On est toujours ravis de tomber sur la liste des prénoms québécois de l’année, question de rire un peu des flyés qui ont prénommé leur garçon Phénix ou Mavryk (cinq de chacun nés au Québec en 2024).
Innocemment, j’avais demandé à la sociologue et professeure de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) Laurence Charton pourquoi, depuis quelques années, on voit tant de prénoms originaux ou à graphie alternative. J’avais alors en tête ces prénoms qui apparaissent une fois par an dans un article rigolo, comme Lazer ou Usher.
Eh bien, on n’en voit pas tant que ça, en fait, m’a répondu la professeure Charton.
« Les gens disent qu’ils veulent un prénom original, mais dans les faits, je ne suis pas sûre de ça. Quand on regarde les top 10 annuels, on constate que ça reste très classique, tant dans le choix du prénom que son écriture. Il n’y a pas grand changement. »
Les Québécois.es ne réinventeraient donc pas la roue quand vient le temps de nommer leur descendance et seraient même assez conservateurs. J’en veux pour preuve les prénoms les plus populaires de 2024 :
Filles
- Emma
- Olivia
- Florence
- Charlotte
- Alice
Garçons
- Noah
- Léo
- Liam
- William
- Thomas
Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Lorsque j’ai fouillé dans les prénoms les plus populaires de 2024 au Québec, j’ai dû descendre jusqu’au 89e rang pour trouver un prénom qui sorte un tant soit peu des sentiers battus : Rayan, donné par 79 familles à leur petit garçon et pour les filles, Aya (92e rang, 61 petites Aya).
Un prénom pour la vie
« Il y a ce sentiment-là que c’est un prénom pour la vie, une étiquette. C’est ce qui va représenter l’enfant », indique Laurence Charton.
La professeure de l’INRS sait de quoi elle parle. Pour une étude, elle a fait le tour complet d’une vingtaine de forums québécois qui débattent des propositions de noms de bébés. Les parents, surtout les mamans, les visitent pour tester leur idée de prénom et commenter celles des autres. En faisant le tour des discussions, on en tire un portrait assez précis des goûts en matière de prénoms dans la Belle Province.
En général, les parents ne souhaitent pas que leur enfant partage son prénom avec 10 autres copains de la cour d’école. Cependant, ils ne veulent pas non plus que leur enfant fasse rire de lui ni qu’il ait « un prénom qui n’existe pas ou un prénom avec une écriture un peu alambiquée », souligne la professeure Charton.
Voici, par exemple, deux commentaires extraits des forums visités par la professeure.
« Pas fan de Matao, ça fait Matheo revisité… Ça fait inventer je trouve. » (sic)
« Adame fait carrément traficoté, désolée. »
Selon les internautes, le prénom doit se rattacher à quelque chose de concret. Dans certains cas, les parents souhaitent faire référence à un personnage historique, dans d’autres, on pige dans la généalogie familiale. D’autres encore feront référence à la nature, à un artiste qu’ils apprécient ou à leur propre histoire d’amour, en donnant à leur enfant le nom de la ville où ils se sont rencontrés, par exemple.
« Même si, au départ, le prénom a été trouvé dans un livre ou un site web, ce qui transparaît, c’est qu’il faut quand même que ce prénom soit rattaché à quelque chose, résume notre sociologue. C’est rarement un prénom inventé. »
Parmi les considérations des parents se retrouve aussi le souci que le prénom soit court, et qu’il se prononce bien en français en anglais, et, pourquoi pas aussi, en espagnol.
Les filles, les gars : pas le même combat
Selon une étude publiée par la professeure Laurence Charton intitulée Les forums de discussions sur les prénoms d’enfants : entre prescriptions et normativités, il y a tout un écart de priorités entre les prénoms de filles et ceux pour les garçons. Un prénom qualifié de girly ou d’enfantin sera par exemple à éviter.
Le prénom féminin idéal doit avoir « de la classe » sans faire « prétentieux ». Ils sont généralement associés à des adjectifs de beauté, de gentillesse, de simplicité, de douceur, tout en ayant du caractère.
On pense également aux sonorités : celles qui sont « dures », « sifflantes », « plates », « sans relief », « pas fluides » ou « hypermodes » sont considérées comme peu appropriées pour les petites filles.
D’ailleurs, si les prénoms féminins se terminant en « a » étaient généralement évités pour éviter les prononciations en « o » (on pense aux pauvres Linda), ces dernières années, ils font un retour en force. La preuve : Emma était le prénom le plus populaire en 2024.
« La rime en “-lope” me fait peur… », indique cependant un internaute, qui n’a de toute évidence pas opté pour Pénélope.
Est-ce que c’est plus simple de nommer un garçon? Pas tant que ça, si on en croit l’étude de la sociologue. Selon les forums, le prénom pour petit garçon doit lui aussi avoir de la « classe », mais il doit souvent aussi faire « doux, pétillant/peps, charmant, charismatique, mystérieux, chaud, masculin, fort et viril ». Et attention de ne pas tomber dans le « féminin/trop fille, enfantin/infantilisant, lourd et dur »!
Bref, le prénom flyé est extrêmement rare au Québec, qu’on se fie aux goûts exprimés dans les forums parentaux ou aux statistiques officielles.
Et quand on parle des pires prénoms, la professeure Charton pose une question : « le pire prénom pour qui? ».
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