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Les boss trouvent généralement plus compétentes les personnes attirantes et surestiment leur productivité. À compétences égales, les joueurs professionnels de football qui sont plus beaux que leurs collègues gagnent plus d’argent qu’eux. Les dirigeant(e)s d’entreprise qui sont esthétiquement plaisant(e)s font un meilleur salaire que les autres. Les criminels qui sont hawt jouissent de peines plus clémentes. On préfère interagir avec les enfants cute qu’avec ceux moins gâtés par la génétique… Bref, la science ne nous fait pas de cadeau. Quand on s’y attarde, elle nous indique clairement que la beauté est source de privilèges.
Pourtant, qui arrive à se l’admettre, ici?
Qui, au quotidien, réalise l’ampleur de ses jugements inconscients? Certainement pas moi. Je frissonne à l’idée de devoir reconnaître que je valorise spontanément des individus à cause de leur physique ou, pire encore, que je profite de chances inégales à cause de mes grands yeux! Pourtant, la chose n’est plus à démontrer. Peut-être qu’il serait temps de commencer à travailler là-dessus, alors?
À mon avis, pour entamer la réflexion (et la route vers un monde meilleur), il faut d’abord comprendre pourquoi la beauté nous brouille le jugement de la sorte. Je me dis qu’une fois nos mécanismes saisis, on arrivera peut-être à briser notre kick sur le beau sans-cœur pas fiable dont on rêve quand même étrangement pour père de nos enfants… J’ai donc jasé avec Camille-Hélène St-Aubin, autrice du mémoire Les relations entre la beauté et l’attribution de compétences : une analyse évolutionniste, réalisé dans le cadre du programme d’anthropologie de l’Université de Montréal.
Au cours de son travail, elle s’est intéressée à six théories : trois d’ordre biologique et trois d’ordre sociologique. Attachez votre tuque, ce qui s’en vient est assez frustrant.
1- On cherche à se reproduire avec la crème de la crème
Camille-Hélène St-Aubin me prévient tout de suite : les recherches qu’elle a consultées abordent le sexe biologique de façon très dichotomique. Il y a les organes sexuels des hommes et ceux des femmes. Partant de cette idée, la première théorie biologique pour expliquer notre attrait envers les belles personnes est celle des traits sexuellement dimorphiques. C’est-à-dire qu’on serait attiré par des traits propres au sexe opposé et pas n’importe lesquels! Les traits affectés par les hormones sexuelles…
«Chez les femmes, c’est l’œstrogène qui va permettre la fertilité. Elle va aussi produire des lèvres plus pulpeuses et des gros yeux. Selon cette théorie, ces traits seraient donc attirants parce qu’ils signaleraient un bon potentiel reproductif.»
Elle m’explique : « Chez les hommes, c’est surtout la testostérone qui va affecter la fécondité. Elle va aussi produire des traits masculins stéréotypés, comme une arcade sourcilière définie, un menton fort et une mâchoire large. Chez les femmes, c’est plutôt l’œstrogène qui va permettre la fertilité. Elle va aussi produire des lèvres plus pulpeuses et des gros yeux. Selon cette théorie, ces traits seraient donc attirants parce qu’ils signaleraient un bon potentiel reproductif. »
En gros, on trippe sur des traits clichés parce qu’ils nous laissent croire qu’on ferait des bons bébés. Et si vous trouvez ça réducteur, attendez! Il y a plus : ces hormones sexuelles auraient un impact négatif sur le système immunitaire. Exhiber ces traits tout en ayant une bonne santé, ce serait donc un tour de force. Une excellente manière de montrer au monde entier qu’on est VRAIMENT la bonne personne avec qui se reproduire.
Beauté > vaccin, j’imagine…
2- Wow wow wow, des bons gènes!
Viennent ensuite les traits non sexuellement dimorphiques. Ça, ce sont les traits jugés beaux tant chez les hommes que les femmes : la symétrie du visage et l’apparence de la peau (idéalement jeune), par exemple.
« Ce ne serait pas juste des signes de fertilité, mais de santé, résume Camille-Hélène St-Aubin. Ils indiqueraient que la personne possède de bons gènes et qu’elle serait donc, une fois encore, une bonne partenaire de reproduction. En plus, un individu en meilleure santé est en meilleure condition pour s’investir dans les soins parentaux… »
3- À nous, le top de la hiérarchie sociale!
D’un point de vue sociologique maintenant, il y a la théorie de la généralisation du statut. Ça sonne complexe, mais c’est simplement l’idée selon laquelle des éléments de notre physique nous permettent d’accéder à un certain statut parce qu’à leur vue, les gens nous attribuent des compétences qui n’ont pourtant rien à voir avec les traits en question.
Par exemple, en recherche, on a rapidement établi que l’âge et l’appartenance ethnique étaient des caractéristiques diffuses de statut. En ce qui concerne l’appartenance ethnique, « on a par exemple démontré qu’on peut spontanément attribuer beaucoup de qualités à un homme blanc et pas mal moins à une femme noire, explique Camille-Hélène. »
Puis, la beauté a éventuellement joint les rangs des caractéristiques diffuses de statut. C’est donc dire que lorsqu’on trouve quelqu’un beau, on va lui attribuer plus de qualités. Alors on va non seulement le trouver physiquement plaisant, mais on va en plus lui inventer des compétences qui vont le rendre encore plus attirant! Quel joli cercle…
Pourquoi on attribue des qualités de manière aussi niaiseuse, vous demandez-vous! Eh bien, ce serait avantageux de pouvoir juger rapidement les personnes qu’on rencontre, question d’économiser temps et énergie. Ainsi, au premier regard, si on n’a pas d’autres informations sous la main, il nous reste ce que nos yeux nous rapportent et ce que notre corps ressent…
Dans son mémoire, Camille-Hélène St-Aubin avance que la sociabilité et le leadership sont des compétences particulièrement associées à la beauté. Selon ses observations, ces deux qualités seraient les plus importantes pour accéder à une meilleure position hiérarchique et pour la garder. Une personne au top pourrait vouloir partager ses expertises et ça, ça vient s’inscrire dans une troisième théorie biologique : « On serait arrivé à reconnaître les caractéristiques physiques des expert(e)s et à développer une attirance pour ces traits-là, m’explique-t-elle. On va te trouver attirante parce que tu vas exhiber les caractéristiques d’une bonne partenaire, mais dans tous les types de partenariats, pas juste parental. »
Mais à quoi diable ça sert de faire un tel tri visuel? Pourquoi on attribue des qualités de manière aussi niaiseuse, vous demandez-vous! Eh bien, ce serait avantageux de pouvoir juger rapidement les personnes qu’on rencontre, question d’économiser temps et énergie. Ainsi, au premier regard, si on n’a pas d’autres informations sous la main, il nous reste ce que nos yeux nous rapportent et ce que notre corps ressent…
Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour être efficaces, hein?
4- On veut croire que les belles personnes sont aussi les meilleures
En même temps, est-on pleinement responsable de ce réflexe? Pas si on prend en compte la théorie du stéréotype. « On va associer la beauté à la bonté et à toutes sortes de belles qualités parce que c’est comme ça que c’est représenté dans les médias, les publicités, le star-system, les mythes et les légendes, poursuit Camille-Hélène St-Aubin. La recherche de beauté par les individus ne serait donc pas uniquement une question d’esthétique, mais aussi d’intégration sociale. En se rendant plus beau, on se rendrait plus attirant de façon générale. »
5- La classe dominante impose ses propres standards de beauté
Dernière théorie, mais non la moindre : la reproduction sociale. Si vous n’êtes pas encore déprimés par cette lecture, voici votre coup de barre…
Puisqu’ils ont plus de pouvoir, les gens qui ont le plus de capital socioéconomique seraient également en mesure de définir les critères esthétiques à atteindre. La beauté deviendrait ainsi un outil de plus pour dominer les autres classes.
« Les corps sont soumis à nos conditions sociales en tant qu’individu, m’explique l’autrice du mémoire. Nos conditions de travail, notre accès aux soins et notre rythme de vie sont par exemple tous des aspects associés à notre capital socioéconomique qui vont modifier notre corps, au cours de notre vie. Ce serait donc possible de reconnaître la position sociale d’une personne juste en observant son physique. En gros, ça sert à différencier les classes. »
Et attention, voici la partie la plus choquante de l’affaire : puisqu’ils ont plus de pouvoir, les gens qui ont le plus de capital socioéconomique seraient également en mesure de définir les critères esthétiques à atteindre. La beauté deviendrait ainsi un outil de plus pour dominer les autres classes.
Pis? Êtes-vous assez frustré(e)s, maintenant? Parce que moi, si je n’étais pas si occupée à inconsciemment me chercher une trâlée de potentiels partenaires à bonne mâchoire et traits super symétriques, puis à leur inventer une bonté, ce qui en ferait les plus forts ET les plus doux des reproducteurs, je serais déjà en train d’essayer de déconstruire certains réflexes…
Dommage.