En pleine saison de la cabane à sucre, on était quelques collègues à parler de recettes d’antan. Tsé les recettes traditionnelles québécoises, les ragoûts, les tourtières, etc.? La conversation a alors viré vers les recettes de grand-pères. Pas les grand-pères dans le sirop, là. La bouffe de nos grand-papas. Et on s’est rendu compte que nos grand-pères mangeaient des affaires assez dégueulasses.
Voici une brève liste de « mets » (si je puis dire) de nos papis :
Des tranches de cheddar trempées dans le sirop d’érable.
Des tranches de pain blanc trempées dans du lait (ou de la crème) avec de la cassonade (ou du sucre) et parfois des petits fruits.
Des toasts margarine-sucre en poudre-cannelle.
Du spaghetti aux bines.
Du café de toasts brûlées (les miettes brûlées sont infusées dans l’eau chaude).
Du gras de rôti refroidi et tartiné sur du pain.
Du steak haché cru avec du sel.
Des tranches de patates brûlées dans une poêle en fonte, servies avec un carré de beurre.
De la mélasse sur du pâté à la viande.
Des toasts à la mélasse et au « fromage » Velveeta.
C’est extrêmement dégueu, mais pour la plupart d’entre nous, il s’agit de bouffe à laquelle nos grand-pères nous ont habitués assez jeunes, et qui réveille une certaine nostalgie.
Ça nous a tout de même amené à nous poser la question suivante : pourquoi la bouffe de nos grand-pères est dégueulasse comparée à la bouffe de nos grand-mères?
Pour explorer le sujet, on s’est entretenu avec Jean-Pierre Lemasson, professeur retraité de l’UQAM en histoire et sociologie de la gastronomie québécoise. Il a dégagé trois aspects à considérer.
Papi a les munchies, mammie pèle les patates
Tout d’abord, la différence fondamentale, c’est que la bouffe de nos grands-pères regroupe principalement des collations, alors que nos grand-mères cuisinaient des repas.
En effet, on peut difficilement s’imaginer souper aux tranches de cheddar trempées dans le sirop. Et tout comme les tranches de pain dans le lait et la cassonnade, ça ressemble plutôt à une collation composée de ce que papi a réussi à trouver dans la « dépense ».
Nos grand-mères elles, avaient pour responsabilité de nourrir leur famille (parfois nombreuse) du mieux qu’elles pouvaient, avec le budget alloué. « La femme était investie d’une mission familiale et donc de prendre soin de la santé de sa famille et de bien gérer l’économie familiale » explique M. Lemasson. « C’était pas nécessairement de la grande cuisine, […] c’était des recettes d’un simplicité déconcertante parce qu’on était dans la cuisine populaire et il fallait utiliser systématiquement les restes » poursuit-il.
Cuisine populaire qui coûte pas cher
Ce qu’on remarque aussi, dans la liste plus haut, c’est l’abondance d’ingrédients pas chers. Un bon exemple est la mélasse. Cette mixture issue du raffinage du sucre de la canne à sucre est devenue populaire dans les milieux modestes d’Amérique du Nord. « À partir du début du 20e siècle, le prix de la mélasse a baissé, notamment à cause du triangle de commerce entre Boston, l’Europe et les Antilles » précise M. Lemasson.
C’est alors devenu un ingrédient apprécié notamment pour sa haute teneur en calories. « La mélasse, c’est hautement calorique et c’est pas cher. […] Ça bourrait son homme » conclut le professeur.
Boucher un coin
Manger gras et riche pour avoir de l’énergie, c’est aussi le genre de philosophie qu’on peut associer à certains métiers traditionnels qui demandaient beaucoup d’efforts. Qu’on pense aux bûcherons qui devaient ingérer au moins 5000 calories par jour pour transporter des pitounes dans le fin fond de la forêt boréale, ou aux agriculteurs et éleveurs de bétail, les toasts au gras de rôti ont un peu plus de sens.
Bref, mettons que le but des collations de nos grand-pères (du moins, ceux issus des milieux populaires et qui ont parfois dû tirer le diable par la queue) était pas tant d’être fancy, mais de trouver la façon la plus pratique d’avoir de l’énergie au moindre coût.
Et pour nous, ben une fois de temps en temps, ça nous ramène en enfance, à l’époque où nos papi revenaient du potager avec des tiges de rhubarbe à tremper dans le sucre…
Et vous, seriez-vous game de manger vos hot-dog avec de la mélasse?