« Le rose, c’est pour les filles ! » Combien de fois ai-je entendu cette remarque durant mon enfance, alors que je préférais le bleu? Pourtant, magasiner des cadeaux de naissance m’a forcée à constater que, en effet, trouver un pyjama en taille trois mois qui ne soit pas rose, avec des cœurs ou des inscriptions cringe du type « Daddy’s little girl » peut se révéler ardu.
J’en ai discuté avec une mère un peu désespérée par l’offre vestimentaire pour enfants et une spécialiste de la mode.
Tomboy ou fifille
Mélissa est mère de deux enfants : un garçon de six ans et une fille de trois ans. À la naissance de son premier bébé, elle prend la décision d’acheter uniquement des vêtements non genrés, notamment pour pouvoir les réutiliser quel que soit le sexe de ses prochains enfants. Toutefois, la nouvelle maman déchante rapidement : « Même les cache-couches sont genrés. Ceux pour filles ont des froufrous. »
Depuis qu’elle est devenue mère, Mélissa peine à trouver des vêtements d’enfants qui correspondent à ses valeurs, c’est-à-dire abordables, confortables et ne véhiculant pas de stéréotypes genrés. Si son garçon n’échappe pas aux dinosaures et aux tracteurs, habiller sa fille lui donne encore plus de fil à retordre. « C’est vraiment dur d’acheter des pantalons et des shorts pour filles », confie la jeune femme.
« Je trouve juste des leggings. Même quand je cherche des pantalons plus chauds, ce sont des leggings doublés. Pour les shorts, ils sont souvent très courts et moulants. »
Comme les enfants ont la même morphologie jusqu’à la puberté, Mélissa a bien tenté d’aller faire un tour dans le rayon des garçons pour trouver des pantalons chauds et confortables pour sa fille. « Il y avait juste des joggings super baggy », raconte-t-elle, un peu découragée. En matière de style, les petites filles semblent donc coincées entre deux styles aux antipodes l’un de l’autre : tomboy ou fifille.
La jeune maman a bien tenté de trouver des alternatives aux magasins bien connus qu’elle avait l’habitude de fréquenter, sans grand succès. « Les marques qui proposent des vêtements non genrés sont souvent plus chères », explique-t-elle. « Et quand j’ai essayé d’acheter un lot de vêtements seconde main pour fille sur Facebook Marketplace, la majorité des items étaient roses ou avec des pompons. »
La poule ou l’œuf?
À l’heure de la déconstruction des stéréotypes de genre, n’y a-t-il pas un paradoxe à ce que les parents aient tant de difficulté à trouver des vêtements qui iront aussi bien aux petites filles qu’à leurs frères? De plus, cette tendance est relativement récente : sur les photos de mon enfance, dans les années 1990, garçons et filles portent les mêmes couleurs et les frères et sœurs qui portent des vêtements et des souliers similaires ne sont pas rares.
« Quand j’étais enceinte, j’ai ressenti beaucoup de pression pour divulguer le sexe du bébé », se remémore Mélissa, qui avait demandé des cadeaux de naissance qui n’étaient ni roses ni décorés de licornes.
« Les gens veulent absolument nous offrir du linge rose ou bleu. » Elle ajoute que les évènements de type baby shower ou gender reveal party accroissent la pression, car les cadeaux sont offerts avant la naissance de l’enfant.
« Si les marques proposent ce type de vêtements, c’est bien parce que les gens les achètent », remarque la chercheuse en mode Marie-Ève Faust. Toutefois, elle faitremarquer que de proposer une offre aussi genrée pousse les consommateurs à acheter davantage, car ils ne peuvent pas réutiliser les vêtements des enfants d’un certain sexe pour ceux de l’autre.
À ce sujet, la journaliste allemande Marie-Louise Trimcke a analysé 20 000 vêtements pour enfants et a conclu que depuis une vingtaine d’années, le marketing genré est de plus en plus agressif, en particulier dans les enseignes de fast fashion. Comme l’objectif de ce type de commerce est de vous faire consommer toujours plus, vous faire acheter deux fois les mêmes choses est une stratégie permettant de contrer le déclin des ventes engendré par la baisse du taux de natalité.
Sois belle et ne bouge pas
À part les coûts engendrés par l’achat de nouveaux vêtements, est-ce qu’habiller les enfants en fonction de leur genre est nécessairement problématique? « Les jeunes sont bombardés d’images, et on ne les met pas dans un rôle neutre », explique Marie-Ève Faust.
« On définit les rôles des garçons et des filles dès leur plus jeune âge, et on sait qu’ils les mettront en branle. »
L’offre vestimentaire contribuerait donc à véhiculer les stéréotypes de genre, ce qui est particulièrement dommageable pour les filles. « Selon la logique du marché, les filles sont avant tout de petites femmes ; pour elles, les vêtements sont faits pour plaire », explique Marie-Louise Trimcke dans un thread sur X qui résume son travail d’enquête (en anglais). Les shorts du rayon des filles analysés par la journaliste étaient ainsi en moyenne 6 cm plus courts que ceux du rayon des garçons, ce qui, en plus de dévoiler davantage le corps des filles, les empêche de bouger avec autant d’aisance.
Ce n’est pas simple de renverser tant les mentalités que l’offre des grandes bannières. Par contre, la prochaine fois qu’un de vos proches offrira un chandail rose arborant l’inscription « Belle comme maman », vous aurez les mots pour pourrez envoyer cet article au.à la coupable pour expliquer pourquoi, peu importe l’intention derrière, c’était peut-être pas le meilleur cadeau à faire.