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Pourquoi aime-t-on autant les films de «coming of age»?

Au Québec, le genre est populaire depuis longtemps, mais ce sont les réalisatrices qui l'amènent ailleurs.

Par
Audrey PM
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Chaque été, je me fais un devoir de réécouter certains de mes films préférés. En dressant la liste des films que j’aimais particulièrement écouter en été, je me suis aperçue qu’il s’agissait presque uniquement de films de type «coming of age» de jeunes filles. Pourquoi donc?

D’abord, il faut savoir qu’un récit «coming of age», c’est un genre littéraire et cinématographique, qui raconte un ou plusieurs moments clés de croissance personnelle d’un ou de plusieurs personnages, pendant leur passage de l’enfance ou l’adolescence à l’âge adulte. C’est le récit, parfois drôle, parfois dramatique, de ces moments charnières où les humains quittent, parfois brutalement, l’innocence qui protégeait leur jeunesse pour entrer dans un monde inconnu et dénué de repères.

Parmi mes films fétiches de coming of age de personnages de jeunes filles, on retrouve au top des tops le film Dirty Dancing. Ben oui. À l’époque où il est sorti (1987), ma mère était abonnée à Super Écran et j’ai dû l’écouter au moins 55 fois dans le même été.

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Il y a aussi eu Mermaids, avec Cher, Christina Ricci et mon héroïne d’enfance, Wynona Ryder. Sans oublier le film culte indépendant Ghost World, Easy A avec la BFF universelle, Emma Stone, Lady Bird avec une Saoirse Ronan tout en complexité et en sensibilité, et le film québécois Tu dors Nicole, sur les déchirements de l’amitié et le temps qui passe lentement pendant les étés de banlieue.

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L’été! Épiphanie! C’est pour ça que j’écoute tous ces films pendant la saison chaude: elle réveille toujours en moi un catalogue de souvenirs et d’émotions reliés aux étés de mon enfance: la joie d’être en vacances scolaires, le temps qui passe délicieusement lentement, les aventures avec ma BFF, la possibilité de rencontrer des gens nouveaux hors de mon cercle d’amis scolaires, la promesse d’une histoire d’amour, etc.

Il semblerait cependant que je ne suis pas la seule à aimer les films de coming of age.

Le Québec, champion du genre

Si on regarde les productions cinématographiques québécoises des 5 dernières années, on n’a pas le choix d’être impressionnés non seulement par le nombre de films coming of age qui ont été produits et qui ont connu du succès, mais aussi par la récurrence de films mettant en scène l’expérience de jeunes filles.

Parenthèse: en français on a tendance à dire «récit initiatique», qui sert aussi à décrire un genre littéraire, sauf que je trouve le terme trop général, parce que ça peut autant parler d’une histoire de coming of age, que d’une histoire de transformation personnelle, peu importe l’âge du ou des personnages. Donc en attendant l’arrivée d’une expression française plus précise, je vais continuer d’utiliser l’expression anglaise.

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Alors que la bande-annonce de La Déesse des mouches à feu vient tout juste d’être dévoilée et qu’on attend impatiemment de voir Mon Cirque à moi sur les écrans, j’ai demandé à Manon Dumais, journaliste et chroniqueuse culturelle au Devoir et à Plus on est de fous plus on lit, de réfléchir avec moi sur la popularité du genre dans le cinéma québécois.

«Il faut d’abord explorer l’histoire du genre, me dit-elle. D’ailleurs, qui est la jeune fille la plus populaire du cinéma québécois? Aurore!» Cependant, comme elle n’a malheureusement jamais pu atteindre l’adolescence, il faut attendre 1972 et La Vie rêvée de Mireille Dansereau, pour avoir droit à une narrativité qui explore le corps, le sexisme, l’amitié et la quête de sens du point de vue féminin.

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Elle mentionne aussi au passage le personnage de Manon dans Les Bons débarras, l’oeuvre de Micheline Lanctôt et le succès contemporain Emporte-moi de Léa Pool.

Les caractéristiques communes des films de coming of age québécois sont selon elle la rupture (physique, émotionnelle, morale, idéologique) avec la famille, la honte de son milieu originel et un désir d’ailleurs, d’émancipation et de découverte.

«La période la plus marquante dans nos vies, c’est l’adolescence», me dit Manon.

C’est une période non seulement de grands changements, mais une période où tout est vécu de façon exponentielle, une période de grande sensibilité émotive, où on doit composer avec de nouvelles émotions, où on doit trouver de nouveaux repères pour naviguer dans un monde plus hostile, dont notre enfance nous a épargné.

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D’un point de vue narratif, il n’y a donc pas de meilleur bassin d’éléments déclencheurs et de conflits que les histoires d’adolescents.

«Ç’a pris du temps avant que le Québec s’affirme, parce que nous notre crise d’adolescence c’est les années 60 et on a encore cette nostalgie-là»

«J’ai l’impression que le Québec est encore un grand ado», indique-t-elle également, éclairant tout d’un coup une piste intéressante qui pourrait expliquer l’engouement des Québécois pour le genre. «Ç’a pris du temps avant que le Québec s’affirme, parce que nous notre crise d’adolescence c’est les années 60 et on a encore cette nostalgie-là», poursuit-elle.

Rupture culturelle et linguistique avec le reste du Canada, émancipation du joug de la religion catholique, crise d’octobre… ça ressemble effectivement à une crise d’adolescence!

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Qu’on pense à La Disparition des lucioles de Sébastien Pilote ou encore à l’ovni rafraîchissant Mad Dog Labine de Jonathan Beaulieu-Cyr et Renaud Lessard, on y voit autant les thèmes propres au genre qu’un déchirement entre l’origine de notre identité et celle qu’on souhaite construire.

Plus de femmes = plus de diversité?

En tant que fille cis blanche qui a principalement eu des relations hétérosexuelles, c’est pas étonnant que mon top personnel de films coming of age soit constitué d’histoires où j’ai pu me retrouver et m’identifier. Sauf qu’aujourd’hui ce constat me saute aux yeux et m’invite à réfléchir à ce manque de représentation et de diversité d’expériences dans l’industrie du cinéma mainstream.

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Dans une époque où s’imposent et s’exposent une multitude de réalités d’identité sexuelles, corporelles, de genres, où les Noir.e.s, les Autochtones et les personnes racisées se soulèvent pour dénoncer leur oppression et exiger le respect de leurs droits ainsi qu’un espace culturel pour exprimer leurs expériences, le manque de diversité dans l’offre mainstream de films coming of age se fait cruellement sentir.

Pourtant, au Québec, j’ai l’impression que ce n’est pas nécessairement le cas, ou du moins qu’on assiste à un début de vague de diversité non seulement dans la production en général, mais aussi dans le genre qui nous intéresse ici.

Manon Dumais est d’accord avec moi et pointe du doigt l’initiative Réalisatrices Équitables, un regroupement de réalisatrices québécoises fondé en 2007 visant à atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec et au Canada.

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«Depuis 2007, ces femmes-là se battent pour la parité parce que bien qu’on retrouve sensiblement le même nombre d’étudiantes que d’étudiants dans les écoles de cinéma, seulement 27% des films produits étaient réalisés par des femmes», explique-t-elle.

«C’est pas sans raison qu’on exploite encore le thème de l’adolescence parce que le cinéma québécois est lui-même encore très jeune et n’a pas atteint sa maturité.»

«Ensuite l’ONF s’est engagé à atteindre l’équité, suivi par Téléfilm Canada, qui a d’ailleurs annoncé ce printemps que les pourcentages de projets de réalisatrices soutenus était passé de 29 à 42%,» ajoute-t-elle. Et c’est le résultat de ces efforts d’inclusion qu’on remarque depuis quelques années.

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J’ai cependant l’impression que l’arrivée de plus de femmes en réalisation a aussi généré plus de diversité culturelle ou de genre dans les récits en général mais aussi dans les films de coming of age.

«Oui, me répond Manon, j’ai l’impression qu’il y a une volonté de diversité parce que bien qu’on ait remarqué une absence de femmes derrière la caméra, que dire de la diversité culturelle?»

Qu’on pense à Kuessipan de Myriam Verreault et Naomi Fontaine, qui raconte une amitié entre deux adolescentes autochtones, ou encore à Antigone de Sophie Deraspe, qui présente l’héroïne de Sophocle sous les traits d’une jeune maghrébine qui part en guerre contre l’injustice et le racisme.

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Tout comme l’adolescence est un moment charnière dans une vie, on pourrait dire qu’on assiste actuellement à un moment charnière du cinéma québécois où, à travers l’expérience adolescente, ce dernier s’ouvre enfin à une multitude d’histoires racontées par des personnes dont les voix commencent à résonner fort.

«On remarque un cinéma de plus en plus féminin et je pense que c’est pas sans raison qu’on exploite encore le thème de l’adolescence parce que le cinéma québécois est lui-même encore très jeune et n’a pas atteint sa maturité, conclut Manon. »

Avec les contributions significatives de réalisatrices comme Anne Émond, Sophie Deraspe, Myriam Bouchard et Myriam Verreault qui se sont toutes penchées sur la diversité des adolescences, il est fort probable que les films de coming of age deviennent une caractéristique marquante de l’identité du cinéma québécois.