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Pourquoi je ne suis pas un foodie #NotAFoodie

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Quand j’usais mes jeans sur les bancs du Collège Ahuntsic (il y a très longtemps), les épicuriens me cassaient les oreilles avec leur mode de vie incomparable – c’est-à-dire aimer manger et boire des choses agréables à manger et boire. Le plaisir avant tout, carpe diem tatoué sur le chest et toute la patente.

Une révolution.

De nos jours, Instagram a offert une plateforme illimitée pour de nouveaux révolutionnaires avec le même refrain : les foodies.

On ajoute à l’amour de manger le plaisir de prendre en photo son manger. Encore là, du jamais vu. Transformer une planche de bois, trois légumes de saison et une protéine en œuvre d’art, voire en mode de vie, c’est le summum de l’évolution humaine.

Avant les foodies, les épicuriens mettaient la table à cette hiérarchisation des mangeurs et en périphérie de toutes ces bonnes fourchettes, les sapiosexuels s’inventaient un plaisir très exclusif de s’accoupler avec des gens futés – parce que nous le commun des idiots qui mange des hot-dogs on préfère le sexe avec de sombres imbéciles, juste parce que.

Bref, ça m’achale.

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#NotAFoodie, c’est ma façon de m’opposer à cette dictature de la nourriture “trendy”, “fusion”, “hip” ou encore “cool”. C’est ma façon de revendiquer la simplicité alimentaire. Manger pour le plaisir de manger — et non pour le besoin de paraître et de flasher son raffinement.

Remarque, ici, c’est peut-être moi le problème. Manger, dans mon quotidien, n’est pas une cérémonie. J’apprécie autant mon repas avec un verre d’eau qu’avec un verre de vin. Une vieille assiette brune un peu croche me procure le même plaisir qu’une planche de bois avec des courbes dedans. L’action de manger et le choix d’aliments deviennent accessoires, c’est surtout la compagnie qui compte et le prétexte.

Manger est une nécessité et c’est pas mal ça, même s’il y a du plaisir associé à le faire.

Faut le faire quand même, je me sens mal de ne pas avoir une semi-croquante à voir des petites pousses sur mon steak quand je le place dans mon assiette. Et ici, je n’essaie pas de rabaisser la gastronomie, loin de là. C’est une profession très noble et l’art culinaire est fascinant.

Mais les foodies, qu’est-ce qu’ils apportent à l’art culinaire à part des photos de brunchs que personne n’a demandé?

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C’est ça qui m’achale. Bien manger est devenu une façon de s’exclure de la masse. Prendre en photo son assiette et taguer le resto cool du moment, c’est rejoindre une clique élitiste qui a le temps et les moyens de brûler des centaines de dollars par semaine pour des portions de plus en plus petites de nourriture.

#RegardeCeQueJeMangeJeSuisMeilleurQueToi

J’aime les choses simples. Une protéine, un légume et un accompagnement. Des pâtes et une sorte de sauce. Un sandwich avec moins de 4 ingrédients. Une poutine pas renversée et sans pulled pork. Du manger, rien que ça.

J’avais de la viande de bois dans mon assiette plus jeune et ça ne venait pas avec le respect du produit qui fait bander les influenceurs sur les médias sociaux, sauf si, pour vous, trimbaler un orignal sur son capot de camion est un geste respectueux – alors là, les gens de ma région respectaient énormément le produit et ils se prenaient eux aussi en photo avec leur prise.

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La différence? Un orignal mort ne vient pas avec de beaux filtres Instagram et récolte très peu de likes. Et si c’était ça la vraie motivation des foodies – l’amour des autres?

Une main tendue vers l’univers qui ne demande qu’à être prise et réconfortée. Je mange donc je suis, pis toute.

Sauf que si je mange simple, suis-je simple pour autant? Et si je mange raffiné, est-ce que je deviens raffiné au même rythme que mon ingestion? Ça devient mêlant.

Ce que je veux dire, dans le fond, c’est que j’en ai contre les foodies et les épicuriens avant eux parce que ça sonne faux. C’est de la projection d’image, une version méticuleusement épurée de sa personne que l’on projette sur le web pour bien paraître, alimenter du rêve d’une certaine façon.

C’est surtout ça qui m’achale – on ne peut plus rien croire de ce que l’on voit, de ce que l’on entend.

#NotAFoodie – c’est plus vrai que vrai.

Steak, blé d’Inde, patate, comme disait l’autre.

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Pour lire une autre chronique de Stéphane Morneau : “Papa, c’est quoi un régime?”

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