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Pourquoi les cyclistes ne prennent-ils pas les maudites pistes cyclables?
Il y a quelques jours a circulé sur les réseaux sociaux ce vidéo d’un cycliste qui s’est fait frôler par un autobus de la STM. Le cycliste a enregistré son altercation avec le chauffeur, qui soutenait que le principal intéressé n’avait qu’à emprunter la piste cyclable et à laisser la rue aux véhicules motorisés.
Je n’ai fait du vélo qu’une seule fois depuis que je suis à Montréal. Dix minutes en Bixi sur le boulevard Rosemont, dix minutes à être terrifié.
Je ne savais pas quoi en penser. Je n’ai fait du vélo qu’une seule fois depuis que je suis à Montréal. Dix minutes en Bixi sur le boulevard Rosemont, dix minutes à être terrifié. Je comprends pourquoi les cyclistes disent que leur moyen de transport est bon pour la santé; la peur de ne pas survivre au trajet m’a fait suer comme jamais. Je ne suis pas un automobiliste non plus, je n’ai pas de voiture.
Ni auto ni vélo. En fait, la plupart du temps, je reste chez nous.
Mais toute cette histoire de pistes cyclables et d’autobus m’a intrigué. J’ai donc contacté Magali Bebronne, de Vélo Québec, pour prendre le pouls du camp des cyclistes sur la question (mais pas son pouls à elle, qui n’est sûrement pas trop rapide, parce qu’elle fait du sport, elle).
Les cyclistes viennent en vélo, les conducteurs viennent en maudit
D’entrée de jeu, je demande à Mme Bebronne de me décrire sa réaction lorsqu’elle a vu ce vidéo.
« On a peur en fait, c’est effrayant. Je pense que toutes les personnes qui se déplacent à vélo se sont déjà fait frôler d’un peu trop près. » Ce n’est donc pas d’hier que la cohabitation entre les cyclistes et les conducteurs est difficile, mais si on peut se sentir moins concerné quand on est confortablement assis dans sa voiture et qu’on entend des histoires de cyclistes blessés à la radio, il en est autrement quand c’est nous qui sommes assis sur la selle.
Mais dans ce cas-ci, c’est un peu différent. On n’est pas en présence d’un conducteur de voiture lambda, mais bien d’un employé de la STM. N’a-t-il pas été un peu imprudent? « Il n’a pas été imprudent, c’est carrément de l’intimidation! On parle de chauffeurs professionnels […] qui sont capables de s’arrêter à quelques centimètres d’un trottoir! »
«Prends la piste cyclable en bas le grand»
Parlons-en d’ailleurs de ce fameux chauffeur. Dans l’altercation captée par le cycliste, on l’entend à quelques reprises lui « suggérer » de prendre la piste cyclable. Je vais mettre mon chapeau de chauffeur : « Pourquoi n’empruntez-vous pas la piste cyclable, hein? Pourquoi? »
« Pour la même raison qu’on ne prend pas toujours [l’autoroute] Décarie pour se rendre quelque part! Comme les voitures, si une artère est congestionnée, on va emprunter des plus petites rues parce qu’on estime qu’on va se rendre plus rapidement! » Pas fou. Je préfèrerais monter les marches de l’Oratoire St-Joseph à genoux que de passer sur Décarie à l’heure de pointe (c’est-à-dire 100% du temps).
«On ne demandera pas aux «vrais professionnels», les « vrais gens » qui travaillent et qui paient des impôts, de prendre 20 secondes pour ralentir un peu et dépasser de façon sécuritaire un cycliste.»
«Ce qui me fascine dans le discours selon lequel les cyclistes devraient se limiter à leurs pistes cyclables, c’est que [selon ceux qui le tienne] c’est bien correct si les cyclistes perdent leur temps, si ça leur prend 10 minutes de plus à rejoindre leur destination. Par contre on ne demandera pas aux «vrais professionnels», les « vrais gens » qui travaillent et qui paient des impôts, de prendre 20 secondes pour ralentir un peu et dépasser de façon sécuritaire un cycliste. Les cyclistes devraient se sentir mal de ralentir un autobus avec 50 personnes à bord, mais on ne questionne jamais le fait que ce qui cause de la congestion et qui ralentit les autobus dans notre ville, ce sont les autos! Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de conducteurs dans la vie qui se sentent coupables […] de ralentir les usagers du transport collectif».
Des infrastructures à repenser…encore plus.
Mais les cyclistes seraient probablement plus enclins à emprunter les pistes cyclables si elles convenaient mieux à leurs besoins : « Dans plusieurs municipalités, les pistes cyclables ont été faites pour des fins essentiellement récréatives. Ça louvoie le long d’un parc, c’est très plaisant et c’est pas du tout efficace. Il y a une prise de conscience depuis quelques années et les municipalités s’efforcent d’offrir des liens plus directs et plus efficaces. »
Et surtout, Magali Bebronne met l’accent sur la nécessité de concevoir des pistes cyclables séparées des automobiles. Pas seulement par de simples lignes blanches, mais par des obstacles physiques : « Les pistes cyclables séparées physiquement de la circulation à Montréal ça représente à peu près 80 km. Quand on compare ça à 4000 km de chaussée ou 5600 km de trottoir, on comprend vite que les pistes cyclables, il en manque, et il en manque beaucoup.
Les pistes cyclables peintes au sol sont constamment obstruées par des gens qui s’y stationnent pour livrer quelque chose, parce qu’ils n’en ont que pour deux minutes, etc. Mais, ah!, les cyclistes eux, faudrait vraiment qu’ils restent dans leurs pistes cyclables! »
Ça va-tu aller mieux, un jour?
Je suis un grand inquiet dans la vie. J’ai toujours besoin d’être rassuré. Heureusement, selon Mme Bebronne, le portrait n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît : « Il y a une explosion du vélo, et pourtant, le nombre de blessés graves et le nombre de décès ne cessent de décroître.»
«On estime qu’il y a un travailleur sur trois qui travaille à moins de 5 km de chez lui. Imaginez le nombre de personnes, si elles n’ont pas de passager à transporter, qui pourraient faire ce trajet-là à vélo. Mais pourquoi elles ne le font pas? Par crainte, parce qu’elles n’ont pas d’infrastructures suffisantes. »
Et ça risque de continuer à s’améliorer, parce que de plus en plus de gens naviguent entre les deux moyens de transport : « Quand on a tendance à se déplacer essentiellement en vélo, c’est bien d’être dans une voiture une fois de temps en temps, pour comprendre que c’est pas facile voir un cycliste qui n’est pas éclairé. De la même façon, quelqu’un qui se déplace essentiellement en auto, si de temps en temps il fait l’expérience de la circulation en vélo, il comprend l’inconfort que ça représente de se faire frôler. Alterner les modes de transport, c’est ça qui fait qu’on a plus de compréhension l’un envers l’autre. »
C’est comme un cercle vicieux, mais positif… un cercle qui est abonné à la page de Lili Boisvert et qui comprend les notions de consentement? En tout cas. Vous comprenez.
On va espérer que le changement de mentalités s’opère le plus tôt possible : «Y’a tout un potentiel qui est inexploité. On estime qu’il y a un travailleur sur trois qui travaille à moins de 5 km de chez lui. Imaginez le nombre de personnes, si elles n’ont pas de passager à transporter, qui pourraient faire ce trajet-là à vélo. Mais pourquoi elles ne le font pas? Par crainte, parce qu’elles n’ont pas d’infrastructures suffisantes. »
Et pour les autres, vous pourrez toujours faire comme moi et devenir travailleurs autonomes. Il n’y a jamais de trafic entre mon sofa et mon frigo.