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J’ai commencé il y a quelque temps à me faire couper les cheveux par un ami qui est mécanicien et qui travaille dans un garage. Il n’a aucune formation en coiffure, mais c’est un gars manuel qui est habitué à travailler avec des outils coupants, alors je lui fais confiance. Il me fait ça gratis, entre deux changements d’huile.
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Est-ce qu’il peut me faire des coiffures très élaborées? Non. Il maîtrise la base, mais pas plus. Ça ne me dérange pas, parce que je préfère me faire couper les cheveux par un mécanicien plutôt que de payer la taxe rose.
En moyenne, les femmes payent 7 % de plus, pour des produits pourtant similaires.
Qu’est-ce que la taxe rose? C’est une pratique économique qui consiste à charger plus cher des produits et services destinés aux femmes alors qu’ils sont de valeurs équivalentes à ceux destinés aux hommes.
Le phénomène s’observe chez le coiffeur et au nettoyeur, et pour des produits de consommation comme les rasoirs, les déodorants, les crèmes hydratantes et les parfums. Mais le ph énomène a aussi été observé du côté des vêtements et des jouets pour enfants.
La bonne blague à faire à ce sujet, c’est que «ok, on charge plus cher aux femmes des produits et des services, mais en même temps, les femmes sont moins payées que les hommes, alors ça compense…»
On peut toujours se dire que les femmes n’ont qu’à renoncer aux produits qui leur sont destinés si elles ne veulent pas être plus facturées…
À New York, le Department of Consumer Affairs, qui a analysé les prix de près de 800 produits, a constaté que dans 42 % des cas, les produits dédiés aux femmes étaient plus chers que ceux dédiés aux hommes. En comparaison, les hommes payaient plus cher dans seulement 18 % des cas. En moyenne, les consommatrices doivent payer une facture 7 % plus élevée pour acheter des produits similaires. En France, un rapport a pour sa part nié l’existence de la taxe rose, en observant que les prix des produits sont «alternativement défavorables aux hommes ou aux femmes».
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Il est possible que des différences culturelles expliquent les différences de consommation et de mise en marché dans les deux pays. Il faut aussi noter que la méthodologie des deux études est différente, ce qui peut aussi expliquer les conclusions opposées. Par exemple, l’étude française s’est penchée sur des services comme les prestations de déménagement, le dépannage automobile et la serrurerie. Or, personnellement, je ne savais même pas que des gens considéraient que la taxe rose s’appliquait pour ces services…
Au Québec, le phénomène est peu documenté. Mais, comme le dit la professeure et chercheuse de l’Université Laval Marie Lachance, «on remarque tout de même des tendances».
Un reportage de La Facture a récemment confirmé l’existence d’une taxe rose au Québec.
Comment savoir que la taxe rose existe, si on ne nous le dit pas? On ne nous apprend pas ça à l’école.
Adoptant la même logique que celle du rapport français, plusieurs personnes ont rétorqué après la diffusion du reportage qu’il arrivait que les hommes payent plus cher eux aussi, comme dans les boîtes de nuit où ils doivent parfois payer un coût d’entrée alors qu’on laisse les femmes profiter gratuitement des ladies night… Mais est-ce que cela est plus acceptable? Une discrimination dans un secteur en justifie-t-elle une autre ailleurs?
Dans le cas des produits de consommation, on peut toujours se dire que les femmes n’ont qu’à renoncer aux produits qui leur sont destinés si elles ne veulent pas être plus facturées. Après tout, personne ne les force à acheter des rasoirs aux couleurs pastel.
Les entreprises capitalisent sur les stéréotypes de genre qu’ils consolident grâce au marketing.
Mais encore faut-il que les femmes soient informées de cet écart de coût qui les pénalise. Car avant de le savoir, que la taxe rose existe, on ne le sait pas. On ne nous apprend pas ça à l’école, et ce n’est pas non plus écrit sur l’emballage: «nous avons ajouté X,YZ $ au prix de ce produit simplement parce que nous le vendons aux femmes».
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Et encore faut-il aussi cesser de mettre une pression indue sur la gent féminine pour qu’elles achètent les produits féminisés. (Un exemple de cette pression est illustré à merveille dans le Journal de Montréal sous un billet de blogue de l’Institut économique de Montréal dont le titre est «Taxe rose: mesdames, à vous de l’abolir», où le think thank libéral conseille aux femmes de cesser d’acheter les produits qui les ciblent si elles veulent abolir la taxe rose. Un des premiers commentaires sous le texte a été laissé par un homme qui écrit «Je ne souhaiterais certainement pas que ma conjointe porte un parfum pour… hommes!»)
L’idée est de rentrer dans la tête des femmes, qu’elles ne performent pas assez bien leur identité de genre à la base.
Et cela, c’est sans compter que l’option «pour homme» n’est pas accessible aux femmes dans le cas des services. Quand une femme va chez le coiffeur, on exige qu’elle paye le prix «pour femme», même si elle dit vouloir le service «pour homme».
Présentement, les entreprises capitalisent sur les stéréotypes de genre qu’ils consolident grâce au marketing. L’idée est de rentrer dans la tête des femmes (et des hommes de leur côté) qu’ils ne performent pas assez bien leur identité de genre à la base et qu’ils doivent se procurer des produits et services particuliers pour être «plus mieux des femmes féminines» et «de véritables hommes vraiment vrais».
La taxe rose est ni plus ni moins une discrimination financière qui exploite la socialisation sexiste.
À Montréal, une action collective vient d’être déposée à la Cour supérieure de la ville contre cette pratique. La représentante du groupe est une entrepreneure montréalaise, Aviva Maxwell.
Je compte suivre le dossier de près.
Et en attendant, je vais me contenter de mes coupes approximatives-pas-pires chez le garagiste.
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Pour lire un autre texte de Lili Boisvert: «L’épuisement des femmes publiques».