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Du jour de mon baptême, je n’ai gardé que quelques bribes. Les murs sombres de l’église. La fraîcheur de l’eau bénite sur mon front. Les membres de ma famille, sagement assis sur les bancs et se demandant, tout comme moi, ce qu’ils font là. « Comment fait-elle pour se souvenir aussi précisément de son baptême alors qu’elle n’était encore qu’un petit être innocent âgé de quelques mois seulement? », me direz-vous.
Au risque d’en décevoir certain.e.s, je n’ai aucun superpouvoir. Si ces souvenirs sont encore (relativement) frais, c’est simplement parce que j’ai reçu le saint sacrement du baptême à l’âge de 10 ans.
Cette entrée tardive dans la vie chrétienne, je la dois à ma mère (merci maman), pourtant pas croyante pour un sou. La raison? Elle voyait le baptême comme une sorte de cape d’invisibilité en cas d’arrivée au pouvoir d’un groupe politique extrémiste. Bah oui, c’est plutôt logique : en jouant les bonnes chrétiennes, aucun risque d’être dans le viseur d’un parti aux accointances connues avec le catholicisme. La peur provoque des réactions parfois bien étranges. Sans commentaire.
le soir, je m’essayais à la prière, souhaitant de tout mon cœur une victoire des Canadiens de Montréal à la Coupe Stanley et de la pizza au souper.
Pendant toute une année, j’ai donc reçu un apprentissage intensif de la foi, suivant non sans mal d’interminables leçons de catéchisme. Les pages de l’ouvrage religieux pour enfants Ma vie est un trésor, mon nouveau livre de chevet, regorgeaient d’illustrations de scènes bibliques que je parcourais avec indifférence. Mon niveau de foi atteignait des sommets quand, le soir, je m’essayais à la prière, souhaitant de tout mon cœur une victoire des Canadiens de Montréal à la Coupe Stanley et de la pizza au souper.
Après cette entrée en fanfare dans la communauté chrétienne, place au stress post-traumatique. Au fur et à mesure des années, mon rapport à la religion déjà bien conflictuel s’est converti en un athéisme coriace. La goutte d’eau qui a fait déborder le bénitier? La position de certain.e.s chrétien.ne.s sur le mariage homosexuel et les nombreux scandales d’abus sexuels au sein de l’Église.
Un jour, préférant comme à mon habitude rester sur le parvis d’un édifice religieux plutôt que de le visiter, une amie évoque pour la première fois le terme : « débaptisation ». Pour moi, ayant déjà bien dépassé la vingtaine, c’est la révélation. Quelques rapides recherches sur le web plus tard et je n’ai plus qu’une idée en tête : me faire apostasier (entendre : radier des registres de l’Église). Par cette démarche très symbolique, je pars en quête de cohérence avec mes valeurs, refusant d’être associée à une institution dont je ne partage pas les prises de position. Ma mère, elle, le prend comme un affront et une tentative de détricoter l’armure antifasciste qu’elle s’est efforcée de me bâtir.
Une fois la décision prise et annoncée, le chemin de croix débute. Première épreuve : retrouver mon acte de baptême. En quête du document sacré, je contacte la paroisse de ma commune. Et les embûches ne tardent pas à se présenter : il me faut justifier les raisons de ma recherche. Grande révolutionnaire dans l’âme, prête à partir en croisade contre l’Église catholique, je réponds que j’ai besoin de mon acte de baptême… pour pouvoir devenir marraine. Décidément, je ne faisais vraiment pas une bonne chrétienne.
le générateur me propose ensuite une liste de raisons à sélectionner pour justifier ma demande. Pédocriminalité, célibat des prêtres, relation science/Église… il y a l’embarras du choix.
Après quelques échanges succincts par mail, on m’informe que mon acte de baptême est à récupérer en main propre à la paroisse. De peur de ne pas réussir à assumer mon mensonge face à face, j’envoie ma mère chercher le précieux document. (Ça lui apprendra à me faire baptiser sans mon accord.)
Une fois validée la première étape de cet escape game à taille réelle, place à celle suivante : la lettre au diocèse. En théorie, nul besoin de justifier sa demande de débaptisation, mais c’est là que la partie le fun commence. Quelques recherches internet me permettent de trouver des générateurs de lettres de débaptisation qui se révèlent être d’une très grande aide. Je complète les cases vides par les informations récoltées sur mon acte de baptême et le générateur me propose ensuite une liste de raisons à sélectionner pour justifier ma demande. Pédocriminalité, célibat des prêtres, relation science/Église…il y a l’embarras du choix. Pour moi, ce sera égalité hommes/femmes, avortement et personnes LGBT+.
Il me reste toujours la possibilité de faire marche arrière s’il m’arrive, un jour, d’être touchée par la Grâce. Ouf.
Voulant faire les choses dans les règles de l’art, je prends ma plus belle plume et recopie à la main la corrosive lettre de débaptisation que j’adresse au diocèse sans attendre. Quelques jours plus tard, un courrier m’attend dans la boîte aux lettres. Alors que je pense avoir emporté le round par K.O., l’Église catholique se relève et décide de jouer les prolongations. Pour valider ma débaptisation, je dois leur faire parvenir une copie de pièce d’identité pour éviter toute tentative d’imposture. Moi? Mentir? Jamais.
Dans les jours qui suivent, je reçois enfin le Graal : la lettre annonçant ma radiation des registres de l’Église catholique. Le sentiment de rébellion est à son paroxysme bien que, concrètement, un baptême n’est jamais vraiment annulé. Il me reste toujours la possibilité de faire marche arrière s’il m’arrive, un jour, d’être touchée par la Grâce. Ouf.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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