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Pourquoi je ne juge plus les gens sur leur orthographe

J'ai réalisé que c'était la faute de l'orthographe, elle-même.

Par
Bettina Zourli
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Je suis en couple depuis plus de quatre ans avec un homme formidable, mais j’ai failli ne jamais le rencontrer à cause de mes principes tout pourris. Il y a encore 4 ans, je ne supportais pas les fautes d’orthographe. Pire encore, je méprisais les personnes qui écrivaient mal et qui multipliaient les erreurs de français.

Et puis un jour, sur Tinder, je discute avec un Français blond aux yeux bleus, alors même que je viens de m’installer en Thaïlande. Il me plaît, il a l’air drôle, vraiment chouette, j’ai envie de le rencontrer, mais… il fait des fautes.

Le classisme, ça vous parle ?

Le mot classisme se forme sur les mêmes bases que le sexisme ou le racisme : il exprime donc une discrimination, bien réelle malgré le fait qu’il soit encore souligné en rouge sur Word et pas du tout reconnu par Google qui le remplace par classicisme.

Le classisme, c’est donc une discrimination basée sur l’appartenance sociale (supposée ou réelle, d’ailleurs) d’une personne. Cela se traduit souvent en termes économiques, mais l’orthographe entre, selon moi, en ligne de compte. Oui, quand je méprise quelqu’un compte tenu de son orthographe, c’est parce qu’il y a tout un imaginaire qui se développe derrière, lié au statut social, au niveau d’études, de cette personne. Je considère ainsi que cette personne n’a pas reçu une éducation suffisante et qu’elle ne mérite pas mon attention. Pourtant, j’oublie que le niveau d’orthographe et l’intelligence ne sont absolument pas corrélés; je ne prends pas non plus en compte une éventuelle dyslexie. Bref, je juge sans connaître et je fais preuve de classisme.

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D’ailleurs, pour l’anecdote, l’Académie française fondée en 1634 par Richelieu, est un vestige de ce classisme. Fonder cette académie, ce n’était pas tant un moyen de créer un cadre à l’orthographe (qui était jusqu’alors chaotique) que de statuer sur le prestige des personnes qui utilisent la langue française de la bonne manière. Aujourd’hui, cette académie semble complètement archaïque puisqu’elle ne prend pas en compte les diverses évolutions sociétales (cf le refus de réfléchir à l’écriture inclusive). D’ailleurs, le neuvième dictionnaire de l’institution, commencé en 1986, n’est, à ce jour, toujours pas terminé (oui, c’est une information gratuite, mais honnêtement, ça prouve à quel point cette institution ne devrait plus en être une depuis longtemps).

De manière plus générale, c’est le milieu bourgeois du 18e siècle qui va mettre en place les règles orthographiques que l’on connaît aujourd’hui, règles qui ont délibérément été choisies pour être compliquées, et donc, le plus inaccessible possible (pas étonnant qu’on nous traite d’arrogants, nous Français.e.s).

Ce serait pas plutôt la faute de l’orthographe si on fait des fautes ?

Dans un événement Tedx organisé en mai 2019, un professeur de français et un professeur de philosophie se demandent si l’orthographe, qui est donc l’outil nous permettant de retranscrire une langue orale, est un bon outil. En quelques minutes, ils mettent en avant l’absurdité de la langue française en prenant exemple avec la lettre « s », que l’on peut écrire de 12 manières et prononcer de 3 manières différentes.

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C’est quand même sacrément présomptueux, non ?

La conférence se poursuit en montrant que de nombreuses règles orthographiques (pas logiques du tout) sont nées de l’observation de certaines erreurs ou certains oublis dans des textes plus anciens. C’est le cas du participe passé : on l’accorde quand le complément d’objet direct se positionne avant, mais pas quand il arrive après (tout cela est mieux expliqué dans la vidéo, promis).

Bref, l’orthographe, ce n’est pas figé : les règles évoluent avec le temps, et au vu de ce que je viens de vous exprimer, je pense qu’il serait bon qu’on se détende un peu tous.tes avec l’orthographe (et vous pouvez chouiner tant que vous voulez, je continuerai d’employer l’écriture inclusive).

Alors voilà, je ne juge plus les gens sur l’orthographe.

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Évidemment, je ne vais délibérément pas commencer à faire des fotes d’ortografe demain. Seulement, j’ai décidé il y a 4 ans que le fait de mal écrire certains mots, ce n’était pas grave. Ce n’était pas une raison de juger ni un motif pour discréditer la pensée d’une personne.

Tout le propos de cet article m’a été inspiré par des remarques de plusieurs abonné.e.s sur mon compte Instagram : je partageais des screenshots d’hommes m’insultant, et beaucoup réagissaient en disant : « Vu son orthographe, on ne peut pas en attendre grand-chose en même temps ! ».

Ça m’a frappée. Ce n’est absolument pas pertinent de faire ce genre de remarques, parce qu’encore une fois, on peut faire des fautes pour plein de raisons : dyslexie, langue non natale, etc.

Juger des personnes sur leur orthographe c’est réduire au silence des personnes sur le simple fait qu’elles ne sont pas infaillibles à l’écrit. Ça veut dire que personne ou presque n’aurait le droit de s’exprimer, mis à part quelques happy few qui ne seraient pas, à mon sens, très représentatifs de la population. Bref, ça tuerait quand même pas mal la liberté d’expression.

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Évidemment, dans un cadre professionnel, on a le droit voire le devoir de faire attention à son orthographe, surtout quand on envoie un CV par exemple (parce qu’on a le temps de se relire, de le faire relire, de le faire corriger, même par Word qui reste quand même efficace dans une certaine mesure).

Mais de là à évincer quelqu’un sous ce seul prétexte, non. C’est de la discrimination, purement et simplement.