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Peut-on disparaître à l’ère des réseaux sociaux?

C'est plus difficile de jouer à Houdini à l'ère du Wi-Fi.

Par
Pier-Luc Ouellet
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À l’occasion de la présentation de la pièce Ceux qui se sont évaporés, URBANIA et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui s’unissent pour tenter de savoir s’il est facile de disparaître…

Pris dans le dessous de bras d’un étranger dans le métro, beaucoup trop tôt le matin, pour aller à une job qu’on aime moyen, on a tous déjà eu envie de disparaître.

Or, certaines personnes en ont eu assez et ont décidé de passer à l’acte, pour disparaître comme par magie.

Le phénomène a été étudié entre autre au Japon, où on parle des « évaporés ». Il y aurait chaque année environ 100 000 personnes qui disparaissent complètement.

Les raisons sont multiples: endettement, prison, perte d’emploi, etc. Mais le résultat est le même; écrasé par les pressions de la société, on choisit de disparaître.

Ceci étant dit, même ces évaporés ne disparaissent pas complètement. Après tout, un livre a été publié à leur sujet, et les auteurs, deux Français qui ne parlent pas un mot de japonais, ont réussi à interviewer plusieurs évaporés!

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Mais est-ce possible, aujourd’hui, de disparaître pour vrai et pour de bon? Peut-on s’évaporer sans laisser de traces quand des machines enregistrent nos moindres faits et gestes ? J’en ai parlé avec Anne-Sophie Letellier, de l’organisme Crypto.Québec, qui s’intéresse de près à la protection de la vie privée.

Mission impossible

Je pose la question d’emblée à Anne-Sophie Letellier : est-il possible de disparaître, à l’ère d’Internet ? Sa réponse est tout aussi directe : « Déjà, disparaître, ça suppose qu’on a eu une présence. Et si on a eu une présence, j’ai tendance à dire que c’est impossible de disparaître complètement sur Internet. »

Voilà, fin de l’article, merci tout le monde.

Plus sérieusement : pourquoi est-ce impossible ?

Non seulement il faudrait se tenir loin de tout ce qui utilise Internet, du téléphone intelligent à la carte de crédit, mais il faudrait en plus s’assurer que nos amis ne révèlent jamais rien sur nous.

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Tout d’abord, parce qu’Internet fait plus partie de nos vies qu’on le croit : « Si on veut réussir sa disparition, il faut à la fois de ne plus se servir d’Internet, c’est-à-dire ne rien utiliser de connecté, et se tenir loin des personnes susceptibles de publier de l’information qui aurait un lien avec nous », ajoute Mme Letellier.

Donc, non seulement il faudrait se tenir loin de tout ce qui utilise Internet, du téléphone intelligent à la carte de crédit, mais il faudrait en plus s’assurer que nos amis ne révèlent jamais rien sur nous, comme un Ron Swanson qui aurait fait irruption dans la réalité.

Ça fait quoi ?

Bon : on est un peu pris pour être sur Internet d’une façon ou d’une autre. Pis après ?

L’affaire, c’est qu’on ne sait pas… Comme le rappelle Mme Letellier, les impacts d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement ceux de demain : « Il faut toujours garder un œil sur l’histoire. Ça ne fait vraiment pas longtemps que ces technologies-là sont dans nos vies. Les impacts qu’on voit maintenant ne sont pas nécessairement ceux qui vont perdurer. Les choses que je publie aujourd’hui seront peut-être des informations qui vont avoir une certaine valeur quand mes activités vont changer. »

«Les choses que je publie aujourd’hui seront peut-être des informations qui vont avoir une certaine valeur quand mes activités vont changer. »

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Elle souligne aussi que de ne rien avoir à cacher est un immense privilège. Le pire qui peut arriver à un homme blanc comme moi, c’est que Simons sache vraiment très bien quelle sorte de bobettes je magasine (des bobettes avec des Pokémons). Mais si j’étais un prisonnier politique qui fuit la répression, ou une femme violentée qui se cache de son ex-conjoint violent, la protection de mes renseignements personnels prendrait une tout autre importance.

Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Résumons jusqu’ici : on ne peut pas vraiment disparaître d’Internet, mais des informations nous concernant peuvent être utilisées à mauvais escient. On fait quoi (à part une crise de panique) ?

S’informer

« C’est sûr que disparaître n’est pas une option. Mais simplement se conscientiser et comprendre les traces qu’on laisse, c’est déjà bien », explique Mme Letellier.

Une bonne première étape est d’en apprendre davantage sur les informations récoltées par les services qu’on utilise. Même moi, qui pensais assez bien connaître le sujet, je suis abasourdi par l’ampleur de ce que mon interlocutrice m’a révélé.

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Je savais, évidemment, que Facebook garde une trace de tout ce que je fais sur son site. Ce que je ne savais pas, par contre, c’est que Facebook et les autres géants du Web gardent une trace de ce que je fais sur les AUTRES sites Web, y compris avec les applis de mon cellulaire :

« Vous voulez dire que si j’ai une appli de cuisine, Facebook va savoir que je m’intéresse à la cuisine ?

— Non, Facebook sait ce que t’as fait avec cette appli de cuisine. »

Heureusement que je ne regarde JAMAIS de choses gênantes sur mon téléphone. Une maudite chance.

Si vous voulez contrôler en partie ce que Facebook sait sur vous, notre experte recommande ce lien, qui présente les étapes de base pour protéger ses infos.

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En parler avec nos amis

Mais comme on le disait en début de texte, ne rien publier sur Internet ne suffit pas : il faut aussi que LES AUTRES ne publient pas sur nous. Et ça, c’est plus compliqué…

«Ce que j’aimerais vraiment voir se produire, c’est qu’avant de publier des photos sur Internet, les gens reprennent l’habitude de demander la permission aux personnes photographiées.»

« Ce que j’aimerais vraiment voir se produire, c’est qu’avant de publier des photos sur Internet, les gens reprennent l’habitude de demander la permission aux personnes photographiées. Qu’on remette le consentement de l’avant. On dirait qu’on présume que tout le monde va vouloir, mais ça veut dire que la personne qui veut se garder une vie privée se retrouve un peu avec dans la même situation que celle qui ne veut jamais boire dans les partys : ça devient vraiment lourd, être cette personne-là. On parle de consentement dans beaucoup d’aspects de la société, et je pense qu’en ce qui concerne la publication d’informations, il faut remettre le consentement de l’avant », conclut Anne-Sophie Letellier.

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Que j’en voie pas un maudit publier une photo de moi au prochain party de bureau d’URBANIA.

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La pièce de théâtre Ceux qui se sont évaporés est présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui à compter du 3 mars 2020.