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Podcast The Undersiders : Comment le crime organisé a financé le hip-hop

Entrevue avec le créateur d'un podcast immersif fascinant.

Par
Hugo Bastien
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C’est sous la recommandation de notre cher boss Philippe Lamarre que j’ai exploré The Undersiders, une série de podcasts documentaires produite par Engle. « Tu devrais écouter ça, je pense que tu aimerais » qu’il m’a dit.

Ceci étant dit, j’avais mes doutes. Combien de séries sont faites pour nous rappeler que le hip-hop a un côté sombre? Comme si tout le monde s’était passé le mot pour être sûr qu’on n’oublie jamais que les rappeurs viennent de milieux difficiles, pour descendre le mouvement. « Comme si je ne savais pas que Jay-Z avait déjà vendu de la drogue », que je me disais en lançant le premier épisode.

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Mais j’avais tout faux, et ce malgré le fait que l’introduction de chaque épisode dise que les histoires sont rapportées sans juger ni glorifier les acteurs. En gros, la série expose en 8 épisodes de 30 minutes comment certains barons de la drogue ont investi de l’argent dans la musique hip-hop. À travers des épisodes hautement immersifs, l’auditeur explore la vie de figures controversées qui ont directement influencé la culture du hip-hop et certains des plus grands artistes du monde.

On parle ici de Harry O, Kenneth « Supreme » McGriff, Calvin « Klein » Bacote, Terrance « Gangsta » Williams, Big Meech, Rick Ross, Rich Porter et Alberto « Alpo » Martinez. Pour les fans de hip-hop, certains de ces noms sonneront une cloche, puisqu’ils souvent cités dans des verses de beaucoup de rappeurs. Pour les autres, ils sont plutôt associés à des histoires fascinantes où se mêlent drogue, violence et amitiés déchues.

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Rejoint au téléphone, je me suis entretenu avec François Cusset, auteur de la série, afin de comprendre la démarche derrière ce podcast et de discuter de l’influence de la criminalité dans le hip-hop.

Qu’est-ce que c’est Engle pour quelqu’un qui ne connait pas le concept?

C’est une boite de production qui produit du contenu audio. Y a une explosion aujourd’hui du podcast que ce soit en Amérique du Nord et en Europe, mais nous on a voulu le faire différemment. C’est-à-dire, pas forcément proposer des podcasts sous forme de talkshow comme en voit beaucoup aujourd’hui. On s’est plutôt dit qu’on allait profiter de l’expérience audio et tout ce que ça donne comme opportunités pour raconter des histoires un peu plus denses. Si j’avais voulu faire ce documentaire-là en vidéo, je n’aurais surement pas pu le faire en entier et ça m’aurait pris beaucoup plus de temps.

L’audio m’a permis de réunir ces deux choses, c’est-à-dire de faire du documentaire informatif et détaillé en plus d’ajouter un volet immersion sonore avec des effets et des ambiances. C’est une forme d’audio-premium, avec de vrais comédiens, une vraie musique et du son 3D.

L’idée c’était d’immerger le public dans une histoire.

C’est pour ce même souci d’immersion qu’on a mis de la musique qui est autre que du hip-hop.

Ça m’a frappé ça justement. Pourquoi cette décision-là?

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Je me suis dit que ce serait trop facile de mettre du hip-hop dans un truc sur le hip-hop. La série est à propos de la grandeur et l’extravagance à l’américaine et je pense que ces histoires peuvent intéresser les gens sans même qu’ils aiment le hip-hop. Je me suis dit que si je mettais trop l’accent sur la musique hip-hop, ça empêcherait certaines personnes d’entrer dans l’histoire.

Au final, ça ressemble à n’importe quel autre documentaire, sauf que ça parle de musique urbaine. Parler de rap, sans rap derrière.

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Le hip-hop devient un prétexte pour parler de l’histoire en gros?

Exactement

Comment s’est passée la recherche? Est-ce que c’était difficile de trouver de la documentation là-dessus?

Pour la partie recherche, moi ce sont des histoires que j’avais identifiées depuis pas mal de temps et je me suis toujours demandé par quel moyen je pourrais les raconter.

J’ai muri sur cette idée-là ensuite en achetant des DVDs dans des boutiques spécialisées à New York, des livres, en regardant des films en plus de porter attention aux rimes.

Et c’est en réalisant que le podcast serait un bon médium pour aborder ce thème-là que j’ai ressorti toute ma documentation. Tout ça a nourri l’idée de la série, en plus de définir un arc dramatique. C’était de trouver une structure pour raconter le tout, en parlant du background social de chaque personnage, pourquoi il vient d’un quartier défavorisé, pourquoi le quartier EST défavorisé, etc.

Essayez d’en apprendre sur le background du personnage pour ensuite raconter son histoire sans juger ni glorifier. Y avait vraiment une volonté d’apprendre pourquoi cette personne-là est devenue comme ça, le contexte socioculturel autour de tout ça.

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En écoutant les épisodes, je n’arrêtais pas de reconnaitre des noms que j’avais déjà entendus dans des verses. Même si la série ne glorifie pas ni condamne les dealers, est-ce que les rappeurs, eux, le font?

Je pense que oui et c’est pour ça qu’on dit que la rue influence la musique et que la musique influence le monde. Ces artistes-là ont tous imaginé être dans la peau de ces personnages-là. Et maintenant qu’ils ont accès à une célébrité et une richesse financière, ils peuvent enfin se permettre de vivre la vie des modèles qu’ils avaient quand ils étaient plus jeunes.

Ensuite, je pense aussi que ça fait partie de la culture américaine, dans le divertissement entre autres. On le voit encore aujourd’hui dans les séries et les films qui ont du succès, on retrouve souvent ce côté-là de la criminalité qui fascine. Je pense que ça date pas de l’histoire du rap, mais plutôt de l’histoire des États-Unis et de leur fascination pour le bad guy, par exemple l’époque d’Al Capone à Chicago ou les grands crimes des années 60… Je pense que ça fait partie de la culture américaine de mettre en avant des personnalités issues du crime, parce que c’est une sorte de fantasme.

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J’ai l’impression que pour eux, ces histoires-là représentent carrément le rêve américain : partir de zéro et finir au top.

Exactement

Par contre, le point commun de toutes ces histoires-là c’est qu’elles finissent toutes mal. Alors comment ça se fait qu’on les défie encore ces gars-là?

Au final, je pense que les gens ne s’arrêtent que sur quelques images : les voitures, les sommes d’argent, mais ils n’ont pas l’envers de tout ça, le stress de cette vie-là. Les gens ne voient pas l’histoire en entier et le bout où ça finit mal.

Je pense que le côté divertissement que montrent les rappeurs dans leurs chansons nous aveugle sur l’envers de la médaille.

Est-ce que ça existe encore aujourd’hui, à ta connaissance, des gars comme ça qui utilisent le hip-hop pour blanchir leur argent?

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Je pense qu’il y a toujours de la criminalité dans le monde entier, mais après je crois que ça correspond à des vagues. C’est-à-dire qu’il y a eu la vague du crack, de la cocaïne, et ceux qui en faisaient partie avaient peu d’autres moyens de s’en sortir. Tandis qu’aujourd’hui, l’industrie de la musique urbaine est tellement énorme que tu peux commencer ta carrière directement dans la musique. En fait, c’est beaucoup moins risqué et même plus lucratif sur le long terme de se lancer dans le rap au lieu du crime.

Bon, après est-ce qu’il y a encore des rappeurs qui utilisent de l’argent sale pour financer des clips et autres machins? Probablement. Mais je ne pense pas que c’est autant important qu’à l’époque.

En fait, le rapport devient inversé : avant il faisait le crime et ne devait pas trop le dire dans leur chanson, tandis que maintenant ils ne font plus tant de crimes, mais ils en parlent dans leur chanson.

Chaque épisode est accompagné d’une playlist : selon tes goûts personnels, quelle playlist est ta préférée?

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Mmmm c’est pas facile en effet. Y en a une que j’apprécie, parce que j’ai eu beaucoup de plaisir à la faire : c’est celle de l’épisode 7 sur Rich Porter. Dans l’épisode, on parle d’une fameuse discothèque à Harlem avec le DJ Brucie B et j’ai fait des recherches pour trouver les sets que les DJs jouaient à l’époque.

Donc ça m’a fait plaisir de un, retrouver ça, de deux partager ces morceaux-là dans une playlist, et de trois de rentrer dans cet univers-là de l’époque.

Et la petite histoire derrière ça en plus, en parlant du Rooftop et de DJ Brucie B, je l’ai contacté et dans l’épisode il y a un drop au micro et on a utilisé sa vraie voix. Ça boucle la boucle quoi!

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Une chose qui m’a marqué c’est à quel point les codes de la rue et ceux du rap s’entrecoupent. Qu’est-ce que t’en penses de ça?

Je pense qu’effectivement ces personnages ont été une influence pour les jeunes et certains rappeurs. Après, la manière de faire du hip-hop peut venir inspirer la façon de faire le crime. Les artistes peuvent s’inspirer de cet univers-là.

Par contre aujourd’hui c’est rendu carrément une nouvelle pop. Autrefois, le rap était une musique rebelle et révolutionnaire. Tandis qu’aujourd’hui le rap est rendu mainstream. Donc si tu veux, la manière de produire les choses est rendue pop aussi. Il y a différents sous-genres et on s’éloigne du gangsta rap par moment.

J’ai l’impression en fait que la musique est la nouvelle drogue.

Y a effectivement beaucoup d’artistes qui ont fait des parallèles du genre en disant qu’ils ne vendent plus de drogue, mais qu’ils vendent des cds de la même manière qu’ils vendaient leur drogue à l’époque. De rendre leur public addict, de toujours sortir du nouveau matériel. Russel Simons le disait, Young Jeezy aussi : ils s’inspirent des techniques marketing de la rue, mais pour un produit qui est beaucoup moins dangereux et maintenant pratiquement plus lucratif.

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La question que je me suis posée après avoir écouté la série c’est carrément : est-ce que sans la criminalité, le hip-hop aurait tout de même existé?

Effectivement, le crime, au-delà de son aide financière pour la culture hip-hop, a aussi influencé les modes, les looks. Et c’est ça le truc avec la culture hip-hop, elle est toujours sortie de nulle part, de manière inventive, de la débrouille.

C’est toujours la stratégie de la débrouille qui est l’école du hip-hop et c’est en s’inspirant des criminels que les gens ont découvert des moyens de pousser cette culture-là.

C’est de prendre les apprentissages de ce milieu et les tourner à son avantage pour créer de la musique.

Exactement, et c’est cette question qu’on se pose à savoir, quel parcours auraient eu ces gens-là s’ils étaient nés 50 kilomètres plus loin d’où ils sont nés. Avec leurs idées, leurs visions, dans un milieu plus aisé peut-être qu’ils seraient devenus des patrons d’une multinationale. C’est de réaliser qu’il y a des gens qui, peu importe ce qui arrive, essaieront tout pour s’en sortir, et parfois, malheureusement, ça se fait par la voie criminelle.

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Est-ce possible pour le rap de se dissocier de la criminalité?

Si tu veux, aujourd’hui, d’un point de vue populaire, ce l’est déjà. Moi j’ai grandi en écoutant du rap dans les années 90 et quand y avait des concerts les gens se disaient que ce serait dangereux, que ce serait plein de voyous. Alors qu’aujourd’hui, en France, y a très peu d’incidents dans les concerts de rap. Et il y a de plus en plus de rap et de concert.

Par contre la violence est encore là dans les images ou les propos, surtout dans la trap. Mais c’est juste parce qu’ils traitent de ces sujets-là. Parce que dans les faits, moi j’ai été au concert de Gucci Mane et y avait des jeunes, des vieux, des gens de tous les genres. Et c’est intéressant de voir, pour moi qui a suivi Gucci depuis son premier album, qu’un jour il déplacerait tous les types de personnes dans un aréna avec sa musique.

La violence n’est plus physique, mais éditoriale.

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En fait s’il y en a un qui a eu une histoire qui finit bien, c’est lui.

Oui, il a vraiment prouvé que quand on veut on peut.

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Pour écouter The Undersiders, c’est ici.

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