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Plaidoyer pour la survie des Petits Chanteurs du Mont-Royal

On dit vouloir s'attaquer à l'élitisme, mais y a-t-il vraiment un problème de mixité?

Par
Thomas Picotte-Lavoie
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Depuis plusieurs décennies, les Petits Chanteurs du Mont-Royal pouvaient, grâce à une entente avec la Commission scolaire de Montréal, faire leur secondaire à tarif réduit à l’établissement privé du Collège Notre-Dame situé tout prèt de l’Oratoire Saint-Joseph afin de faciliter leur parcours chant-étude. Au nom de la mixité, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) remet en doute cette alliance et veut imposer un cheminement dans une école publique aux Petits Chanteurs. Thomas Picotte-Lavoie a fait le parcours typique et pour lui, cette décision met la Maîtrise (le nom du programme en question) en péril.

Lorsqu’on arpente le Chemin Queen-Mary, à la hauteur de l’Oratoire Saint-Joseph en direction sud, on peut apercevoir une magnifique maison blanche. Juchée sur sa colline, elle domine l’horizon et détonne avec le béton ambiant. Rares sont ceux qui peuvent témoigner des beautés qu’elle renferme.

Cet eldorado musical, c’est la Maîtrise des Petits Chanteurs du Mont-Royal. Mais c’est aussi une école hors du commun où j’ai eu la chance de passer le plus clair de mon temps de la 4e à la 6e année du primaire, avant de poursuivre mon parcours académique au Collège Notre-Dame, juste en face.

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Elle a accueilli entre ses murs plus de 1400 garçons sur une période de 63 ans. Ils y ont appris le piano, le solfège et par-dessus tout, le chant choral. Dans la tradition des grandes écoles européennes, des groupes d’une vingtaine de choristes ont été formés chaque année afin de recevoir une formation musicale rigoureuse en plus du parcours académique classique.

Apprendre un nouveau langage

Je me rappellerai toujours de la première fois que j’y ai mis les pieds. Ma mère m’y a mené de force pour que j’y passe les auditions.

Du jour au lendemain, ma vie a été ponctuée de messes du dimanche, de concerts-bénéfices, de pratiques générales et de rencontres avec le père Badeau. Huit ans de chant a cappella, en solo et en studio, devant des dizaines, des centaines, voire des milliers de personnes. J’ai chanté avec Michel Rivard, Gilles Vigneault et l’OSM, à l’Opéra de Montréal, à la Maison symphonique et même au stade olympique.

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Huit ans de leçons de sagesse de la part de notre directeur musical Gilbert Patenaude, de théorie musicale avec monsieur Duguay et de gros fun noir avec Maurice le surveillant.

https://www.youtube.com/watch?v=gf4gYWHl57w

Mais surtout, huit ans de franche camaraderie, de fraternité et de merveilleux souvenirs.

J’y ai appris deux nouvelles langues : l’allemand et la musique.

Deux nouvelles valeurs : l’effort et la rigueur.

Deux unités de mesure : tout ou rien.

J’ai visité l’Autriche et l’Ouest américain.

J’ai chantonné Bach, Mozart et Jannequin.

J’ai chanté l’italien, le russe et le latin.

J’ai côtoyé les grands, avant d’en devenir un.

Les années sont passées, j’ai mué, puis j’ai gradué. C’était en 2012. Depuis, je retourne chaque année, religieusement, chanter la messe de minuit à l’Oratoire. Une cérémonie où la participation des anciens est fortement encouragée. Parce que voilà l’essence même des Petits Chanteurs : se donner corps et âme pour une cause bien plus grande que sa petite personne.

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Mettre la hache

Pourquoi vous parler de tout ça?

C’est que voyez-vous, le 26 mars dernier, la CSDM annonçait sans crier gare la fin d’une entente historique permettant aux Petits Chanteurs du Mont-Royal d’étudier à tarif réduit au Collège Notre-Dame.

En d’autres mots, la CSDM procédait au démantèlement d’une tradition culturelle québécoise avec comme unique raison le désir d’abolir l’élitisme au nom de la mixité. Une décision d’une lâcheté inégalée, prise à huis clos l’automne dernier.

Sa présidente Catherine Harel Bourdon ne s’en cache pas : la commission scolaire est irritée depuis longtemps par cette entente qu’elle qualifie d’« iniquité » et qui profite à une école privée. Le réseau public se voit ainsi privé de ses élèves les plus performants, ce qui contribue à creuser davantage le fossé public-privé.

D’apparence noble, la raison évoquée par la CSDM met en péril la survie même des Petits Chanteurs puisque comme proposé, le scénario actuel n’est tout simplement pas viable. Il ne permettrait pas aux garçons de poursuivre leur parcours secondaire dans une école à distance respectable de la Maîtrise, là où se donne l’entièreté de la formation musicale. Ils sont assujettis à un horaire très strict qui ne permet pas de largesses dans les temps de déplacement.

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De plus, les écoles secondaires publiques du quartier Côte-des-Neiges débordent déjà et les solutions étudiées, l’Académie de Roberval ainsi que l’école secondaire Édouard-Montpetit, se situent à plus d’une heure de transport en commun des lieux de répétition. On fait donc face à un problème d’infrastructure et non pas à un débat public-privé, tel que le prétend la CSDM.

Depuis, on assiste à une levée de boucliers de la part de parents inquiets, d’anciens Petits Chanteurs, de musiciens professionnels et de personnalités issues de la scène culturelle.

Se battre jusqu’au bout

« On est prêt à se battre jusqu’au bout pour la survie de la Maîtrise », lance d’un ton décidé Nayiri Piloyan au bout du fil. Mère de deux petits chanteurs, elle est aux premières loges de ce cauchemar administratif en tant que représentante de l’Association Familles-Maîtrise (AFM).

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Lors de la plus récente rencontre entre les deux partis, personne ne semblait véritablement maîtriser le dossier. Pire encore : le panel représentant la commission scolaire a avoué d’emblée ne jamais avoir mis les pieds à la Maîtrise.

« Il n’y a jamais eu de consultation, aucun des commissaires n’a mis les pieds à la maîtrise ou n’est allé voir un concert. Ils ont juste entendu le nom [des Petits Chanteurs] parce que c’est dans leur liste d’écoles à administrer. Mais ça s’arrête là », révèle Mme Piloyan.

«Ils ne savent même pas ce que c’est que la Maîtrise. Ils ne savent même pas la notoriété qu’ont les Petits Chanteurs, le niveau d’excellence, la visibilité que ça apporte à l’international. Mercredi, les gens qui nous parlaient, c’était très clair qu’ils n’avaient aucune idée de ce que c’était.»

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Alors que ses écoles sont en décrépitude, qu’une pénurie d’enseignants frappe la province et que les ressources en éducation se font rares, voilà que la CSDM met des bâtons dans les roues d’une institution ayant maintes fois prouvé sa réussite et son efficacité.

«La Maîtrise est tenue à bout de bras par les parents. Depuis le mois de mars, c’est plus de 200 heures qu’on passe à travailler sur différents dossiers, organiser les concerts et les tournées, tout ça en marge de nos emplois respectifs.»

Alors que le Québec fait figure de cancre parmi les provinces canadiennes pour le décrochage scolaire, voilà qu’on empêche de futures générations de jeunes choristes talentueux d’accéder à des études de qualité. Parce qu’avouons-le, plusieurs parents ne pourront pas payer à leur enfant des études au collège privé et devront revoir leur parcours scolaire si longtemps convoité.

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La CSDM est prête à faire table rase au nom d’une soi-disant mixité scolaire et sociale. Laissez-moi vous dire que jamais, dans tout mon parcours académique, n’ai-je autant côtoyé de camarades issus des communautés culturelles que durant mes années aux Petits Chanteurs.

Il y avait Kabin, mon ami chinois, Matteo, mon pote français, puis Vladimir, mon camarade ukrainien. Sans oublier Alexandre, mon copain tunisien, et Mikaël, ce fier Vénézuélien.

Le talent ne connaît ni race, ni religion, ni classe sociale.

La CSDM braque ses projecteurs au mauvais endroit et risque d’en faire payer le prix à des garçons talentueux et travaillants qui ne pourront plus se permettre d’aller à la Maîtrise.

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La CSDM n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

Mais je fais appel aux hautes instances. Il serait peut-être temps que sur la colline parlementaire, un certain François (pas le pape), agisse afin de protéger une institution phare qui fait rayonner le Québec à l’international depuis des décennies.

Pour que notre culture cesse de brûler à petit feu, agissons, tous en choeur. Une pétition ayant déjà recueilli plus de 15 000 signatures circule sur le web. Vous pouvez la signer juste ici.