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Pourquoi la loi C-18 vous concerne
Cette semaine, les gouvernements du Canada, du Québec et l’administration des villes de Québec et Montréal suspendaient leurs investissements publicitaires chez Facebook. C’est là une mesure de représailles après que Facebook et Google aient annoncé qu’ils allaient (éventuellement) bloquer l’accès aux nouvelles canadiennes sur leurs plateformes.
Ces menaces sont en lien avec le projet de loi C-18 du gouvernement fédéral qui vise à encadrer les relations entre les médias canadiens et leurs intermédiaires de distribution sur le web. Ce projet vise, entre autres, à établir les bases d’un partage de revenus entre les géants du web et… ben nous autres, là.
Ce n’est pas la première fois que ça se produit, mais la deuxième. Après une bataille de plusieurs années, l’Australie a réussi en effet à faire discrètement plier les gros bonnets de Silicon Valley. Leurs médias semblent très bien s’en porter depuis.
Vous comprendrez que c’était à la fois inévitable et pas du tout souhaité par Zuckerberg, Brin et tous les autres qu’un autre pays mette son pied à terre face à leurs politiques de monétisation aussi opaques qu’impitoyables. Et c’est certain qu’en tant que média, cette bataille nous concerne en premier… mais elle vous concerne aussi – croyez-moi, j’ai été gestionnaire des réseaux sociaux pendant dix ans avant de devenir journaliste.
Pourquoi le ministre Pablo Rodriguez s’est-il lancé dans cette bataille?
La relation problématique entre les géants du web et les médias ne date pas d’hier et n’est pas exclusive aux médias canadiens.
Vous en avez peut-être déjà entendu parler, mais la monétisation sur le web (et plus principalement sur les réseaux sociaux) passe par la rétention. Plus vous demeurez longtemps sur une plateforme comme Facebook et Instagram, plus vous êtes exposé à de la publicité et considéré comme payant. La dernière décennie est donc devenue une véritable course à la dopamine chez les géants du web qui, sans cesse, cherchent comment provoquer le plus de plaisir… ou de colère le plus instantanément possible. Parce que la colère aussi est vectrice de rétention.
Les médias jouent un rôle crucial pour de grandes plateformes comme Meta et Google.
Ils fournissent une quantité ahurissante de contenu et leurs sections commentaires est un outil en or pour garder les utilisateurs plus longtemps sur leur plateforme.
Bien sûr, les géants du web clament qu’ils sont partenaires à armes égales avec les médias et que ce qu’ils gagnent en rétention d’utilisateurs est redonné en pages lues et en visionnement de vidéos. Saaaauf que… c’est de moins en moins vrai.
Parlez à n’importe quel gestionnaire de réseaux sociaux et cette personne vous dira que les excentricités de l’algorithme Facebook étouffent graduellement leurs ambitions.
La vérité là-dedans (du moins, pour Meta), c’est qu’à long terme, ils veulent faire payer tous les producteurs de contenu pour la visibilité de chaque publication.
Bien sûr, ceci reste une hypothèse, car Meta est une entreprise opaque qui fait danser tout le monde au rythme d’une musique qu’ils n’entendent pas depuis près de 20 ans. Tout le monde joue la game de Mark Zuckerberg sans en connaître les règles. Si, par miracle, on vient à y déceler des stratégies gagnantes, des changements d’algorithme viendront tout détruire quelques mois plus tard.
C’est pour ça que Pablo Rodriguez s’est embarqué dans cette bataille. Parce qu’il croit en l’importance des médias et dans la diversité des sources d’information. Il n’a pas envie que Facebook et Google décident de ce que vous aurez ou non le droit de savoir et de lire.
En quoi est-ce aussi votre problème, au juste?
Ce que Meta et Google font, c’est une prise d’otage virtuelle. Et qui sont les otages? C’est vous. Les médias sont forcés de payer pour vous parler, ce qui ne fait aucun sens.
En quoi est-ce donc votre problème? Écoutez, si les médias (donc des institutions vouées à vous relayer de l’information de qualité et vérifiée au préalable) disparaissent, le fardeau de l’information retombera alors sur les influenceurs et sur n’importe quelle personne prête à affirmer quoi que ce soit… incluant Meta et Google.
Le problème ici n’est pas seulement la qualité de l’information, mais aussi sa provenance.
Aussi conscientisés sommes-nous au sujet de l’emprise des géants du web et de leurs algorithmes sur nos esprits, est-ce que ça nous tente vraiment de leur donner le droit de décider de ce qu’on aurait le droit de savoir? Pour tous les bien-pensants qui fustigent le manque d’objectivité et la corruption des médias, si on donnait vraiment le contrôle de l’information absolu à des géants du web qui ne sont déjà pas portés sur la transparence, ça deviendrait cent fois pire que ce que vous croyez.
Mark Zuckerberg est vertement critiqué de part et d’autres pour le rôle que sa plateforme a joué dans l’élection de Donald Trump en 2016 et pour l’érosion de plus en plus grave de la démocratie d’année en année. Comment a-t-il réagi à ces critiques? En s’insérant bien sûr dans le processus journalistique.
Le but de Zuckerberg, c’est que Facebook devienne Internet. Il ne s’en cache plus.
Que pouvez-vous faire pour aider?
C’est ça, l’affaire : personne ne le sait.
Le flou complet des géants du web face au fonctionnement de leurs méthodes de distribution nous garde esclave de chacune de leurs décisions futures.
Lorsque questionné sur la loi C-18, Kevin Chan, directeur des stratégies de campagnes politiques mondiales chez Meta, affirmait : « Demander à une plateforme sociale en 2023 de subventionner des producteurs de nouvelles pour du contenu qui n’est pas si important pour nos utilisateurs, c’est comme demander à un fournisseur de courriel de payer le salaire des employés du service postal parce que les gens n’envoient plus de lettres ».
La seule chose que vous pouvez faire, c’est de jouer avec leur portefeuille et démontrer ce que ça signifie pour vous, du contenu important. D’arrêter de doom scroller cinq minutes pour taper l’adresse d’un média en lequel vous avez confiance dans la barre de recherche Google et passer du temps sur leurs sites. Ce n’est pas obligé d’être nous, là : n’importe quel média.
Si vous passez moins de temps sur les plateformes sociales et plus de temps directement sur les sites des médias, vous serez moins profitable pour Meta et Google, mais vous laisserez aussi une empreinte numérique qui leur communiquera quel contenu vous tient vraiment à cœur.
Est-ce qu’on va en bénéficier? Absolument.
Est-ce que tenir tête à ces compagnies qui essaient de contrôler vos vies pourra aussi vous bénéficier? À 100 %.
Le pouvoir est donc entre vos mains, car les géants du web ne peuvent rien sans vous.
Et nous non plus.