C’est un peu rendu un running gag : tous les restaurants à déjeuner ont soit le mot « oeuf » ou « egg » ou un dérivé dans leur nom : Eggspectation, Eggsquis, Allô! Mon coco, Tout en n’oeuf, Poeuf-poeuf pass (ok, je l’ai inventé celui-là).
Mais pourquoi cette tendance des restos à déjeuner à sortir leur plus belle imitation de Guy Mongrain (ou d’Arnaud Soly pour les milléniaux) quand vient le temps de nommer leur restaurant?
C’est ce qu’on a tenté de comprendre.
Les jeux de mots, c’est pas si niaiseux
Pour comprendre cette tendance, j’ai contacté Jasmin Bergeron, professeur de marketing à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM (on va dire ESG à partir de maintenant, ok?).
Tout de suite, il me surprend. Pour lui, ces jeux de mots sont une excellente stratégie de la part des restaurateurs : « Ils font bien! Oui, le jeu de mots c’est pour faire sourire et ça s’en vient un peu commun, mais c’est surtout pour donner la nature de l’organisation et l’avantage ».
Il poursuit : « Si le restaurant s’appelait “Chez Ouellet” c’est quoi ça, “Chez Ouellet”? Tandis que s’il y a des jeux de mots qui rendent ça clair que c’est [un restaurant] pour déjeuner [c’est mieux]. »
« Le consommateur choisit très très vite. Plus ça va être facile pour lui de faire son choix, mieux c’est. »
L’idée, c’est de rendre clair, le plus rapidement possible, ce que notre restaurant fait, parce que, comme le souligne Jasmin Bergeron, « le consommateur choisit très très vite. Plus ça va être facile pour lui de faire son choix, mieux c’est ».
J’ai également contacté Brigitte Loof, copropriétaire du restaurant rimouskois Chez Oeufs. Ce restaurant bien connu dans ma ville d’origine retient souvent l’attention des artistes de passage, parce que non seulement le restaurant s’appelle Chez Oeufs, mais chacun de la centaine d’items au menu porte un nom avec un jeu de mots d’oeufs : le Montagn’oeufs, le Branl’oeufs, l’Orgueill’oeufs… bref, vous comprenez le principe.
Même son de cloche de son côté : ce n’est pas l’humour qui est recherché en premier lieu. Ce qu’on cherche avant tout, c’est de se distinguer : « Le but, c’était pas que ça soit drôle. C’était de nous différencier, en faisant des jeux de mots en “oeufs” qui allaient avec le décor, qui allaient avec le concept ».
Comment choisir un bon nom?
Visiblement, le nom d’un restaurant est plus important que je ne l’aurais cru. Nommer son restaurant, ça peut être plus compliqué qu’on pense, finalement.
« Si t’es pour donner un nom de marque à ce que tu fais, c’est bon que ce que tu fais soit dans ton nom de marque, et à la limite, si t’es très très bon dans ce que tu fais, tu peux ajouter ton avantage dans ton nom de marque, c’est pas mauvais ».
Heureusement, le professeur Bergeron a des conseils : « C’est intelligent de mettre la nature du produit, ou l’avantage du produit, du service, de l’organisation ou autres. […] Si t’es pour donner un nom de marque à ce que tu fais, c’est bon que ce que tu fais soit dans ton nom de marque, et à la limite, si t’es très très bon dans ce que tu fais, tu peux ajouter ton avantage dans ton nom de marque, c’est pas mauvais ».
Et du côté de Brigitte Loof, comment le processus du choix du nom s’est-il fait? À l’origine, Chez Oeufs faisait partie d’une chaîne. Brigitte Loof, qui n’habite plus Rimouski, descendait régulièrement pour visiter son restaurant : « Chaque fois que j’y allais, quand on était sous un autre nom, je me disais toujours que les gens arrivaient et qu’ils étaient chez eux. C’est eux qui étaient chez eux, et pas moi. Je me disais un jour, si je change le nom, je vais appeler ça “Chez Oeufs”… et comme c’était du déjeuner, c’est là qu’est venue l’orthographe “Oeufs” parce que c’était simplement du déjeuner. Il n’y avait rien d’ésotérique dans le choix du nom! »
Et comment a-t-elle choisi les jeux de mots pour la CENTAINE d’items au menu? « C’est ben régional, mais on a choisi le mot branl’oeufs (NDLR : du régionalisme branleux qui veut dire indécis, qui ne fait pas de choix) parce qu’on se disait : “On a 100 choix de déjeuners, mais le monde vont finir par choisir le deux oeufs bacon”, donc celui-là on va l’appeler “branl’oeufs”. On trouvait ça ben drôle, mais surtout, on se disait que ça allait être notre marque ».
…mais un nom, c’est pas tout
Bon, si vous avez ouvert un restaurant à déjeuner, et que vous avez choisi d’éviter les jeux de mots, ne paniquez pas : l’effet de cette stratégie a quand même ses limites.
L’effet de cette stratégie a quand même ses limites.
« C’est sûr que pour le consommateur qui est plus habitué aux restaurants à déjeuner et qui les a tous essayés, ça a moins d’importance; là, il va y aller avec la qualité de la nourriture, l’expérience, etc. », explique Jasmin Bergeron de l’ESG.
Même son de cloche du côté de la propriétaire de Chez Oeufs : « C’est sûr que Rimouski c’est touristique comme région, donc on s’en fait parler par les gens qui viennent pour une première fois. Mais sinon, c’est plus nouveau pour les gens, c’est attendu. »
Dans le fond, les jeux de mots comme noms de restaurants, on finit par les oublier… jusqu’à tant que des fin finauds de Quatre95 décident de faire un texte sur le sujet… ou qu’on tombe sur cette page Tumblr qui recense les meilleurs (ou les pires?) jeux de mots dans les noms de commerces.