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Pourquoi aime-t-on la musique de plus en plus rapide?

Bientôt, tout consommer vitesse x6 sera la norme.

Par
Malia Kounkou
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Avec TikTok, il est désormais possible d’aller plus vite que la musique. L’application vidéo au format court et percutant est en effet en train de populariser un style musical à son image nommé « sped up ». Comme son nom l’indique, ce style consiste à accélérer le tempo de chansons préexistantes de façon à obtenir une version plus aiguë et stimulante de la mélodie première. Ces remix, souvent effectués gratuitement par de simples internautes de la plateforme, touchent à une large discographie – ABBA, Dua Lipa, Eminem, Lady Gaga, Nirvana… – et sont si appréciés des utilisateurs.trice.s qu’ils en dépassent parfois la notoriété des titres originaux.

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Ce genre ne date pas d’hier, cependant, et un rapide saut dans le passé nous l’apprend. Avant d’être renommé « sped up » par la communauté TikTok, il naissait sous le nom de « nightcore » au début des années 2000 et devenait l’hymne nocturne des fans d’animes japonais par la suite.

Le passé nous mène aussi sur la piste du dubstep, cette électro rapide et chirurgicale qui, entre les années 2011 et 2014, a séduit jusqu’à Britney Spears et Muse. Plus récemment encore, la montée du genre hyperpop, où se mélangent autotune exagéré et technologie futuriste, semble récupérer tout ce que les courants précédents ont laissé derrière eux pour y saupoudrer un peu de chaos.

Et quelque part au milieu de toutes ces tendances, il y avait bien entendu Alvin et les Chipmunks.

Produit de notre génération

L’engouement actuel pour une mélodie toujours plus rapide est le symptôme des temps virtuels dans lesquels nous vivons. Nous sommes constamment en ligne – « chroniquement » pourrait-on même ajouter –, plus encore même depuis la pandémie, et la constance des écrans dans nos vies n’est pas sans conséquence sur notre fonctionnement au quotidien. « [Les technologies] ont tendance à augmenter notre distraction, à réduire notre capacité à penser et à nous souvenir, à prêter attention aux choses et à réguler nos émotions », explique ainsi la Dre Sharon Horwood dans The Guardian.

C’est donc un monde qui tourne de plus en plus vite, au gré de nos cerveaux de plus en plus distraits.

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Et de cette capacité d’attention écourtée découle une manière d’interagir avec le monde qui dépasse notre seule consommation musicale. Certain.e.s ne vont pouvoir écouter des séries Netflix qu’en les mettant en accéléré, voire en ne se fiant qu’aux vignettes des différentes scènes qui composent l’épisode. D’autres, comme le mentionne Marion Mariani chez France Inter, se réjouiront de l’ajout de l’option x1.5 ou x2 sur les audios envoyés sur WhatsApp. C’est donc un monde qui tourne de plus en plus vite, au gré de nos cerveaux de plus en plus distraits.

L’accélération des tempos musicaux s’exerce aussi en parallèle des avancées technologiques fulgurantes qui, d’une année à l’autre, nous accompagnent. « Si vous voulez savoir quelle est la prochaine étape [dans le monde de la musique], regardez le monde de la technologie » déclare Scott Cohen, grand nom de la distribution musicale numérique, dans Musically. Une déclaration que prouvent réelle les sonorités hyperpop, glitch-core (pensez au bruit que fait votre Windows lorsqu’il bogue et répétez-le à l’infini) ou d’autres genres prenant profondément racine dans le fait d’être une génération née et éduquée devant l’ordinateur.

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Un remède aux pensées volatiles

Certains écouteront Moment de Vierre Cloud en ayant l’impression que l’esprit va à la fois partout et nulle part, au gré des percussions incessantes de drum’n’bass. D’autres, paradoxalement, seront intensément apaisé.e.s par ce chaos auditif. Coïncidence ou non, nul ne sait, mais toujours est-il que les personnes appartenant à cette dernière catégorie sont le plus souvent de profils TDA ou TDAH, soit un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité qui se caractérise souvent par une inhabilité à garder un fil de pensée linéaire ou encore à mener une tâche jusqu’au bout.

«La seule musique qui m’aide à me concentrer est un peu “bruyante”.»

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« Y a-t-il une raison pour laquelle tant de personnes atteintes de TDAH ont tendance à écouter de la “musique bruyante” (ex. techno, hyperpop, heavy metal, etc.) pour aider à se concentrer?, se questionne ainsi un membre du subreddit r/ADHD. La seule musique qui m’aide à me concentrer est un peu “bruyante”, à savoir que je n’écouterai pas ce genre de musique par pur plaisir mais seulement pour étudier ou me concentrer. »

Sa publication sera accueillie d’une vague de réponses rassurantes d’autres utilisateur.trice.s également diagnostiqué.e.s TDA/TDAH et adeptes de cette même méthode singulière. Parmi elles, certains profils auront même des épiphanies. « C’est un truc de TDAH? Pas étonnant que les gens aient dit que j’étais fou d’écouter le remix de Just Do It de Shia LaBeouf pendant des jours », réalise ainsi l’un d’entre eux, mentionnant également que le dubstep, le techno et « n’importe quelle musique au volume maximum » l’aide tout autant.

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Fabrique à émotions

Une autre piste expliquant l’attrait accru de ce style de musique est celle de l’euphorie que provoque la montée en vitesse de la mélodie. Plus nous écoutons une musique qui nous plaît, plus est libérée en nous une hormone joyeuse appelée « dopamine ». Si l’on ajoute maintenant à cette dopamine le facteur rapidité d’une mélodie que nos oreilles aiment déjà, notre stimulation cérébrale s’en retrouve décuplée et nous avons soudain l’impression d’expérimenter la chanson au maximum de ses capacités. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir en commentaires YouTube des personnes s’impatienter de réécouter une version sped up de leur chanson préférée, mais sous psychédéliques cette fois.

«Votre cerveau est habitué à entendre la version originale de la chanson et la version augmentée est une toute nouvelle expérience.»

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Mais une chanson plus rapide n’est pas que synonyme de bonheur instantané. La plupart du temps, donner un pitch plus aigu à un titre qui ne l’a jamais été peut le revêtir d’un voile mélancolique. « Monter ou descendre un pitch est utilisé pour créer un sentiment de nostalgie et imiter un vieux vinyle joué à une vitesse plus élevée, explique à ce sujet un.e internaute sur Reddit. Votre cerveau est habitué à entendre la version originale de la chanson et la version augmentée est une toute nouvelle expérience. » Un peu comme le lo-fi… mais ici, on s’embarque encore dans une autre histoire.