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Les chansons monumentales ne peuvent pas être reprises; il faut laisser les artistes qui ont produit l’originale les interpréter, et ne surtout pas s’en mêler, sauf pour un hommage occasionnel. Telle était ma façon de penser lorsque j’ai vu qu’une reprise d’Amsterdam, de Jacques Brel, existait. Je l’ai écoutée pour valider ma façon de penser, et à mon grand dam… la reprise était excellente.
Il faut dire qu’elle était de David Bowie.
Qu’on écoute avec enthousiasme les nouvelles versions des chansons qui sortent ou qu’on fasse partie d’une école plus puriste (allo, commentateurs YouTube qui nous rappellent qui sont les “vrais artistes” derrière chaque chanson!), il faut admettre que les covers ont la cote.
Si la démocratisation des moyens de diffusion permet maintenant à Lionel, 15 ans (et à 1000 autres personnes comme lui), de faire écouter à la Terre entière son interprétation vacillante de Stairway to Heaven, le phénomène est loin d’être récent, souligne Martin Lussier, professeur au département de communication sociale et publique à l’UQAM.
“Les reprises musicales ont toujours eu beaucoup de succès depuis les 50 dernières années. Dans la musique pop autour des années 60, la plupart des artistes reprenaient ce qu’on appelle des standards et faisaient une bonne partie de leur carrière sur des reprises.”
Le standard Twist and Shout a d’ailleurs très bien ét é repris par ce charmant groupe nommé The Beatles, qui a par après mené une carrière plutôt respectable.
Pour une maison de production, les raisons de faire des reprises sont nombreuses : ça ne coûte pas trop cher à produire, c’est une bonne façon de gérer l’incertitude du monde de la musique (on utilise une chanson qui a déjà un public!), on peut faire redécouvrir un bagage musical à une génération qui ne l’a pas connue, on peut remettre une chanson au goût du jour, améliorer la qualité de son enregistrement… et rentabiliser les droits d’auteurs déjà payés.
Mais chez les auditeurs, qu’est-ce qui déclenche cet engouement pour les reprises? C’est probablement parce qu’elles ravivent les souvenirs qui y sont rattachés.
“La musique a plusieurs fonctions. Parmi ces fonctions-là, il y a la fonction mémorielle : on s’en sert beaucoup pour marquer les moments forts de notre vie. La musique accompagne notre premier french kiss, des moments importants, des rituels… et elle sert à nous rappeler ces moments-là.”
C’est pour répondre à cette demande que des stations de radio se spécialisant en classic rock joueront en boucle des chansons des Beatles, de Led Zeppelin ou de CCR. “On fait référence à une musique d’un certain temps, qui rappelle la jeunesse d’une partie importante de la population. Et il y a une raison bien spécifique pour laquelle les stations font ça : c’est une partie importante de la population qui consomme, et il devient important pour une station de s’assurer que ces consommateurs-là restent à l’écoute”, précise M. Lussier.
Il ne fait pas de doute qu’on aime réécouter du “vieux stock”. Vous vous rappelez des publicités faites pour Le Lait qui passaient il y a quelques années, et qui nous faisaient presque verser une larme sur du Joe Dassin en regardant une famille vivre de doux moments? Quand l’album de compilation de chansons est sorti, il s’est automatiquement trouvé dans le palmarès des 10 meilleurs vendeurs au Québec.
Meilleure que l’originale!
Au-delà de la nostalgie et des avantages financiers pour l’industrie de la musique, il faut dire que certaines reprises fonctionnent avant tout parce qu’elles sont sacrément bonnes.
Vous saviez que la magnifique et tragique chanson Hurt, si bien rendue par la voix cassée de Johnny Cash, est à la base une chanson de Nine Inch Nails? Il l’a si bien reprise que le compositeur Trent Reznor a dit qu’il était si étrange d’entendre quelqu’un s’approprier si bien sa chanson la plus personnelle qu’il avait l’impression que Cash avait embrassé sa blonde. Et Hallelujah, de Leonard Cohen, a si bien été reprise par Jeff Buckley que plusieurs la considèrent comme la version “définitive” de la chanson.
À l’occasion d’une période où ils étaient entre deux projets, les membres du band folk montréalais Will Driving West ont décidé de réaliser environ un cover par semaine, histoire d’expérimenter un peu et de se garder au travail. Le chanteur et guitariste David Ratté raconte.
“On a choisi des tounes dont on pensait pouvoir faire une bonne version, qui serait assez différente de l’originale. On prenait donc souvent des trucs très loin d’être folk, comme …Baby One More Time de Britney Spears ou Praise You de Fatboy Slim. Ç’a fait connaître le band quand même pas mal, parce que ç’a beaucoup été partagé. On a même joué au Festival de Jazz, et on a appris qu’ils avaient entendu parler de nous d’abord par les covers! Juste pour ça, ç’a valu la peine.”
Le band a donc choisi ses 11 meilleurs reprises, et en a fait un album qui s’est assez bien vendu. En spectacle, la formation fait toujours environ deux reprises, en plus de ses compositions. “La plupart de nos tounes sont dark et smooth. Une chanson plus upbeat, plus hop la vie, ça fait du bien dans notre show!”, dit David Ratté, qui assure que Beautiful, de Christina Aguilera, fait régulièrement partie du line-up.
Il faut dire que si on n’aime pas la pop et qu’une chanson pop ne nous plait pas, ça ne veut pas dire qu’on ne l’aimera pas adaptée à un autre style musical. “Britney Spears, beaucoup de monde ne l’aime pas parce que c’est de la pop, mais si tu ramènes certaines de ses chansons au folk, les amateurs de folk se rendent compte que finalement, c’est une bonne toune, l’originale. Mais il y a tellement de crémage et de cochonneries pour que ça passe à la radio que c’est quand tu enlèves la couche de marde que tu vois qu’il y a du bon stock!”
Pour finir, la reprise préférée de David? Sweet Dreams, de Eurythmics, telle que reprise par Marilyn Manson.
On vous laisse trouver la vôtre. Y a du choix sur YouTube.
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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier :