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Piscines publiques de Montréal : plongeon dans trois différentes canicules
Je me réveille tout trempe, tandis que DJ cigale fait résonner ses rythmes lancinants dans ma chambre. Il est 7h30, et déjà, la canicule bat son plein.
La journée la plus chaude de la semaine commence, sans climatisation ni ventilateur pour atténuer la chaleur étouffante. J’ai une entrevue dans un café, mais après, il me faudra trouver un refuge, une échappatoire à cette torpeur suffocante. Direction la piscine publique?
Je fais partie de la génération hors terre. Une petite, mais honnête 21 pieds, royaume des nouilles multicolores et des tourbillons en gang. La piscine publique, c’est un univers que je n’ai pas vraiment connu.
Mon projet du jour : découvrir la Sainte Trinité des quartiers par ses piscines – Villeray, Westmount, Hochelaga. Un pèlerinage d’observation pour mieux saisir ces secteurs aux portefeuilles divergents et qui sait, peut-être rattraper une partie de ma vie à laquelle j’ai tourné le dos.
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Piscine du parc Jarry – Villeray
Premier arrêt : un classique montréalais, me dit-on.
Le rouge vif des maillots style Baywatch des sauveteurs tranche avec leurs peaux caramélisées. Des ballons de foot fusent à travers l’air chaud, alors que les aînés cherchent refuge dans les rares parcelles d’ombre.
Autour de la piscine, des corps de toutes circonférences s’étendent comme un buffet de chair, exhibant poils, boutons et cicatrices. Des carcasses brûlées et brûlantes en communion sous le coup des 13 heures.
Les enfants, majoritaires dans la piscine, créent un bourdonnement incessant de cris, une langue universelle à travers les cultures de tous les continents.
Frontflips et gros flat sur le ventre ajoutent au spectacle. Une section bronzage attire particulièrement les gens de mon âge, la moue blasée dans une parade de gougounes, de crucifix et de piercings au nombril. Quelques saucettes par de jeunes filles en tongs, une femme en burkini tourne les pages d’un coran.
Au-dessus de nous, avions et urubus découpent le ciel azur.
Soudain, deux adolescentes tout habillées se jettent à l’eau, bousculant les jeunes sauveteurs absorbés dans leur cruise. Elles émergent dans une tempête de sifflements, sourires narquois aux lèvres, fières de leur coup. Leurs vêtements sécheront vite.
Malgré une capacité impressionnante de 615 places, la piscine est loin d’être pleine; beaucoup de familles sont sans doute en vacances, ou confo à l’air clim.
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Piscine extérieure de Westmount – Westmount
On me demande huit dollars à l’entrée. On brûle sans bon sens, qui oserait refuser? Heureusement, la piscine de Westmount fait office de petit beach club, avec des chaises longues et des parasols.
Comme à Jarry, la file du plongeon ne désemplit pas, mais ici, les combats de coqs attirent plus rapidement les sifflets et les cris sont « walk! » plutôt que « marcher! » dans cet éternel combat.
L’huile à bronzage brille sur les peaux, flotteurs orange pour les petits et casques de bain pour les grands-mères. On dévore des best-sellers du New York Times en butinant sa Stanley Cup.
Ici, dans les beaux quartiers, il règne une ambiance de jeu, de regards échangés, de lunettes de soleil en bord de piscine, les ventres plats de la jeunesse. Les maillots sont plus petits. On ne laisse pas le hasard choisir l’emplacement de la serviette.
Certaines jeunes femmes découvrent leur dos en dénouant leur haut de maillot pour se faire bronzer, on les sent ricaneuses, espiègles, se sachant magnifiques. Un âge que l’on savoure une journée à la fois.
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Au centre-ville, les touristes, très nombreux, sont pris en otage par la chaleur. Deux prêtres en soutane dégustent un Mr. Freeze. Un homme sans t-shirt, arborant un tatouage du Joker dans le dos, se verse une bouteille d’eau sur la tête. Des enfants, traînés en brouette, arrosent les passants avec des fusils à l’eau.
Piscine Maisonneuve du parc Francine-Léger – Hochelaga-Maisonneuve
Arc-en-ciel de maillots, odeur de crème solaire et sandwichs aux œufs. Je plonge pour ensuite sécher en quelques minutes dans le four de l’après-midi.
Les sauveteurs s’offrent une pause des tremplins en mettant des cônes dessus : « On va les rouvrir bientôt », m’informe mollement un sauveteur de 16 ans. Une punition qui n’arrête pas un concours de plongeons dans le creux.
L’eau, comme à Jarry et Westmount, est chaude comme la pisse. Aux abords, la canicule fait son travail, beaucoup dorment, bâillent. La sueur dégouline sur les fronts, perçant mullets et afros.
À les voir défiler, je me demande si les cœurs tatoués battent encore pour quelqu’un?
L’établissement est, certes, le moins chic des trois, avec des scratchy sur les miroirs des vestiaires et des abreuvoirs bouillants, mais il demeure une rare oasis forte à l’ombre du stade.
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Éloge du corps et du chlore, de l’été et de l’oisiveté. La piscine publique est une plage dans la ville.
Un enfant en surpoids se jette à l’eau, une bombe m’éclaboussant d’innocence. Nous brûlons sous le soleil, mais après tout, c’est l’été à Montréal et cet article a été écrit en bedaine.