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Pourquoi les restaurants et les cafés sont plus bruyants de nos jours
La fin de session est là. C’est le rush. La débandade. Je carbure au café. Je travaille de 9 h le matin à minuit le soir. D’ordinaire, je travaille au lit. Oui. Au lit. En pyjama, l’ordi sur mes genoux directement sur les couvertes, mon dos accoté sur des oreillers. Tout ce qu’ils vous disent de pas faire pour être productive.
Pour aider mon cas, je décide exceptionnellement de faire comme tous les milléniaux et d’aller m’installer dans un beau café au design épuré où ils servent des chaï lattés. J’entre dans un premier établissement étonnamment pas trop bondé et m’y installe. Quelques minutes plus tard, malgré Vivaldi et ses quatre saisons à tue-tête dans mes oreilles, je trouve l’endroit cacophonique. Je change de café. Le même manège se produit.
Je me dis d’abord que c’est un symptôme de la trentaine, que cette intolérance au bruit arrive au moment où tu te mets à dire à voix haute « ah bin là, on n’a pu 20 ans! ». Mais non. Il se trouve que c’est un phénomène réel et explicable : les établissements de restaurations sont de plus en plus bruyants. Pas tous, ne généralisons pas, mais il y a une tendance observable et une application pour le prouver.
Une question de design
« Ce ne sont pas les gens eux-mêmes, c’est l’acoustique, le format, la façon dont on considère les restaurants en tant que tels. C’est beaucoup plus industriel, plus épuré. »
Dans la dernière décennie, plusieurs médias internationaux ont commencé à écrire sur la question du bruit. L’explication qui revient le plus souvent est celle de la mode architecturale. J’ai posé la question à l’acousticien Romain Dumoulin qui m’a expliqué que la forme de l’espace et les matériaux qu’on y retrouve ont un impact sur l’acoustique d’une salle.
« C’est une tendance avec le changement d’architecture des restaurants, me dit-il. Ils ont de moins en moins de matières absorbantes. Ça rend les espaces plus bruyants, ce ne sont pas les gens eux-mêmes, c’est l’acoustique, le format, la façon dont on considère les restaurants en tant que tels. C’est beaucoup plus industriel, plus épuré. » La présence de béton, les cuisines ouvertes, les hauts plafonds, tout ça explique comment tout est devenu plus bruyant.
Est-ce juste une question d’esthétisme? M. Dumoulin affirme que l’ambiance entrerait aussi dans l’équation, « certains restaurateurs, veulent que ce soit bruyant pour que ce soit vivant ». Si on considère la pression que subissent les restaurateurs montréalais, il n’est pas surprenant qu’ils fassent des choix en faveur de l’ambiance.
Plus de décibels, plus de profits?
Selon une étude réalisée en Floride, la musique pourrait avoir un effet sur nos choix de nourriture. Les gens auraient tendance à manger moins santé dans des établissements plus bruyants tout simplement parce que le volume de la musique a un impact sur nos rythmes cardiaques. Si nos cœurs battent vite, on est plus en état d’excitation et on fait ce que j’appelle « des choix de moments présents » (aka ceux que tu regrettes le lendemain).
Les gens boivent, l’ambiance attire les foules, un mouvement de masse se crée et d’un coup, un petit établissement moyen peut devenir « the place to be ».
Le chroniqueur culinaire Adam Platt écrivait en 2013 que certains propriétaires de restaurants avaient su profiter de la tendance au point de concurrencer les restaurants haut de gamme. Il suffit de mettre des gens en état d’ébriété dans un petit espace et de mettre le volume dans le tapis pour causer « un effet boule de neige ». Les gens boivent, l’ambiance attire les foules, un mouvement de masse se crée et d’un coup, un petit établissement moyen peut devenir « the place to be ».
Soundprint ou « le airbnb du son »
Quand un mouvement dure assez longtemps, un contre-mouvement n’a pas le choix de faire surface et c’est justement ce qui est en train de se passer. De plus en plus de gens fuient les établissements trop bruyants et partent à la recherche de lieux à l’acoustique plus raisonnable. Pour nous aider, l’app Soundprint a été créée.
L’application, munie d’un outil qui mesure le niveau de décibels, permet aux utilisateurs de partager le niveau sonore d’un espace sur une carte interactive.
L’application, munie d’un outil qui mesure le niveau de décibels, permet aux utilisateurs de partager le niveau sonore d’un espace sur une carte interactive. Quelqu’un qui cherche un endroit tranquille où étudier peut consulter la carte et voir quels sont les cafés-restaurants les moins bruyants.
Une solution coûteuse
Le mauvais côté des espaces épuré, c’est que quand l’ambiance est au point mort, ça parait vite. Le vide parait encore plus vide et le plein encore plus plein. C’est un couteau à double tranchant pour les restaurateurs. Romain Dumoulin m’explique qu’il y a une solution électronique au problème.
L’entreprise Meyer Sound a créé Constellation, un programme qui permet de changer l’acoustique d’une salle « de façon dynamique ». « Si par exemple il n’y a que quatre personnes dans le restaurant, on peut amplifier l’ambiance et rendre ça plus vivant. Ça se fait beaucoup dans les salles de concert », explique l’acousticien.
Le seul problème est que cette solution coûte aux alentours de 250 000 $. On voit l’avantage pour le Centre Bell mais le restaurateur moyen passera certainement son tour.
La faute de l’individualisme?
C’est une théorie qui peut paraître farfelue, mais à ce qu’on dit, être bruyant (au sens de parler fort) serait peut-être la conséquence de l’individualisme. L’article réfère précisément aux Américains, mais je crois qu’on n’y échappe pas nous non plus. La volonté de se faire entendre, le besoin intime de dire ce qu’on pense à quelqu’un qui écoute qui, tranquillement, a pris des airs de droit acquis, la multiplication des tribunes, etc. Tout le monde parle en même temps, tout le temps, partout. Oui l’espace, oui l’acoustique, oui la musique, mais peut-être aussi qu’on s’est mis à aimer parler plus fort.
À noter que ce texte a été écrit dans mon lit, en pyjama, avec Ludovico Einaudi en bande sonore pour enterrer le bruit du restaurant d’en bas. Ironique n’est-ce pas?