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Pourquoi l’Internet haït JoJo Siwa

Pourquoi Internet adore haïr JoJo Siwa

D’enfant-vedette dans « Dance Moms » à machine à controverses version glitter.

Par
Salomé Maari
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« JoJo Siwa Has Officially Lost It »

Des titres comme celui-là pullulent sur Internet. Mais depuis la semaine dernière, leur présence a carrément explosé.

À l’origine de cette nouvelle controverse, une vidéo TikTok. L’ex-enfant-vedette de 22 ans, autrefois connue pour ses énormes boucles arc-en-ciel et ses paillettes, y apparaît méconnaissable en trad wife à la voix cassée (vraiment cassée), reprenant la chanson Bette Davis Eyes de Kim Carnes.

@itsjojosiwa

After performing this song live and then seeing the beautiful response to it, I decided to go record a studio vocal…. I’m undecided if I should release it on Spotify or not…. Would you want me to?!!!🤍 if you would, I’m thinking maybe end of this week?

♬ original sound – JoJo Siwa

Cette performance, qui a pris Internet de court, détonne avec la plus récente image publique de la chanteuse virale, celle de la bad girl queer qui chug du Fireball sur scène.

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Face à cette énième vague de moqueries à son égard déclenchée par ce changement de cap soudain, une question s’impose : pourquoi les gens prennent-ils autant de plaisir à la détester?

D’ENFANT-VEDETTE À MACHINE À VENTES

En 2015, le monde a découvert JoJo alors qu’elle n’avait encore que 11 ans. C’était lors de sa première apparition dans Dance Moms, une téléréalité à succès diffusée sur la chaîne TLC suivant le quotidien de jeunes danseuses, de leurs mamans « gérantes d’estrade » et de leur professeure Abby Lee Miller, connue pour son caractère explosif.

Déjà, la petite JoJo y était souvent ostracisée, jugée « trop loud » et « trop crazy ».

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En 2016, sa carrière de chanteuse prend son envol avec la sortie de Boomerang, une chanson qui traite d’intimidation et dont le vidéoclip dépasse actuellement le milliard de vues sur YouTube.

L’année suivante, JoJo rejoint la véritable fabrique à enfants-vedettes qu’est la chaîne de télévision américaine Nickelodeon.

Avec ses chansons entraînantes et ses tenues aux couleurs pétillantes, la jeune vedette attire un public composé majoritairement de petites filles séduites par ses boucles-signature. En 2020, Forbes évalue d’ailleurs la vente de ces boucles à 400 millions de dollars.

Mais il n’y a pas que ces accessoires à cheveux. Sacs à dos, boîtes à lunch, ensembles de maquillage, autocollants, gobelets, sacs de chips : les produits à l’effigie de JoJo se multiplient, faisant de la jeune fille une véritable business ambulante.

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PASSER À L’ÂGE ADULTE SOUS LES PROJECTEURS

À 17 ans, JoJo fait son coming out comme lesbienne, et son orientation sexuelle devient dès lors centrale à son image. Sparkles et arc-en-ciel.

Puis, arrive le moment odieux auquel tous les enfants-vedettes sont voués, soit celui du passage à l’âge adulte, et ce, sous les yeux du monde entier. L’an dernier, à l’âge de 21 ans, elle rompt drastiquement avec son image de Nickelodeon kid, et troque ses paillettes arc-en-ciel pour des paillettes noires.

Ainsi, elle dévoile sa nouvelle identité de bad girl avec la sortie de sa controversée chanson Karma.

« I’ve been a bad girl. I’ve done some bad things », chante-t-elle, le visage beurré de maquillage noir lui donnant des airs de Gene Simmons.

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Sa transition vers le trash (un trash tout de même assez doux) est marquée par un style vestimentaire révélateur, des chorégraphies suggestives et un langage plus cru. Pour couronner le tout, elle consomme publiquement de l’alcool, y compris sur scène.

Lors de son spectacle pour la Pride à Los Angeles, elle empoigne une énorme bouteille de vodka Tito’s, qu’elle boit à même le goulot. Durant le même spectacle, elle lance, en parlant d’un de ses haters : « Number one, my dick was bigger than his and number two, I fucked more girls than him. » (« Premièrement, ma queue est plus grosse que la sienne et deuxièmement, j’ai fourré plus de filles que lui. »)

La vedette est alors vivement critiquée pour son comportement, que plusieurs jugent inapproprié compte tenu de l’âge de ses fans, dont la majorité est encore très jeune.

C’est toutefois à la suite de sa maintenant célèbre entrevue avec Billboard que la chanteuse recevra la plus grande avalanche de moqueries qu’elle n’ait jamais reçu, après avoir prétendu avoir créé un nouveau genre musical : la gay pop. Plusieurs y voient un manque de reconnaissance flagrant envers les nombreux artistes qui l’ont précédé.

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@queenarethechampions I know that not all of these are technically pop stars but they still deserve to be included😭🫶 #jojosiwa #freddiemercury #davidbowie #prince #boygeorge #georgemichael #ladygaga #fyp ♬ original sound – ♡︎THE Cool Cat♡︎

À L’ORIGINE DES RÉCENTES CONTROVERSES

Tout ceci nous amène au récent passage de Siwa à la téléréalité Celebrity Big Brother UK, alors qu’elle est en couple avec l’acteur.ice, DJ et animateur.ice de balado Kath Ebbs.

Campés devant leurs écrans, le monde entier assiste aux rapprochements entre JoJo et l’ex-participant de Love Island de 32 ans, Chris Hughes. Leur complicité physique et émotionnelle grandit au fil des épisodes.

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Au cours de la saison, la chanteuse dévoile avoir réalisé qu’elle n’est pas lesbienne, mais bien queer.

Une fois l’émission terminée, elle rompt avec Kath Ebbs et officialise sa relation avec Chris Hughes.

Puis, la semaine dernière, elle sort sa reprise controversée de Bette Davis Eyes, avant de laisser miroiter qu’elle pourrait être enceinte, ce qui enflamme Internet.

@itsjojosiwa

Couple of things that need to be addressed, so might as well do it with 2 truths and a lie☺️ which is the lie?

♬ Bette Davis Eyes – JoJo Siwa

DES SCANDALES CALCULÉS ?

Avec ses thirst traps déguisée en Draco Malfoy, ses reprises de chansons parsemées de fausses notes, ses danses outrageantes et ses déclarations grandiloquentes – comme la fois où, en parlant de son virage avec Karma, elle a dit : « No one has made this dramatic of a change yet. […] I’m the first of a generation, and it’s very scary, but… somebody’s gotta do it » (« Personne n’avait encore effectué un changement de cap aussi dramatique. […] Je suis la première de ma génération, et c’est pas mal épeurant, mais… quelqu’un doit le faire ») –, JoJo Siwa est en quelque sorte devenue la reine du cringe (le fait d’être gênant ou embarrassant) dans la culture populaire.

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« Elle a optimisé son existence pour créer de l’engagement en étant cringe et en se révolutionnant », analyse Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie et spécialiste de la culture populaire. « On a accès à une façade médiatique qui est en constante mouvance, et qui est à mon avis hyper réfléchie. »

L’expert explique que dans le cas de JoJo Siwa, on n’est plus uniquement dans le paramètre du paparazzi, où la vedette est exposée au public contre son gré. On se trouve plutôt dans une situation où la jeune femme performe cette transition intentionnellement sur Internet. « Elle le fait elle-même pour être capable de se garder dans l’imaginaire public », avance-t-il.

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Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en; le modus operandi de la jeune vedette semble assez clair.

UN MANQUE D’AUTHENTICITÉ

Depuis les dernières années, JoJo Siwa jongle entre des archétypes bien connus : la Nickelodeon kid, la jeune rebelle, et dernièrement, la trad wife. « Malheureusement, je pense que ce qui se passe, c’est qu’en [pivotant] trop, elle perd de son authenticité, puis en perdant son authenticité, c’est là que le public s’attaque à elle », explique Jean-Michel Berthiaume.

Effectivement, l’an dernier, la transformation de JoJo en bad girl a été vivement critiquée, justement car plusieurs l’ont jugé comme trop forcée.

Certains peuvent percevoir cette transition comme un rebranding inauthentique de la jeune vedette, « mais c’est très cohérent si tu la traites comme une adolescente », nuance le docteur en sémiologie.

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Après tout, la chanteuse a 22 ans, et comme tous les jeunes de son âge, elle explore son identité, fait des essais-erreurs, se trompe, apprend, se découvre, évolue. La différence, c’est qu’elle le fait sous les yeux du monde entier.

Et ce monde est rarement clément à l’égard des vedettes. Surtout lorsqu’elles sont des femmes. « Le sexisme environnant du star-système est assez évident », estime le chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal, qui évalue que les attentes du public à l’égard des célébrités féminines sont disproportionnellement plus grandes que celles imposées aux vedettes masculines.

LA MALÉDICTION DE L’ENFANT-VEDETTE

Grandir sous les projecteurs laisse souvent place à des dérapages. La culture populaire regorge d’innombrables exemples : Britney Spears, Amanda Bynes, Macaulay Culkin, Lindsay Lohan, pour ne nommer qu’eux.

Dans le cas des enfants-vedettes, ce sont souvent les parents qui veulent faire de leur enfant une star, explique Jean-Michel Berthiaume. Il faut que l’on se penche plus sérieusement sur ce phénomène complexe, croit-il. Un phénomène qu’il va même jusqu’à qualifier d’immoral : « De prendre un enfant, de le transformer au gré des tendances, de kidnapper son enfance… »

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L’expert prévient des risques que cela peut représenter. « Ça a magané Britney Spears, ça a tué JonBenét Ramsey, et on ne sait pas ce que ça va faire avec JoJo Siwa. »

ALORS, POURQUOI INTERNET ADORE-T-IL AUTANT HAÏR JOJO SIWA?

Avouez-le; vous aussi, il vous arrive de vous moquer de certaines vedettes.

Le phénomène qui consiste à prendre plaisir à participer à l’ascension d’une vedette et ensuite à son effondrement est « tellement commun » que Jean-Michel Berthiaume a l’impression qu’il est « fondamentalement humain ».

Mais pourquoi? Qu’est-ce que ça nous apporte?

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L’expert croit qu’il peut permettre à certains de sentir qu’ils existent, tout simplement. « Tu ne sais pas qui je suis, mais je peux changer ta destinée », illustre-t-il, en parlant de ceux qui vont jusqu’à envoyer des commentaires haineux aux célébrités. « Je suis anonyme, mais j’existe, et je suis puissant. »

Malgré toutes ces vagues de haine, JoJo Siwa demeure pour l’instant résiliente et c’est à se demander comment il lui est possible de surmonter la honte avec autant de désinvolture.

Mais qui sait ce qui se déroule quand la caméra du cellulaire s’éteint…

Quoiqu’il en soit, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la véritable machine à clics qu’est JoJo Siwa n’a pas fini de faire parler, pour le meilleur et pour le pire.