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C’était prévisible. À un moment donné ou à un autre, Georges-Hébert Germain allait en échapper quelques-unes. C’est ce qui arrive à nos parents en ce moment. Pas parce qu’ils sont gâteux, mais parce qu’ils ont atteint l’âge où ils n’ont plus de preuves à faire. Atteints d’un surplus d’assurance, ils relaient la fierté au second plan. Regardez les autres baby-boomers. Paul Piché se met à réaliser ses propres vidéoclips, Ginette Reno couche à l’Académie, et j’en connais un autre qui a cessé de se laver.
Quand on y pense, il n’était pas étonnant que quelques erreurs factuelles se glisseraient dans la biographie, que dis-je, dans le portrait de Robert Bourassa signé par Georges-Hébert Germain. À cet âge-là, avec toute la crédibilité qu’on a acquise, on ne se formalise pas d’un détail comme la date de décès de René Lévesque.
Pourtant, c’est assez grave comme erreur. Ça peut vous ruiner une carrière, une faute comme celle-là. Peut-être moins quand on a déjà écrit la bio de Céline Dion, celles de Guy Lafleur et de Sol, mais à mon âge, pour préserver le peu de crédibilité sur lequel on s’assoit, on s’efforce de ne pas faire de fautes, pas même dans ses statuts Facebook. Un seul verbe mal accordé et on repart à zéro pour gagner la confiance de ses interlocuteurs. Ça fait qu’on vérifie.
N’empêche, je le comprends, Georges-Hébert Germain, d’avoir sauté cette étape qui, avouons-le, est l’étape la plus plate de l’écriture de quoi que ce soit. Les bâtons dans les roues du plaisir. Le plaisir, dans l’écriture, ce n’est pas de rapporter les faits, mais les anecdotes, les souvenirs, les sentiments, les impressions. Les faits, moi, personnellement, ça m’emmerde. Même comme lectrice. Qu’est-ce que j’en ai à cirer de savoir en quelle année untel est mort?
J’ai lu la bio de Steve Jobs récemment et, imaginez-vous donc, je n’ai pas retenu en quelle année est apparu le premier Mac. Mais je sais avec quelle minutie l’objet a été présenté par un obsédé de la perfection qui était convaincu à l’époque de révolutionner le monde. De toute façon, en 2012, si jamais vous aviez besoin de savoir en quelle année est apparu le premier Mac, vous pourriez trouver cette information en deux ou trois clics. Tenez, il s’agit précisément du 24 janvier 1984. Pas besoin d’un biographe pour vous remâcher ça.
Je vous avertis, dès que j’aurai atteint la crédibilité de Georges-Hébert Germain (et l’équivalent en redevances annuelles de droits d’auteurs), je risque de faire comme lui et troquer mon lourd chapeau de journaliste pour celui de portraitiste ou, mieux, de romancière.
Récemment, le rédacteur en chef d’un magazine réputé me nommait les grands noms du portrait au Québec. Danielle Stanton, Pierre Cayouette, André Ducharme, et, bien sûr, Georges-Hébert Germain. «Lui, tu peux enlever aucun mot dans ses textes tellement c’est bien ficelé», me disait-il. Ça voulait dire : prends donc exemple. Pour moi, ce sont comme de grands maîtres et je rêve sans oser leur demander d’étudier à leurs côtés.
En regardant le passage de Georges-Hébert Germain à Tout le monde en parle, ma blonde a eu cette réflexion brillante : «C’est étonnant qu’il écrive encore des biographies, celui-là, me semble qu’il serait rendu à ce qu’on écrive la sienne». C’est vrai. Après qu’il ait rapporté la vie des grandes personnalités du Québec, il serait temps que l’on considère Georges-Hébert Germain comme l’une d’elles.
Brillant, je dis. Et je me propose même pour l’écrire. Comme ça, j’apprendrais directement du plus grand maître de la bio au Québec. Je raconterais sa rencontre avec Francine Chaloult, je relaterais la belle époque de la Bande des six, j’interviewerais Nathalie Petrowski et René Homier-Roy pour mettre de la chair autour de l’os, je fouillerais dans son placard, pour trouver, à défaut de squelettes ou d’une homosexualité bien cachée, quelques failles. Puis, quand viendrait le temps d’évoquer la sortie controversée du livre sur Robert Bourassa, j’irais voir Jean-François Lisée pour obtenir sa version des faits, puis je la confronterais avec celle de mon sujet. Au final, personne ne saurait vraiment si Lisée avait décidé de sortir la version abrégée de son livre spécifiquement pour écœurer Georges-Hébert Germain ou s’il avait de toute façon l’intention de le faire. Personne ne saurait la vraie vérité vraie, mais ça ferait toute une histoire pareil.
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Crédit photo:
Jacques Migneault pour Libre Expression.
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