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Peut-on être dans un couple fusionnel ET heureux?
Ils sont ensemble depuis 17 ans. Ils travaillent tous les deux à la maison, et ce, dans le même bureau. Ils pratiquent tous leurs loisirs ensemble, ainsi que leurs voyages. Elle lui coupe les cheveux, en plus d’être sa nutritionniste et sa coach de sport. Il s’occupe de la masser quand elle souffre de tensions musculaires. Même pas besoin de consulter des experts pour être bien!
À deux, ils forment un couple autosuffisant.
Pourtant, ils sont libres et sains. De quoi faire mentir les préjugés entretenus envers les couples inséparables.
Portait de Mireille Gravel et Olivier Bruel, deux professionnels de la communication qui, au début de la cinquantaine, semblent vivre le parfait amour fusionnel.
« Le 15 février 2003, on n’a pas réussi à arrêter la guerre, mais bon… »
À défaut d’empêcher un conflit international, Olivier et Mireille ont trouvé l’amour lors d’une manifestation contre la guerre en Irak. Ce rassemblement était le théâtre de leur première date officielle, mais déjà, ils savaient qu’ils partageaient plusieurs intérêts (au-delà de la politique).
Mireille, le regard pétillant et le sourire tendre, me raconte : « J’avais repéré Olivier sur un site de rencontre. Je lui ai présenté mes passions, mes intérêts et mes activités. Il m’a répondu en reprenant chacun des points et en ajoutant : “moi aussi!”. »
Olivier hoche la tête en riant : « C’était très surprenant parce que je pouvais me rattacher à chacun des trucs qu’elle aimait. Elle faisait du chant; moi aussi! De la musique; moi aussi. Des promenades en forêt, du vélo de ville, tout… »
Reste que plusieurs partenaires amoureux ont des passions communes, sans pour autant TOUT faire ensemble. Cette symbiose doit relever d’un trait de personnalité, non?
Ils m’affirment pourtant n’avoir jamais connu une relation fusionnelle par le passé. C’est ensemble qu’ils ont découvert cette envie de partage total et de proximité ininterrompue.
Et ce n’est pas une figure de style, ici. Une seule fois, le couple a dû se séparer. Olivier retournait en France pour célébrer l’anniversaire de mariage de ses parents. Le voyage a duré une dizaine de jours. « C’était il y a 12 ans. La blessure est encore très vive », lâche-t-il avec un sourire en coin.
Autrement, les amoureux ne se quittent pas. Ils affirment n’avoir presque aucune activité purement individuelle, en dehors de quelques soupers d’amis et du spectre professionnel. Puis là encore, en tant que pigistes, ils bossent du même bureau, à la maison…
Pourquoi les choses fonctionnent-elles mieux à deux, dans leur cas?
« On est très complémentaires, m’indique Mireille. Dans la maison, il est du type rangement et moi du type nettoyage. » Olivier intervient aussitôt: « Wow, c’est vraiment un bon exemple! Ça va faire rêver les gens, ça! »
Son amoureuse éclate d’un rire franc. Ils sont beaux.
Olivier poursuit : « On va plus loin à deux. Mireille est méticuleuse, acharnée, passionnée, by the book. Je suis plus intuitif, spontané et paresseux, alors elle me fouette un peu! J’ai l’impression qu’elle a fait de moi une meilleure personne. C’est facile de se laisser tirer vers le haut, avec elle. Je préfère de loin la personne que je suis maintenant à celle que j’étais il y a 20 ans. »
« Je lui ai appris que le riz n ’est pas un légume », résume Mireille, pleine de sagesse. Puis, elle s’exclame qu’elle a oublié un truc important!
Il y a bien une activité qu’ils mènent séparément, et ce, chaque nuit : ils font chambre à part.
Je suis surprise. Ils font tout tout tout ensemble, sauf ce que la grande majorité des couples exécutent sans se poser de question, soit s’endormir côte à côte?
« C’est peut-être le secret de notre longévité, suggère Olivier. Mireille a un sommeil extrêmement difficile et le mien est un peu ronflant, paraît-il. On a vite compris qu’il valait mieux dormir séparément. Je n’avais jamais fait chambre à part auparavant. Au début, je me suis dit : “On s’aime, pourquoi faire ça?” Puis j’ai réalisé qu’il n’y a pas de logique particulière derrière l’idée de dormir avec l’être aimé. On ne s’interdit pas d’investir le lit de l’autre, mais pour dormir, c’est juste plus simple. »
Mireille me confie qu’il lui arrive d’ailleurs de faire des siestes dans la chambre de son chum, quand il a une réunion à l’extérieur. C’est que leur chienne dort habituellement dans son espace à lui, alors elles s’y installent toutes les deux pour un petit somme collées d’après-midi.
« Il est super touché à l’idée que je dorme dans son lit. »
(Est-ce qu’ils peuvent arrêter d’être cute?)
La fusion, une idée qui effraie
« Quand les gens apprennent qu’on passe nos journées côte à côte et qu’on passe ensuite nos soirées ensemble, ils nous demandent souvent si on ne finit pas par se taper sur les nerfs », me souffle Mireille.
Selon plusieurs observateurs, notre époque appelle effectivement davantage à l’individualisme qu’à la symbiose amoureuse. Il est aujourd’hui commun de chercher à être célibataires à deux. À jouir à la fois de la sécurité d’une union et d’importantes libertés individuelles.
Le sociologue Serge Chaumier croit même à l’émergence d’un nouveau modèle : l’amour fissionnel, qui voit le couple davantage comme une association que comme un monde à part entière.
C’est un idéal tout à fait valable, or force est de constater qu’Olivier et Mireille se situent à un tout autre pôle. Osons le terme, ils forment un couple fusionnel.
« Oui, je pense qu’on en est un, confirme Mireille. Mais j’ai toujours une petite réticence à employer ce mot. J’ai l’impression qu’il est connoté négativement. »
Et pour cause! On associe souvent « couple fusionnel » à « perte d’individualité ». On imagine des amoureux hermétiques, incapables d’avoir un monde propre ou même de partager celui qu’ils se sont construit à deux. Des psychiatres vont jusqu’à parler de « couple-prison »! Difficile de réhabiliter ce modèle, dans un contexte social où il se fait varloper de la sorte.
Pourtant, chez Mireille et Olivier, il n’a rien d’étouffant. Au contraire, c’est cette symbiose qui leur permet de développer leur pleine individualité. Elle m’explique : « Je me sens très libre d’être moi-même. Je n’ai pas à censurer la moindre de mes facettes ou à préserver quoi que ce soit pour garder l’intérêt de mon partenaire, comme ce fut le cas dans d’anciennes relations. En me permettant de m’abandonner complètement, je découvre des facettes nouvelles de ma personne. Je repousse des limites, j’explore et je sens chaque fois l’accueil, l’ouverture, l’estime et le respect d’Olivier. »
C’est précieux, ce qu’elle décrit. Mais en étant partenaires en amour, en travail, en création et en loisir, est-ce qu’on ne risque pas tout de même de brouiller les frontières de l’intimité?
Olivier m’indique n’avoir jamais remarqué de tel problème, or il admet une certaine érosion du mystère. Vous savez, celui qu’on essaie de conserver pour que l’autre n’en vienne jamais à nous tenir pour acquis? « On se connaît sur tellement d’aspects qu’au fond, on a probablement perdu de notre mystère. Je pense qu’on arrive tout de même à le préserver d’une certaine façon. C’est-à-dire que je ne veux pas considérer Mireille comme un terrain archi-connu. D’ailleurs, elle me surprend encore après 17 ans de vie commune. »
Et tant qu’à chercher des bibittes, y a-t-il une seule chose que les amoureux ne referont plus jamais ensemble?
D’un commun accord, ils s’entendent pour dire que le vélo en tandem à San Francisco, c’était une très mauvaise idée.
« C’était atroce! La selle était épouvantable, on prenait des chemins escarpés… Olivier aurait continué, mais je souffrais de partout », résume Mireille. « Mais ta question était peut-être plus métaphorique? », ajoute Olivier.
Non, ça va. Je pense que cette image résume parfaitement le couple heureux que j’ai devant moi. Celui prêt à tout essayer ensemble, et ce, en respectant les libertés de chacun. Que ce soit celle d’être assise sur une selle confortable ou celle de se laisser aimer sans fard. Sans chercher à fuir un modèle malmené. Sans rien se refuser.
Avec bienveillance et générosité.