, les familles québécoises s’étaient déjà bien approprié une partie de la cuisine italienne.
Et appropriée avec fierté. Qui n’a jamais clamé que “non, vous ne comprenez pas, c’est MA grand-mère qui fait la meilleure sauce à spaghetti”? Qui ne s’est jamais indigné devant les ajouts hérétiques que leurs colocs/chums/blondes/voisins faisaient à la pure et noble sauce à spaghetti?
Quand on google “sauce spaghetti grand-maman”, nous pouvons avoir sur la première page seulement les recettes d’Hélène, Annette et Laurette, qui signent ces mélanges de légumes et de viande relativement semblables comme s’il s’agissait de recettes révolutionnaires.
Au Village Québécois d’Antan, c’est pas des beignes à l’ancienne qu’on devrait nous servir, mais bien du spaghat!
“La cuisine italienne qui ne coûte pas cher était très bien adaptée aux familles nombreuses de ces années-là. Compte tenu du niveau socio-économique du Québec à cette époque, c’était fort apprécié de pouvoir nourrir quand même pas mal d’enfants pour pas cher, et qu’ils soient rassasiés. Pour ce qui est de l’image de la mamma, elle est même mythifiée par les Italiens eux-mêmes; ils aiment bien représenter cela comme si la cuisine était l’amour de la mère qui rejaillit sur la famille. N’en mettons pas trop, mais c’est vrai que dans le discours des Italiens, la maman et la famille a quand même un sens certain, surtout avec la tradition catholique.”
Cuisine de référence
Mais sortons des chaumières un peu, car il ne faut pas négliger le fait que la cuisine italienne est, avec la cuisine française, l’une des deux grandes cuisines de référence des Québécois.
“Prenez par exemple les Di Stefano, Di Stasio et tous les Di que vous voudrez au monde; il y a quand même chez les Italiens une tradition de métiers de bouche qui continue de se développer. Encore aujourd’hui, si vous regardez à l’ITHQ, où est-ce que les jeunes veulent aller pour faire leurs stages? En France et en Italie pour la majorité. C’est une cuisine ménagère, elle est bonne comme ça, mais on la retrouve aussi dans les restaurants plus développés, avec approche technique plus exigeante; on la retrouve aux deux niveaux.”
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Il y a les vins qui viennent en soutien d’un discours culinaire. Beaucoup de légumes, les pâtes qui sont surtout considérées comme une entrée.
“Quand on assimile cette cuisine à la pizza nord-américaine, c’est une catastrophe. C’est une cuisine qui est santé quand on garde l’esprit italien, très fortement axé sur la qualité des produits, et non quand un esprit d’industrialisation la pervertit comme ça arrive trop souvent. »
Grassa Italia
Les chiffres confirment ce que dit Jean-Pierre Lemasson. Évidemment, on se doute que notre pizza extra fromage et notre poutine italienne ne représentent réellement pas la vraie cuisine italienne.
Mais même de l’autre côté de l’océan, les traditions prennent le large.
Le dernier rapport de l’OCDE soulignait que le nombre d’enfants en surpoids en Italie était parmi les plus élevés au monde (environ 30 %). Pourtant, ce pays est souvent considéré comme l’un des endroits où la population est la plus en santé au monde, toujours selon l’OCDE.
Les hypothèses? Un peu comme partout, la nourriture transformée, industrielle, les boissons gazeuses, les gâteaux achetés, etc. Le mode de vie sédentaire.
Et la tendance indique que ça pourrait se poursuivre : si l’Italie semble plus réfractaire que d’autres pays européens à faire vivre les grandes chaînes de restauration, Dominos y a quand même ouvert une première succursale en 2015, et Starbucks devrait y faire son entrée en 2017.
Pour renverser la vapeur et faire honneur à la haute espérance de vie italienne et à l’alimentation méditerranéenne si vantée, il y a intérêt à se rapprocher de la tradition, soulignent plusieurs observateurs italiens.
À écouter Jean-Pierre Lemasson, celle-ci serait loin de nous décevoir. “La cuisine italienne est très riche et couvre une grande gamme de produits. Ça va de la salade à la truffe, en passant par les fromages, les vins… c’est une cuisine diversifiée, ce n’est pas la même en Toscane qu’en Sicile. Il faut renforcer cet esprit d’une cuisine beaucoup plus diversifiée, variée et riche que les quelques plats emblématiques qu’on a toujours. Pour les Italiens, l’alimentation, c’est très fort; la bouffe, c’est sacré. On ne mange pas n’importe quoi et on ne fait pas la bouffe n’importe comment.”
Pour les petits Italiens comme pour le reste du monde, levons nos verres de chianti au retour du sacré.
Quand ça veut dire renouer avec une tradition gastronomique aussi délicieuse que celle-ci, y a pas de mal à être plus catholique que le pape.
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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier : “Acheter du silence sur iTunes”