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Pleurer dans un bus de Longueuil
L’autre fois en revenant d’un spectacle de Louis T (dont je fais la première partie), j’ai pleuré dans un autobus de Longueuil.
D’habitude, quand tu es la première partie d’un humoriste, il est coutume de rester jusqu’à la fin de son spectacle. Ce que généralement je fais. Et après on rentre ensemble ou avec le technicien de son (allô François!). Mais là, comme on était en banlieue de Montréal, Louis a dit « j’ai un autre spectacle après celui-ci, rentre par tes propres moyens après ton numéro si tu veux ».
Par mes propres moyens, ça voulait dire en transport en commun. Pas de problème. Je demande à la régisseuse de m’indiquer comment je rentre chez moi à partir du théâtre de ville et après mon number, j’enjambe les bancs de neige jusqu’à l’arrêt d’autobus.
Le hic, c’est que je me rends compte que j’ai pas de monnaie sur moi. Juste un vieux billet d’autobus qui, si ma mémoire est bonne, contenait deux passages, donc sur lequel il doit m’en rester un.
J’attends donc sous la neige, dans cette contrée lointaine… Un premier bus passe. Pas le bon. Un deuxième bus passe. Hors service. Puis finalement, apparaissant au loin dans la pénombre comme le phare d’une terre promise, mon bus.
Vais-je pouvoir y entrer? La porte s’ouvre. L’ado avant moi passe. Bip. Sa carte fonctionne. Je m’approche de la borne. HIIIIIN. Refusé. Fuck. Mon billet marche pas. Y est tard. Il neige. Je sais pas où je suis. Ça me tente pas de remarcher jusqu’au théâtre. En plus la porte est barrée et j’ai pas le code. Merde.
Je m’apprête à descendre de l’autobus duquel on me refuse l’accès quand j’entends : « Madame? » C’est le chauffeur. D’un signe de tête il me signifie de rentrer quand même.
Shhhhiiiit, il va me laisser rider son bus gratos.
Je le remercie et là je suis comme prise d’un mouvement de honte. Comme une sorte de « coudonc est-ce que je viens de me donner en spectacle? » Est-ce que tout le monde me regarde? (C’est sûr que non, parce que règle numéro 1 de la vie, tout le monde s’en câlisse) Je suis comme pognée avec la même honte que la fois où j’avais mal descendu mon pantalon à la toilette de la garderie et mes minis jambes que je pouvais pas plier sur le bol avaient fait que tout le pipi était allé sur mon pantalon et j’avais dû passer le reste de la journée habillée dans le long coton ouaté de la prof…
Qu’est-ce qui m’arrive? Voyons! Pourquoi je braille? C’est quoi cette affaire-là? Pourquoi je suis en train de pleurer dans un autobus de la ville de Longueuil?!
En creusant un peu dans mon sentiment je me suis rendue compte que ayoye, c’est pas que j’ai honte de pas avoir de billet et que les autres pensent que je suis dans marde, c’est que je braille parce que je viens de me faire aider.
C’est pas que j’ai honte de pas avoir de billet et que les autres pensent que je suis dans marde, c’est que je braille parce que je viens de me faire aider.
My god! Voyons que je réagis comme ça quand quelqu’un m’aide? Je me suis donc prise en flagrant délit de «je suis une Wonder Woman». En flagrant délit de « je m’arrange toujours toute seule, je mène mes trois enfants et ma carrière un défi à la fois, je franchis chaque obstacle comme on passe les portes d’un slalom et je m’arrange ».
Mais ç’a l’air que si t’es un inconnu et tu me tends la main je vais me mettre à brailler dans ton bus.
Parce qu’en dessous de ce mécanisme de défense, de cette carapace de femme en possession de ses moyens, y a probablement un humain mou et sans défense qui est bien soulagé d’être entouré et qui se rend compte qu’à aucun moment elle pourrait accomplir quoi que ce soit sans les autres.
Alors merci monsieur le chauffeur de l’autobus 8 sur le boulevard Chambly de m’avoir donné un lift et fait réaliser tout ça. Ça valait la peine de brailler dans votre bus.
P.S. On m’a plus tard appris que les billets de bus de Longueuil sont pas les mêmes que ceux de Montréal. Haha! Vous voyez, moi je pensais que je passais pour une pauvre qui peut même pas se payer de billet de bus, mais en fait je passais pour une crisse de bourgeoise qui connaît rien d’autre que sa réalité du 514. Fin.