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*L’auteur est professeur de sociologie*
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Plus d’un million de chiens habitaient le Québec en janvier 2020. À la lumière de l’engouement qui a saisi bon nombre de Québécois.es dans la dernière année, on peut parier que ce chiffre a continué d ’augmenter. Maintenant, est-ce que le déclin du télétravail va mettre fin aux lunes de miel canines? Est-ce que les foyers d’adoption de chiens vont se remplir à mesure que les fioles de vaccins se vident? Chose certaine, la relation humain-chien semble vivre son âge d’or.
Pas étonnant qu’on aime autant les chiens : c’est grâce à leurs comportements attendrissants qu’ils ont frayé leur chemin à travers l’histoire. Ces grands yeux ronds qui nous fixent, ces petits cris tellement cute et ce «wouf!» bien placé constituent des stratégies de survie, comme l’explique Dominique Guillo dans son livre Des chiens et des humains. Au 19e siècle, les chiens ont réussi un coup de maître en s’introduisant dans nos foyers. Depuis ils font partie de la famille, ce ne sont plus tant des «outils» qui servent un but précis (comme rassembler les moutons en menaçant de leur snapper les mollets).
Bref, c’est en gagnant notre estime que les chiens ont obtenu notre affection. Puis les voilà, triomphants, qui font les manchettes durant la pandémie.
Des «enfants» avec une truffe
Les chiens nous rendent toutes sortes de services. Depuis le choc de mars 2020, des maîtres en télétravail ont pu se bâtir une routine en s’appuyant sur les promenades de leurs compagnons à quatre pattes. Lors des marches, c’est fréquent que nos chiens s’arrêtent d’un coup sec, pour sniffer des miettes de bouffe ou les traces de pisse d’un congénère. Ce faisant, ils nous invitent à ralentir le rythme, contempler et respirer par le nez. Une personne qui préfère garder l’anonymat nous confie: «Mon chien m’apaise beaucoup depuis la COVID. Il m’enracine dans le présent, ce qui m’aide à décrocher de l’analyse compulsive des téléréalités.»
Quand nous étions confinés sans connaître la date de notre libération conditionnelle, posséder un chien, c’était le parfait plan.
La semaine dernière, François Legault nous annonçait rien de moins qu’un « été de liberté ». Quand nous étions confinés sans connaître la date de notre libération conditionnelle, posséder un chien, c’était le parfait plan. Parce que prendre soin d’un pitou, ça donne le sentiment d’être responsable d’un être vulnérable. Canis familiaris offre une relation semi-engageante : plus impliquante que celle avec un chat, mais nettement moins prenante que l’éducation d’un enfant.
Certains diront que le développement d’un chien plafonne plus vite que celui d’un humain, qu’il y a des limites à la complicité que l’on peut développer avec lui. Bon point. Sauf qu’un Border Collie peut performer, avec son maître, une chorégraphie sur la trame sonore du film Gladiator.
Des bêtes qui nous relient
C’était brutal, la manière dont les mesures sanitaires ont limité nos contacts sociaux. Pour pallier le manque, beaucoup de Québécois.es se sont rapprochés d’un chien, en l’adoptant ou en investissant le lien avec la bête qu’ils possédaient déjà. D’ailleurs, une étude montre que les humains qui se sentent proches de leur chien conversent régulièrement avec lui (une tendance qui se renforce quand ils n’ont pas d’enfants). C’est probable que la pandémie ait amplifié ce bavardage qui va au-delà des commandes «assis» ou «reste». Pourtant, bien que les chiens soient très attentifs à nos intonations et aux mouvements de notre corps, ils ne comprennent strictement rien au sens de nos phrases.
Des cyniques vont conclure que jaser avec son chien, c’est stupide. Ce paragraphe va leur clouer le bec. Quand on parle avec des humains, souvent, on se parle d’abord à soi-même : on utilise les autres comme des miroirs pour définir notre identité. Même principe avec le chien, qui incarne l’altérité sur qui l’on peut projeter toutes sortes d’impressions. Par exemple, un individu qui a besoin de reconnaissance peut se dire que son chien le regarde parce qu’il lui voue une admiration sans bornes! Certes, il existe une grosse part d’illusions, d’erreurs et de malentendus dans nos échanges avec les chiens. Mais c’est aussi le cas des relations entre humains. Surtout quand le masque et la distanciation brouillent les frontières de nos interactions.
Un chien, c’est aussi un allié de taille pour les célibataires.
Les mesures sanitaires ont aussi mis à l’épreuve des couples, des familles, des amitiés. Les espaces de socialisation autorisés par la santé publique variaient (et varient encore) selon les zones. Or, peu importe les paliers d’alerte, les chiens offrent des prétextes pour interagir avec d’autres humains, au parc à chiens ou ailleurs. Un chien, c’est aussi un allié de taille pour les célibataires. Surtout que depuis le coronavirus, le gros du dating se fait en ligne. Une étude portant sur une application de rencontre conclut que les utilisateurs qui arborent un chien dans leur profil ont plus de chances d’obtenir des matchs. Poser avec son pitou, c’est une manière de se présenter comme fiable, empathique, en plus de mettre en scène des compétences parentales.
Êtes-vous Plus chiens ou chats?
Le chien, c’est la seule espèce animale qui donne le droit de circuler dans un rayon d’un kilomètre après le (bientôt feu) couvre-feu. C’est le même rayon qu’en France, à la différence qu’au Québec, la loi ne précise pas que les déplacements doivent être brefs. Cette latitude en dit long sur la valorisation des chiens, ainsi que leur degré d’intégration dans notre société. Les restrictions sanitaires mettent en lumière les atouts du meilleur ami de l’humain.
Les chiens possèdent un sens très aiguisé de la vie en société. Ils savent nouer d’authentiques relations sociales, à travers toutes sortes de rituels qui enjolivent le quotidien. Les chiens sont aussi des bêtes dépendantes, ils récompensent nos sacrifices par une loyauté extrêmement sécurisante. Sur ce point, les chats ne font pas le poids.