Scénario hypothétique : vous fouinez sur YouTube très (trop) tard le soir à la recherche d’un film de votre enfance visionné en version doublée. Disons Karate Kid. Pour vous, ça s’est toujours appelé Karate Kid même sans parler la langue de Shakespeare. Par contre, au fil de vos recherches, vous réalisez qu’au Québec, on parle plutôt du Moment de vérité…
Étrange, le titre ne vous a pas marqué plus jeune. Vous continuez vos recherches et vous trouvez aussi des versions de Karaté Kid (avec l’accent aigu) ou de Miss Karaté Kid pour le quatrième volet du film. Que-oua ? Pourquoi deux versions ? C’est le même film, oui ou non ?
Plane alors une grande question : pourquoi est-ce que la France et le Québec utilisent des doublages différents pour les mêmes films ? De ce fait, pourquoi les titres desdits films diffèrent d’un continent à l’autre ? On parle pourtant la même langue (excepté les du coup).
Étrange, le titre ne vous a pas marqué plus jeune.
Il faut alors fouiller un peu plus et comprendre que le doublage est propre à chaque région distribuant le film et fait travailler, dans un monde idéal, des acteurs locaux pour chaque version doublée. Netflix, pour ne nommer que lui, fait des économies en ne produisant qu’une seule version pour tous les marchés francophones. Par contre, contrairement à la France qui possède une législation obligeant les distributeurs de films à fournir une version doublée en Europe, le Québec ne bloque pas les versions françaises de l’extérieur dans nos réseaux, et ça nous donne un heureux mélange des deux ici. Il y a les VFQ, soit les versions françaises doublées au Québec, et les VF, les versions françaises doublées on ne sait où.
En fouinant un peu plus, on tombe sur un autre phénomène encore plus étrange et qui nous prend littéralement pour les dindons de la farce : les Français s’amusent à rire des titres de films que l’on choisit pour nos versions françaises.
Comme avec notre Moment de vérité plus haut, l’Hexagone trouve ça très marrant de nous traiter d’idiots parce qu’on parle d’Histoire de jouets au lieu de Toy Story ou de Rapides et Dangereux au lieu de The Fast and the Furious (prononcé Ze Fast and Ze Furiousse).
C’est quand même insultant d’être du mauvais côté d’une blague et, forcément, on a envie de comprendre.
Pourquoi ils se moquent de nous et, surtout, pour qui ils se prennent ?
D’abord il faut savoir que les distributeurs de chaque film choisissent les titres pour chacun des marchés. Ils écoutent les suggestions des doubleurs, parfois, mais ils ont le dernier mot. Ainsi, le Québec et la France ne sont pas sous la même tutelle et, forcément, l’approche marketing n’est pas la même… parce que nous n’avons pas une obsession maladive pour l’anglais. C’est d’ailleurs surprenant puisque les Français, du moins ceux qu’on connait, parlent l’anglais comme des vaches espagnoles.
Il ne faut pas chercher très loin pour se rendre compte qu’en France, une version française est souvent une autre version anglaise « ’bonifiée »’ pour plaire à l’oreille des Bleus. Mondialisation oblige, c’est une mode assez récente. En 2010, environ 10 % des films étaient retitrés en anglais sur le territoire français. Vous voulez des exemples, j’en suis certain.
Ainsi, The Hangover devient Very Bad Trip. The Other Guys devient Very Bad Cops et Runaway Bride devient Just Married (ou presque). Il y a semble-t-il en France un anglais qui se comprend mieux qu’un autre, ou bien ils éliminent les mots trop difficiles à dire.
Nous, on ose la question. Êtes-vous plus du type Fiction pulpeuse ou Pulp Fiction? Évidemment, les puristes diront Pulp Fiction, mais je peux comprendre l’attrait d’un titre francisé pour les gens qui n’ont pas envie de s’exprimer in English.
Forcément, on se sent un peu comme les dindons de la farce.
Il faut par contre leur donner un peu raison, aux Français, quand ils relèvent quelques-uns des titres ridicules qu’on donne aux films. Par exemple, Ferrovipathes pour Trainspotting. Oui c’est une traduction littérale, mais elle évacue complètement le réel emploi de l’expression Trainspotting, qui parle de la consommation de drogue. Ça serait comme traduire l’expression Virer une brosse par Turning a Brush, ou quelque chose du genre.
On peut aussi souligner la tendance à enlever ou ajouter des mots pour clarifier les titres lorsqu’ils sont redistribués dans d’autres marchés. Notting Hill, par exemple, devenait Coup de foudre à Notting Hill parce que Julia Roberts et Hugh Grant sur une affiche, ça ne hurle pas assez « comédie romantique » aux goûts des distributeurs. Soulignons aussi The Babadook qui devient Mister Babadook. Pourquoi ? Parce que.
Ma catégorie favorite reste les traductions utilisant des expressions tellement marquantes ou champ gauche que les films deviennent des classiques instantanés même s’ils sont corrects, sans plus. Par exemple, Il ne faut pas dire à maman que la gardienne mange les pissenlits par la racine est un classique de mon enfance qui ne m’aurait absolument jamais marqué avec le titre Don’t Tell Mom the Babysitter’s Dead.
Les Lavigueur déménagent (Flodders) est un autre exemple marquant au Québec d’un navet de l’Europe qui, avec une sauce locale, devient un film culte ici. Quoique dans ce cas-ci, c’est surtout le doublage, comme avec Slapshot, qui a fait la notoriété du film.
Alors, pourquoi les Français se permettent-ils de rire de nous alors qu’au fond, ils ne sont pas réellement mieux ? Ce n’est évidemment pas un grand enjeu de société, mais c’est quand même fâcheux d’être la risée d’une nation qui regarde chaque semaine Ze Voice à la télé tout en s’époumonant d’incompréhension quand ils ne pigent que dalle à notre français à cause de l’accent.
Et là, je ne vous parle même pas des fois où ils traduisent le français du Québec pour l’adapter au français de la France.
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