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Je ne suis pas une fan finie des grands galas, mais il m’arrive de temps à autre de jeter un coup d’œil sur les photos des tapis rouges… et sur les tapis rouges, après les robes des vedettes, c’est bien souvent leurs bijoux qui attirent l’attention. On regarde les boucles d’oreilles, bracelets et colliers scintiller, comme de mythiques gages de distinction.
En plein mois du jet set chez URBANIA, je me suis demandée : mais qui donc achète ça les giga gros bijoux et depuis quand l’homme tripe sur le bling-bling à outrance?
Si, par curiosité, on décide d’aller jeter un coup d’œil sur le site d’un grand bijoutier juste pour voir, on peut déchanter rapidement. Un exemple? Un bracelet de diamants acheté chez Birks peut valoir jusqu’à 84 995 $… soit plus cher que le prix d’une maison unifamiliale à Asbestos.
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Des bijoux pour tout le monde?
Après une recherche du genre, on pourrait être tentés de croire que les bijoux de luxe, c’est pour les vedettes. Et quand on apprend que beaucoup de bijoux portés sur les tapis rouges sont prêtés par les marques pour se faire de la publicité (Suzanne Clément portait par exemple des boucles d’oreille Birks lors d’un tapis rouge pour la première du film Mommy à Toronto), on se demande qui peut bien les acheter, ces bijoux!
On a posé la question à Francis Guindon, directeur communication de la marque chez Birks. Il nous a répondu que la clientèle était hétérogène, allant du baby-boomer au millennal, et qu’on ne magasinait pas chez eux que pour les grands événements. “Avec l’arrivée de nos collections fashion — avec un prix entry level — nous avons de plus en plus de clients qui viennent faire leur shopping chez Birks afin de compléter leur look. Il y a aussi des gens qui investissent dans des pièces plus uniques, comme il y a des gens qui investissent dans les voitures ou les nouvelles technologies, par exemple.”
Il marque un bon point quand il compare l’investissement dans un bijou à l’achat d’une voiture de luxe ou d’appareils technologiques haut de gamme. Pour quelqu’un qui est heureux avec des bracelets tressés en chanvre, difficile de comprendre l’attrait de bijoux valant plusieurs centaines ou milliers de dollars. De la même façon, un fier détenteur de Dodge Neon regardera passer des voitures de luxe avec le regard plat, et le fan de pizza congelée ne fera pas la file pour acheter un batteur sur socle. Les tentations n’existent que si la faiblesse (ou l’envie) est présente chez une personne; l’amour des beaux bijoux existe manifestement, et les produits de qualité retiennent l’attention.
On se doute bien que même chez les passionnés, on n’arrête pas chez le bijoutier comme on arrête à l’épicerie. Les achats sont souvent faits pour souligner des moments importants : mariage (bague et jonc), naissance (cadeau pour bébé/enfant), fête des Pères (montres) ou cadeaux de Noël.
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Comme le prix n’est pas inscrit sur nos bijoux quand on se balade avec ceux-ci, on peut se douter que la valeur est probablement symbolique pour ceux qui les portent. Et ça, c’est loin d’être nouveau : il n’y a qu’à penser aux joyaux royaux, attributs de la couronne, dont l’histoire se lit souvent comme un téléroman historique mêlant gloire, kidnappings, disparitions, confinements dans une tour et falsifications.
Royauté et bijoux de famille
Même aujourd’hui, alors que la royauté n’a plus l’importance qu’elle avait, les pays détenteurs de joyaux de la couronne les traitent avec le plus grand respect (et la plus grande paranoïa, puisque leur valeur étant littéralement inestimable, il est impossible de les faire assurer).
De par le pouvoir qu’ils ont représenté, par leur beauté et le fait qu’ils ont traversé tant d’histoire, ils fascinent toujours autant. En 2013, les joyaux de la couronne de Bohème ont été exposés pour 10 jours à Prague, et des milliers de visiteurs ont fait la file pour simplement être dans la même pièce qu’eux et y jeter un coup d’œil. (Ce qui n’a pas empêché le président de la République tchèque d’assister à la cérémonie saoul, comme le démontre ce charmant reportage.)
Les souverains qui régnaient sur plusieurs royaumes changeaient de couronne selon qu’ils occupaient une fonction ou une autre. Les couronnes étaient fréquemment utilisées dans l’élaboration des héraldiques, et devaient souvent rester sur le territoire du royaume pour limiter les risques (ce qui a incité le roi du Royaume-Uni George V à faire créer une toute nouvelle couronne de 6000 diamants à utiliser le temps d’une visite à Delhi en tant qu’empereur des Indes, couronne qui n’a servi que pour cette raison et qui est depuis remisée).
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Bref : les bijoux, aujourd’hui, occupent beaucoup moins d’importance dans nos vies qu’auparavant, et l’idée d’investir là-dedans pour mettre son argent à l’abri, comme il a pu être coutume de le faire autrefois, nous paraît peu probable.
Cela dit, comme les tapis rouges et les bijouteries toujours ouvertes nous le montrent, l’intérêt et la fascination pour ces produits n’ont pas disparu, qu’ils agissent comme marqueurs temporels symboliques ou comme démonstration d’une certaine classe ou de richesse. Et il ne faudrait pas sous-estimer l’aspect héréditaire : oui, les collections de bijoux de famille sont encore bien présentes; on entend des histoires touchantes chaque jour dans les bijouteries, indique Francis Guindon.
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Machine à espresso industrielle, chaises de cuisine de designer, robe à un prix exorbitant, tableaux originaux… Certains luxes nous attirent plus que d’autres, et bien souvent le seul fait de savoir qu’une chose est réputée “de grande qualité” ou “authentique” nous fait l’envisager autrement, même s’il est pratiquement impossible pour nous de le vérifier ou de faire la différence.
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La rivière de diamants de malheur
Dans la nouvelle La Parure, de Maupassant, une femme de classe modeste (mais pleine d’ambition) s’achète une belle robe pour assister à une fête, et a l’idée d’emprunter à l’une de ses amies fortunées une rivière de diamants, histoire de briller pour une fois dans sa vie. Et ça marche. “Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le plaisir, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté, dans la gloire de son succès, dans une sorte de nuage de bonheur fait de tous ces hommages, de toutes ces admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si complète et si douce au cœur des femmes.”
Sur le chemin du retour, c’est le drame : elle perd le bijou. En achète une autre à un prix exorbitant, écoulant ainsi les économies de son mari et passe les dix années suivantes à vivre misérablement pour rembourser cette dette. Elle perd sa grâce qui se transforme en rudesse paysanne à force de travaux. “Que serait-il arrivé si elle n’avait point perdu cette parure? Qui sait? qui sait? Comme la vie est singulière, changeante! Comme il faut peu de choses pour vous perdre ou vous sauver!”
Des années plus tard, dans la rue, elle recroise son amie, qui est étonnée de la voir si changée. Elle lui explique tout : la perte, l’achat d’un nouveau collier, les dix années de labeur. Et l’autre de lui répondre :
“Oh! ma pauvre Mathilde! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs!…”
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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier : “Forum Social Mondial : quel sera le média de demain?”