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Pone : de «star du rap» à «papa atteint d’une maladie incurable»

Créer malgré la SLA.

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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– Par quel moyen préfères-tu qu’on discute?

– Par écrit… J’ai perdu la parole. :)

Notre correspondance commence rough. Malgré ma maladresse, elle s’étendra sur deux mois. Durant celle-ci, chacun des messages Facebook que m’enverra Pone aura été dicté grâce à ses yeux. Ils sont parmi les rares membres qu’il arrive encore à contrôler, il peut donc les faire aller sur un écran pour communiquer.

À 45 ans, la star du rap est clouée au lit, tétraplégique, trachéotomisée et alimentée par sonde. Depuis 2015, son corps est prisonnier de la maladie de Charcot. Communément connu sous le nom « SLA », il s’agit d’un trouble neuromusculaire qui entraîne progressivement la paralysie du corps. On en meurt généralement moins de cinq ans après le diagnostic.

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La gloire

« C’est un des plus grands beatmakers, à mes yeux! »

C’est ce que me dit mon collègue Romain, surexcité, lorsqu’il apprend que je suis en contact avec Pone. Figure illustre de la scène française, le producteur de la Fonky Family a marqué bon lot de fanatiques du rap.

Peu outillée en hip-hop, j’ignorais que mon correspondant avait une telle renommée. En me le présentant, mon amoureux m’avait bien dit qu’il était une sommité. Un incontournable du genre, pilier d’un groupe qui n’a rien à envier aux IAM et NTM de ce monde, si l’on se fie aux critiques (ou encore aux albums d’or et platines)… Mais bon. Que voulez-vous? Je n’avais pas entièrement saisi l’ampleur de la chose.

De toute façon, ce n’est pas de nuits folles et de glamour que je veux jaser avec l’artiste. C’est de l’après. C’est de sa vie de père, celle qu’il mène courageusement malgré la cruauté d’une maladie incurable.

Vedette ou pas, rendu là…

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La maladie

« La dégradation physique rapide est très compliquée. Tout s’effondre, c’est un tsunami. J’ai vécu trois ans de tempête, mais depuis un an, j’ai retrouvé la paix », m’explique Pone (de son vrai nom Guilhem Gallart).

« J’ai vécu trois ans de tempête, mais depuis un an, j’ai retrouvé la paix »

Il ne peut pas respirer sans machine. Il ne contrôle plus ses lèvres ni ses poumons. Pas plus que ses bras ou ses jambes, d’ailleurs. Et c’est pourtant dans cette situation qu’il arrive aujourd’hui à trouver le bonheur. Un parcours qui ne s’est pas fait dans la douceur.

« Je n’ai jamais été en colère — c’est tellement contre-productif —, mais j’étais très triste au début de la maladie. Ma femme a été incroyable. Elle m’a sauvé la vie, au propre comme au figuré. Son amour m’a inspiré, m’a redonné l’envie de vivre… Impossible de baisser les bras après tout ce qu’elle a fait pour moi. »

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Le sauvetage auquel Guilhem fait référence, c’est l’arrêt cardiaque et respiratoire qu’il a subi, en 2017. « Quand je suis entré en réanimation, personne ne croyait en ma survie. Sauf ma femme. Elle a dû se battre pour qu’on me prenne en charge. Aujourd’hui, je suis vivant, et quelque part, c’est parce qu’elle y a cru alors que personne n’y croyait… »

Chez les Gallart, la maladie n’a pas anéanti l’amour. Elle l’a renforcée. Guilhem me parle de ses êtres chers avec la plus grande admiration. Quand je lui demande si son état physique a eu un impact sur sa vision de la famille, il me répond : « J’ai dû faire le deuil de mon corps, mais certaines choses restent inchangées. Les valeurs fondamentales : l’amour, le respect, la foi. Et la paternité. La paternité est une ancre, elle ne bouge pas. »

Papa avant tout

« Elles savent tout ce que des enfants de leur âge peuvent savoir. Je veux dire : on ne leur cache rien. Aujourd’hui, on a changé la canule de trachéotomie, et c’est une manœuvre assez impressionnante. La grande a voulu rester! »

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Guilhem a deux filles : Jasmine et Naïla. Au moment du diagnostic, l’aînée avait 6 ans. Elle a compris tout ce qui se passait.

A-t-elle eu peur? « C’était plus triste qu’effrayant. On était tristes de plus être aussi proches. De ne plus pouvoir jouer… Cette maladie a tendance à nous éloigner des gens, physiquement. Ne plus pouvoir prendre mes filles dans mes bras est assez difficile. Et ce n’est pas évident de parler avec une machine, pour elles comme pour moi. Il faut inventer une nouvelle vie. On trouve autre chose… Les câlins, par exemple. »

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« Mais tu sais, aujourd’hui, je crois que la SLA n’a rien changé. Je pense être un père normal, fan de ses filles à mort. Et très proche d’elles. »

La force de Guilhem m’émeut. Mais ayant moi-même grandi avec un père atteint d’une maladie incurable, je ne peux pas m’empêcher de soulever un point. La SLA, elle doit tout de même avoir un impact sur les enfants, non ?

L’artiste ne le nie pas. « Ça les fait grandir plus vite, oui. Mais au final, c’est bien de prendre conscience de certaines choses… De voir leur père qui ne lâche rien et qui est heureux malgré tout. Je pense que ça leur servira. De mon côté, cette maladie est une formidable chance d’être exemplaire. Je veux leur montrer qu’on peut affronter quoi qu’il arrive, sans baisser les bras. Mes proches attendent de moi que je sois fort et je ne les décevrai pas. »

Mais elle lui vient d’où, cette admirable confiance ? Cette pulsion de vie? Si, tout dépendant des gens, elle peut provenir de bien des endroits, chez Guilhem, c’est par la religion que la force se déploie : « Mon premier et principal support fut la foi. Je suis très croyant et selon l’Islam, Dieu ne peut pas nous envoyer d’épreuve que nous ne puissions surmonter. Sinon, ça voudrait dire qu’il est injuste, ce qui est totalement inenvisageable… Les épreuves, quelles qu’elles soient, sont là pour nous rendre meilleurs. Je ne raterai pas cette chance. »

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La SLA pour les nuls

Il y a quelques semaines, Guilhem lançait une toute nouvelle initiative : le site « La SLA pour les nuls ». La concrétisation tant attendue d’une idée qui lui trotte dans la tête depuis sa sortie de l’hôpital.

Il y décrit sa démarche en ces mots : « J’ai commencé à prendre contact avec plusieurs malades et leurs proches, via les réseaux sociaux. Je me suis alors rendu compte du manque sidéral d’informations, aussi bien techniques que globales, autour de cette pathologie. Je me suis donc modestement lancé dans l’écriture de plusieurs petits textes à caractère informatif [et de billets d’humeur]. »

Cette plateforme, c’est pour lui une façon de contribuer. De donner espoir aux gens atteints par la maladie, comme leur entourage. Après avoir fait bouger le monde grâce à ses beats, Guilhem continue à contribuer à son bonheur.

Il est simplement passé d’entertainer à mentor bienveillant…

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La suite

Depuis un an, sur son compte Facebook, Pone diffuse plusieurs vidéos. Des trucs exclusifs ou encore des clips de la Fonky Family, accompagnés de courts textes révélant leur contexte de création, ou encore les dessous de tel ou tel show, etc. Je lui demande si derrière cette passation se cache un sentiment d’urgence. Un besoin de tout livrer avant qu’il ne soit trop tard.

« Je ne supporte juste pas de rien faire! J’ai toujours été comme ça… »

« J’ai un million de projets, mais je ne pense pas que ce soit dû à ça. Je ne supporte juste pas de rien faire! J’ai toujours été comme ça… J’ai récemment numérisé des vieilles cassettes et je prépare un site avec le tout. Je me suis dit qu’elles seraient mieux là qu’au fond d’un disque dur. Surtout qu’il y a des trucs cool! »

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En plus de ce site et de « La SLA pour les nuls », Guilhem planche sur trois livres : « un sur ma vie, un de science-fiction et un de cuisine. Oh ! Et j’ai un album en préparation. Et, ah oui ! J’ai aussi un conte pour enfants. Il est déjà écrit, j’en lis un épisode tous les soirs à mes filles. C’est une histoire fantastique, celle d’un peuple qui vit sur la canopée d’une forêt mystérieuse… »

Ça fait beaucoup. Certains sont moins productifs, même en pleine santé (allô!). Comment arrive-t-il à se projeter un tel futur? À le construire dans l’enthousiasme?

« Avec amour, toujours. C’est la clé. »

C’est la clé.