À moins d’être Jeff Bezos ou Elon Musk, vous faites probablement partie de ces gens qui ont été affecté négativement par la pandémie. Mais si l’impact s’est fait sentir dans tous les domaines, le milieu de la culture en a particulièrement souffert. Privés de spectacles, et donc de revenus, les artistes ont dû se tourner vers d’autres avenues pour payer les factures.
Pour plusieur.e.s, Patreon s’est révélé être un outil de choix. De plus en plus populaire, cette plateforme web permet à des créateur.trice.s de partager du contenu, et à des contributeurs d’aider financièrement les créateur.trice.s en question. La personne qui allonge la monnaie a souvent le choix parmi des forfaits donnant accès à différents goodies choisis par le créateur, en fonction du montant déboursé.
Le résultat est généralement donnant-donnant : pour l’artiste, l’argent des abonnements permet d’avoir un salaire, et donc de s’investir encore plus dans le projet. Pour l’abonné.e, ça veut bien souvent dire plus de contenu de meilleure qualité, ainsi qu’un lien direct avec les créateur.trice.s. On peut donc comprendre pourquoi le modèle est en vogue, maintenant que les gens consomment presque exclusivement du contenu numérique.
Ça, c’est sur papier. Mais qu’en est-il dans la vraie vie?! Afin de comprendre l’impact qu’a eu Patreon pour les artistes durant la pandémie, je me suis entretenu avec Jean-François Provençal du podcast Tu me niaises, les Pic-Bois, et Stéphanie Vandelac connue pour Couple Ouvert avec Thomas Levac.
Un modèle basé sur la bonne foi
« Honnêtement, je comprends pas pourquoi y a pas plus de monde sur cette plateforme-là. » me dit Jean-François Provençal d’entrée de jeu.
En regardant l’histoire de Tu me niaises (le podcast de Sèxe Illégal et Jean-François Provencal), on peut comprendre pourquoi JF prêche pour la plateforme. Lancé dès le début du podcast, leur Patreon attirait déjà autour de 500 abonnés, quelques mois à peine après sa création à l’automne 2019. Mais alors que le projet a le vent dans les voiles, la pandémie débarque et les empêche d’enregistrer devant public.
«Les gens ont voulu nous encourager et garder le podcast en vie.»
Mais c’était mal connaître les fans de Tu me niaises qui se sont alors mobilisés pour faire grimper ce nombre à 1600 abonnés. « Les gens ont voulu nous encourager et garder le podcast en vie. ».
Et ils ont réussi : grâce à l’argent investi par les fans, l’équipe a pu s’acheter un nouvel ordinateur assez performant pour continuer à faire des lives sur Internet, en plus d’avoir des salaires décents. « Moi, contrairement aux gars, je faisais encore des tournages alors j’étais correct financièrement. Mais [Sèxe Illégal] avaient besoin d’un autre salaire parce que les spectacles étaient annulés. Grâce au Patreon, Philippe et Mathieu ont même pas eu besoin de prendre la PCU ».
De leur côté, Thomas Levac et Stéphanie Vandelac n’ont pas remarqué un boom d’abonnés sur Patreon avec l’arrivée de la pandémie, mais comme l’explique Stéphanie, toutes les contributions étaient quand même bienvenues : « Je travaille à temps plein et j’ai été choyée de pouvoir garder mon emploi alors j’étais correcte sur ce plan-là. Dans le cas de Thomas, la pandémie a forcé l’annulation de plusieurs spectacles, le Patreon est une source de revenu qui est restée malgré ce qui se passait. »
Si les deux autres podcasts avaient déjà une présence sur Patreon avant la COVID, ce n’était pas le cas pour les Pic-Bois. Habitués d’offrir leur contenu gratuitement sur Internet depuis plus de 10 ans avec leur podcast Des si et des rais à CHOQ.ca, la pandémie et l’arrêt des spectacles les a finalement décidé à monétiser le tout. « Patreon était la plateforme par excellence pour ça, et je crois que plusieurs de nos fans ont migré là-dessus pour nous remercier d’avoir offert 10 ans de Des si et des rais. »
«On a mis le montant bas parce qu’on voulait pas pénaliser les gens qui ont moins d’argent. On veut juste qu’il y ait plus de monde possible au party.»
Comptant maintenant plus de 1000 contributeurs, les Pic-Bois offrent deux types d’abonnements à leurs fans. « On a deux forfaits, un à 4$ et un à 7$, et y a pas de différence entre les deux. Donc en gros, si tu veux nous encourager encore plus, on t’offre la possibilité de le faire. On a mis le montant bas parce qu’on voulait pas pénaliser les gens qui ont moins d’argent. On veut juste qu’il y ait le plus de monde possible au party. »
Et à ceux qui se disent « Ben voyons, c’est ben niaiseux. Pourquoi tu paierais plus pour avoir le même contenu? », sachez que certains de leurs fans paient même jusqu’à 15$ par mois. « Notre but c’est d’avoir une approche communautaire-punk. » explique Maxime Gervais. Et clairement leurs fans adhèrent à l’idée.
Entretenir la communauté
Sauf qu’avec beaucoup d’abonnés viennent de grandes responsabilités. Parce que même si les contributeurs paient de bonne foi, ils s’attendent tout de même à du contenu en retour. J’étais curieux de savoir si ça créait une pression auprès des créateurs.
Pour les Pic-Bois, ça ne semble pas être le cas. « On sent pas qu’on leur doit quelque chose », explique Maxime Gervais. « On a vraiment une relation égalitaire avec elles et eux, et on sent même une sorte de reconnaissance du public d’avoir enfin une plateforme pour nous encourager. »
«Nos abonné.e.s nous permettent de financer et produire des projets qui nous ressemblent de A à Z, et ça c’est exceptionnel.»
Pour Tu me niaises, le feeling est un peu différent, sans être négatif pour autant. « Je dirais que ça vient avec une certaine pression en effet. Mais c’est surtout parce qu’on veut faire toujours plus et mieux. Je préfère leur en donner plus pour leur argent que moins. »
Stéphanie Vandelac abonde dans le même sens. « C’est sûr qu’on a un souci de “rendement” parce qu’on veut pas les laisser tomber. On a un engagement envers [les contributeur.trice.s]. Mais pour nous c’est pas une pression négative, c’est plutôt un privilège. Nos abonné.e.s nous permettent de financer et produire des projets qui nous ressemblent de A à Z, et ça c’est exceptionnel. »
Et quand on regarde la quantité faramineuse de contenu à laquelle ont accès les abonnés en échange (en moyenne) d’un 5$ par mois, il n’y a aucun doute que les abonné.e.s rentrent dans leur argent! Et c’est parfait comme ça, comme l’explique Stéphanie. « Personnellement je me sens choyée que les gens choisissent de nous verser quelques dollars une fois ou pendant plusieurs mois. Je suis aussi sensible au fait que certaines personnes sont dans des situations précaires et nous accordent quand même une partie de leur budget mensuel pour financier nos projets, ça me touche beaucoup. Ça nous motive à leur donner le meilleur de nous quand on envoie des épisodes dans l’univers. »
Donnant-donnant
Ce qu’on retient de tout ça, c’est que sur Patreon, tout le monde est généreux. Autant les contributeur.trice.s qui n’hésitent pas à payer plus pour encourager un projet qu’ils aiment, que les créateur.trice.s qui les remercient en leur donnant une quantité impressionnante de contenu. On comprend maintenant pourquoi JF Provençal se demandait pourquoi les artistes n’utilisent pas plus la plateforme.
« Ce modèle permet de t’autoproduire, de couper tous les intermédiaires et de faire du contenu sans compromis. C’est la meilleure affaire EVER. C’est win-win pour tout le monde. »
Et même si ça demande beaucoup de travail, Stéphanie Vandelac est d’avis que le jeu en vaut la chandelle : « C’est beaucoup de travail parce que chaque jour on doit porter tous les chapeaux de ce projet-là : on est producteurs, je suis maquilleuse, graphiste, Thomas s’occupe du montage, on publie sur nos réseaux sociaux, on fait des memes. Mais je dis ça sans me plaindre parce qu’on est un peu control freak et qu’on aime avoir une main mise sur le contenu de A à Z. Ça fait juste quelque chose de meilleur au final. »
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